Vêtue de noir, Betty Aguti, militante anti-corruption, tient un bouquet destiné, dit-elle, à fleurir la tombe des services publics ougandais étranglés par la prévarication, dans le cadre d' »une semaine de deuil » destinée à sensibiliser la population à l’étendue du phénomène.
« Tous les secteurs sont phagocytés par la corruption: nous n’avons pas de secteur éducatif, pas de secteur de santé », explique Betty Aguti, de l’ONG catholique Caritas, au milieu de centaines de membres de la société civile, rassemblés à Kampala pour le lancement de cette opération.
« Nous voulons montrer au gouvernement que nous en avons assez et que nous ne le supporterons plus car cela mène à la mort de notre pays », ajoute-t-elle.
Les Ougandais sont familiers des scandales de corruption, voire blasés car impuissants, selon les militants qui disent vouloir les « réveiller ». Le pays figure parmi des 40 Etats perçus comme les moins vertueux du monde et comme le plus corrompu d’Afrique de l’Est, selon l’indice de l’ONG Transparency international.
Mais un récent rapport du Contrôleur général du gouvernement montrant que 10 millions d’euros d’aide internationale avaient atterri sur les comptes de fonctionnaires du cabinet du Premier ministre a fortement déplu aux partenaires étrangers. Et Dublin, Londres, Oslo et Copenhague ont immédiatement suspendu des millions de dollars d’aide.
Douze responsables ont été mis à pied en attendant le résultat de l’enquête sur le détournement de ses fonds, destinés à des régions ravagées durant 20 ans par la guerre contre l’Armée de résistance du Seigneur (LRA), sanglante rébellion tristement célèbre pour ses enlèvements d’enfants et qui a sévi jusqu’en 2006 dans le nord du pays, avant d’en être chassée.
Mais le puissant Premier ministre ougandais, Amama Mbabazi, qui assure n’avoir rien su des malversations, a rejeté tous les appels à la démission lancés par ceux qui l’accusent à tout le moins d’être responsable des pratiques délétères au sein de son ministère. Et ses plus hauts responsables sont toujours à leur poste.
Pour les militants anti-corruption, cette affaire n’est que la partie émergée de l’iceberg. Richard Ssewankiryanga, directeur exécutif du Forum des ONG d’Ouganda, estime à environ 800 millions de dollars les fonds gouvernementaux détournés au cours de la décennie écoulée.
Une estimation basse, assure-t-il, d’autres considérant le montant réel plusieurs fois supérieur, malgré les engagements réitérés du président Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986, à mettre fin à la corruption dans le pays.
« Il y a eu plus de dix commissions d’enquête concernant différents scandales, mais rien n’a été fait. Nous disons donc que trop c’est trop et que nous devons trouver une solution », souligne M. Ssewankiryanga.
Un phénomème profondément enraciné
Mais « les bailleurs ne devraient pas simplement supprimer totalement leur aide, car ce sont les populations auxquelles l’argent était destiné qui en souffrent, ils devraient trouver des méthodes alternatives pour éviter d’avoir affaire à des responsables corrompus », explique-t-il.
Embarrassé, le gouvernement ougandais a tenu à faire savoir qu’il allait rembourser l’argent détourné et s’attaquer sérieusement à la corruption. « Dans cette affaire, il est significatif que les détournements aient été découverts par le propre Contrôleur général du gouvernement, cela montre que nos institutions commencent à fonctionner », a souligné Fred Opolot, un porte-parole du gouvernement.
Mais les analystes estiment que l’utilisation désinvolte des fonds publics, le népotisme et la corruption constatés au plus au niveau de l’Etat sont un feu vert donné aux subalternes pour ponctionner les caisses de l’Etat.
Cette semaine, la presse ougandaise a rapporté que le gouvernement avait dépensé 2,4 millions de dollars pour acheter deux luxueuses limousines, destinées à venir grossir l’impressionnant convoi présidentiel, déjà fort d’une vingtaine de véhicules.
« Les actes sont plus forts que les mots et quand les plus hauts dirigeants sont impliqués dans des scandales de corruption ou préfèrent prendre des gants vis-à-vis de ces affaires, alors les gens des échelons inférieurs se disent que tout cela est acceptable », analyse Julius Kiiza, professeur de Sciences politiques à l’Université Makerere de Kampala.
« La corruption existe dans une certaine mesure dans tous les gouvernements, mais dans notre pays, le phénomène s’est profondément enraciné dans tous les secteurs de l’administration », ajoute-t-il.
AFP