Philippe Robin : Il m’est difficile de parler au nom des 14 banques du Groupe en Afrique. Je rappellerai simplement que le positionnement commun de ces banques est clairement celui de banque universelle: collecte des dépôts, transformation puis prêts à l’économie nationale et services de paiement. D’ailleurs, parfois avec un peu de frustration ! car il n’y a pas toujours matière à prêter autant que les banques le souhaiteraient. Certains groupes, comme le nôtre, ont aussi une activité sur les marchés des capitaux (syndication de crédits, marché obligataire, gestion d’actifs, courtage actions…) selon le niveau de maturité financière des pays et de leur réglementation.. Notamment en lien avec la Bourse d’Abidjan où le Groupe Bank of Africa est très dynamique avec plusieurs entités cotées. Egalement en Afrique de l’Est.
Le positionnement du groupe Bank of Africa provient d’une ambition panafricaine de s’installer sur des marchés faiblement bancarisés, où il y a une croissance naturelle pour les banques qui ont vision de long terme, font bien leur métier, qui ouvrent des agences sur tout le territoire, bancarisent la population et vont au-devant de la création d’entreprise par le micro- crédit, sans exclure les financements de projets structurants avec les Institutions multinationales comme co-bailleurs de fonds…
D.N : Et pourquoi la question du marché français s’est imposée à vous ?
P.R : Nous sommes partis du constat suivant : premièrement, le groupe a jugé être, et il a été jugé comme tel, prêt en termes de taille et de crédibilité pour aborder un pays aussi complexe et réglementé que la France. Dans beaucoup de pays, BANK OF AFRICA est très bien implanté, premier établissement ou dans le peloton de tête. Ensuite, certaines diasporas en France nous connaissent bien. Elles sont contentes de retrouver une marque qu’elles ont vue au pays et qui les rassure. Parfois elles étaient clientes d’une BOA et ne s’attendaient pas à la voir présente en France.
Enfin, nos diasporas-cible (estimées aux alentours de 1 million de personnes) sont parfois en décalage avec le système traditionnel et demandent un service plus adapté.
A cela, on rajoutera que les Autorités de tutelle en France sont toujours très vigilantes en termes de procédures, de systèmes de contrôle pour les nouveaux établissements, notamment en provenance des pays émergents et veulent être sûres ‘qu’aux deux bouts’ il y a le même souci de professionnalisme et de contrôle de régularité des opérations. BANK OF AFRICA et BOA-FRANCE remplissent ces critères.
Si l’on prend les alternatives pour nos diasporas, on trouve classiquement :
- le secteur informel qui est clairement un frein à l’intégration ; l’argent peut se volatiliser, les envois sont irréguliers, et bien sûr tout ‘travail’ mérite salaire, donc il y a un coût plus ou moins caché !
- les grandes banques traditionnelles qui ne peuvent pas offrir la même proximité culturelle, une offre dédiée, une transparence de prix, une simplicité de fonctionnement. Or, nos cibles de clientèle sont parfois en défiance vis-à-vis des banques; il faut les accompagner, surtout la première fois.
- les sociétés de transfert d’argent, qui malgré l’efficacité de leur produit et l’ampleur de leur réseau payeur, demeurent ‘mono- produit’, n’ont pas de clients au sens strict du terme (pas de comptes…) et dont le service est souvent impersonnel, sans parler des commissions élevées car proportionnelles aux montants transférés.
- Les bureaux de représentation de banque africaine qui ne représentent, par définition, qu’une nationalité, ont une offre produits limitée et sont sous tutelle d’une banque établie donc avec une faible marge de manœuvre.
