Shell est responsable de fuites de pétrole qui ont pollué des villages du delta du Niger en 2005, a soutenu jeudi aux Pays-Bas la défense de fermiers et pêcheurs nigérians dans une affaire qui pourrait établir un précédent mondial en matière de responsabilité environnementale.
Soutenant les quatre plaignants nigérians, qui ont assigné Shell à La Haye, où son siège est installé, à plusieurs milliers de kilomètres de leurs villages, une ONG environnementale espère en effet qu’un jugement favorable puisse faire jurisprudence aux Pays-Bas et servir d’exemple dans d’autres pays.
« Shell savait que l’oléoduc était abîmé depuis longtemps mais n’a rien fait : il aurait pu empêcher les fuites », a déclaré l’avocate Channa Samkalden lors de sa plaidoirie devant le tribunal de La Haye, assurant que Shell avait ainsi « violé ses obligations légales ».
Dans un procès au civil débuté en 2008, le pétrolier doit répondre de pollution pétrolière dans le delta du Niger suite aux fuites d’un oléoduc au Nigeria. Responsable de 9.000 kilomètres d’oléoducs, selon Mme Samkalden, Shell n’a pas nettoyé les dégâts qu’il a provoqué.
« Je suis ici à cause de la fuite de pétrole qui a eu lieu dans ma communauté à cause des installations de Shell et qui a détruit mes 47 étangs de pêche », a déclaré à l’AFP l’un des plaignants, Friday Alfred Akpan, du village de Ikot Ada Udo, avant l’audience.
Les Nigérians veulent que Shell soit tenu responsable de la fuite de pétrole qui a détruit leurs terres et leurs étangs. Ils exigent que le géant pétrolier nettoie les dégâts dans leurs trois villages, s’engage à surveiller et mettre à jour son matériel défectueux, et leur paye des indemnités. Les juges ont indiqué espérer rendre un jugement pour le 30 janvier 2013.
« Les fuites entre 2004 et 2007 sont la conséquence de vols illégaux et de sabotages », a pour sa part assuré à l’AFP Allard Castelein, vice-président du département Environnement de Shell : « ce n’était pas notre faute, mais nous avons quand même tout nettoyé ».
D’importantes conséquences internationales ?
« Si les juges néerlandais estiment que Shell est responsable de pollution au pétrole au Nigeria, cela pourrait mener à d’autres procédures internationales », assure la branche néerlandaise des Amis de la Terre, qui soutient les quatre Nigérians, dans un communiqué.
C’est la première fois qu’une société néerlandaise est assignée en justice aux Pays-Bas pour des faits à l’étranger et pour lesquels les victimes ne sont pas des Néerlandais.
De nombreuses ONG environnementales accusent les grands groupes pétroliers d’appliquer des normes environnementales beaucoup plus laxistes à l’étranger que dans leur pays d’origine.
« Nous appliquons déjà les mêmes standards au Nigeria qu’en Europe, nous ne sommes pas effrayés par un jugement qui nous obligerait à le faire », a pourtant soutenu Allard Castelein à l’AFP.
Selon les Amis de la Terre, la pollution au Nigeria est deux fois plus importante que les 5 millions de barils qui avaient été déversés dans le Golfe du Mexique en 2010 suite à la fuite causée par l’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon du britannique BP. Shell conteste ce chiffre et assure que la pollution au Nigeria est bien moindre.
Huitième exportateur de pétrole au monde et premier producteur d’Afrique subsaharienne avec plus de 2 millions de barils par jour, le Nigeria est le théâtre depuis 50 ans d’une exploitation pétrolière extrêmement polluante.
« Les Amis de la Terre pensent que ce procès va apporter une solution à ce problème mais ce n’est pas le cas », a en outre déclaré aux juges l’avocat de Shell, Jan de Bie Leuveling Tjeenk, assurant que Shell fait tout le nécessaire pour prévenir des fuites.
Si les Nigérians devaient l’emporter aux Pays-Bas, « ce serait une étape importante pour que les
multinationales soient tenues plus facilement responsables des dégâts qu’elles provoquent dans des pays en voie de développement », assure à l’AFP Jonathan Verschuuren, professeur de droit environnemental à l’université de Tilburg.
« Jusqu’à présent, cela a été très difficile parce qu’entamer une procédure dans les pays en voie de développement est difficile », ajoute M. Verschuuren : « la législation est souvent mal construite et son application est maladroite ».
AFP