Nous voulons être un acteur novateur et proposer un service bancaire personnalisé pour traiter des besoins aussi variés que recevoir sa pension, traiter avec l’administration, se faire payer par son employeur, retirer de l’argent, rembourser des prêts, épargner, régler des frais de scolarité… BOA-FRANCE veut vraiment faire la différence et, en quelque sorte, ouvrir la voie en tant que pionnier. Nous sommes une entreprise à personnel d’origine africaine, à capitaux africains, offrant des services dédiés aux africains issus de nos pays d’implantation. Nous sommes intégrés à l’Afrique par toutes nos banques, nous offrons des tarifs fixes et, par définition compétitifs, compte tenu de notre taille et de notre organisation. Il n’y a pas d’intermédiaires faisant écran entre nos banques.
D.N : Estimez-vous que l’objectif de BOA-FRANCE a été atteint ?
P.R : Nous sommes au début d’une longue route. D’abord, parce que ce concept de la ‘multi- nationalité des deux côtés du guichet’ dont nous sommes fiers, est long à mettre en place. Par exemple, l’Afrique de l’Est et l’Afrique de l’Ouest ne fonctionnent pas de la même manière : ce sont des marchés régionaux, à réglementation, langues et pratiques bancaires distinctes mais nous nous efforçons de traiter toutes les nationalités de manière homogène. Plus nous aurons de banques dans le Groupe, plus nous aurons des nationalités différentes. Aujourd’hui, nous pouvons traiter toutes les nationalités sans les avoir toutes représentées dans nos rangs. Il existe aussi une solidarité entre nos agences. Une agence peut en appeler une autre pour se faire aider sur une demande précise ou parce que le client parle un dialecte indisponible au guichet. La multi-nationalité est une tendance de fond, inexorable. Nous devons nous y préparer.
D.N : Quel est l’état de vos offres de service ?
P.R: Nous avons bâti un socle ces deux dernières années : des équipes de bons professionnels soudés par un projet commun exaltant, de bons emplacements à Paris et à Marseille, une clientèle en expansion rapide….
Il nous faut maintenant à la fois élargir notre offre de services qui ne veut ni ne peut rivaliser avec celles grandes banques généralistes et être plus visibles.
En termes de services, nous avons, à partir de nos agences, tous les services des BOA disponibles à nos guichets (comptes, flux, carte, contrats…). Nous pouvons constituer des dossiers-prêts, instruits par les BOA qui demeurent souveraines et prennent la décision de crédit. Et, depuis la France, nous mettons en place des canaux de remboursement tout en suivant le parcours de l’emprunteur qui vit et travaille en France.
Nous pouvons être joignables partout en Europe, par et pour les clients d’origine africaine, avec les RIB, les IBAN sur les systèmes de compensations de la zone Euro (un Malien ou un Congolais en Belgique, un Ghanéen à Londres ou un Burkinabé en Italie…). Ensuite, l’argent circule entre BOA-FRANCE et les BOA en Afrique, c’est très économi
que et très rapide. Le schéma ‘intra Europe + intra BOA ‘est beaucoup plus avantageux pour le client que le mouvement de fond directement entre sa banque et l’Afrique.
De même dans la métropole, si nous sommes pas implantés pour l’instant hors d’Ile de France et de Marseille, nous pouvons traiter les opérations de l’étudiant à Brest, du retraité à Strasbourg, du migrant à Toulouse etc. Ils ne parcourront pas les centaines de kilomètres pour venir nous voir mais ils peuvent nous joindre de diverses manières par Internet ou en remettant des espèces localement. Ensuite, l’opération avec l’Afrique est relayée.
Nous envisageons d’élargir l’impact de notre site internet en le rendant plus interactif, ce qui permettra à des clients, à partir de leurs cartes bancaires, depuis chez eux, d’envoyer de l’argent à BOA-FRANCE, pour que cet argent soit transféré sans déplacement en agences.
Comme c’est le cas aujourd’hui pour les domiciliations de salaires, les virements permanents, les prélèvements internationaux. Nous envisageons pour le deuxième semestre de l’année une carte de paiement en euro. En attendant, nos clients ont des cartes de paiement rattachées à leurs comptes au pays, qui leur permettent de payer partout et d’être débités localement.
Nous avons commencé aussi à élargir notre activité de correspondant à d’autres banques africaines qui ne sont pas représentées en France. Notre expérience en France nous permet pour le compte d’autres banques de recevoir leurs ressortissants dans nos agences. Nous pouvons le faire aussi pour notre actionnaire la Banque Marocaine du Commerce Extérieur (BMCE), pour les Marocains à l’étranger.
En terme de communication, il nous faut être plus visible. Nous étudions toutes les possibilités pour toucher nos clients qui n’ont pas d’adresses directes ( foyers, hébergement…) via le téléphone mobile (campagnes SMS) via e-mails…. Nous sommes visibles dans la presse, votre magazine Diasporas-News en est la meilleure illustration. Nous allons développer l’affichage- produit dans nos agences. On est en train d’étudier un petit film à destination des diasporas qui pourrait être diffusé sur des réseaux TV nationales et bouquets. On intensifie notre démarche vers les associations avec lesquelles nous avons des réunions thématiques…
D.N : Quelle différenciation entre les autres et BOA-FRANCE vu que la concurrence est rude dans le secteur ?
P.R : Nous ne craignons pas la concurrence. Nous la souhaitons même car il y a de la place. En ce qui concerne les banques subsahariennes à réseau installées en France, avec un agrément similaire au nôtre, je n’en vois pas, à ma connaissance.
Des établissements africains sont arrivés en même temps que nous mais sur les métiers du commerce international et de trésorerie, que nous n’exerçons que de manière accessoire. Ce sont des activités gourmandes en bilan et en fonds propres.
Il faut aller vers des populations disséminées. Si nous faisons tout pour être la première expérience bancaire de celle ou celui qui est encore dans l’informel, nous ambitionnons d’être la banque sénégalaise de l’avocat sénégalais, malgache de l’informaticien malgache ou béninoise du professeur béninois par ailleurs tous largement bancarisés. Ces clients n’ont pas attendu notre implantation en France. Ils nous connaissaient parfois très bien, parfois moins, selon la position que nous occupons dans leurs pays d’origine. Ils viennent alors chez nous pour l’Afrique, la proximité, la marque car ils sont déjà ‘équipés’.
En France, si vous ouvrez une agence, les gens ne viennent pas d’eux-mêmes, il faut aller les chercher. Le marché français des diasporas se mérite !
Si l’offre doit être attractive, les procédures et les opérations n’en suivent pas moins des processus rigoureux en France et en Afrique au titre de la connaissance du client qui sont des barrières pour des nouveaux entrants. Et nous écoutons nos clients ! nos responsables d’agence sont accessibles, nos agents se déplacent dans les associations, les foyers, sont présents dans les salons et foires africaines.
D.N : Quel bilan tirez-vous de l’année 2011 ?
P.R : 2011 a été notre deuxième année d’exploitation. Rappelons que nous avons démarré nos activités en mai 2010. L’année 2011, c’est l’année de la montée en puissance de notre réseau avec nos 2 nouvelles agences. On travaille de plus en plus avec les BOA, tant dans les agences diaspora que notre agence Banques & Entreprises au siège. Nous avons aussi la confiance de nos actionnaires et de nos partenaires Bank of Africa. Et nos clients nous font aussi confiance. Nous sommes encore au début de notre aventure car, quand une banque s’installe, il faut de nombreuses années pour la pénétration et l’installation de son enseigne dans le paysage.
D.N : Vos projets pour l’année 2012 ?
P.R: Pour nous l’année 2012, est donc une année d’accélération, en bénéficiant de cette visibilité accrue et de l’élargissement de notre offre.
L’intégration se poursuit avec nos partenaires BOA et la promotion de leurs produits et services est pour nous un moteur puissant.
Enfin, le groupe étudie en permanence des dossiers d’implantation susceptibles d’accroitre encore l’éventail de nos communautés.
Faustin Dali