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Les nouveaux défis de la Libye

Les nouveaux défis de la Libye

Il y a un an, une grande coalition internationale menée par l’OTAN a joué un rôle essentiel dans la révolution libyenne: elle a aidé ce pays et sa population à mettre un terme aux trente années de dictature sanglante du colonel Mouammar Kadhafi. Mais cette victoire n’est pas définitive.

Aujourd’hui, l’engagement international est nécessaire pour permettre à la Libye de l’après-guerre de se stabiliser durablement. Le succès de la transition –démocratique et pacifique– ne serait pas seulement bénéfique à l’Italie et à l’Europe. Il irait aussi dans le sens du bien commun; dans celui de l’intérêt de la communauté internationale toute entière. Et ce pour –au moins– trois raisons.

La première est que seul un pays stable et démocratique peut répondre aux aspirations légitimes des citoyens, qui ont mené la révolution et payé de leur vie le prix de la liberté. La communauté internationale doit (autant par intérêt que par devoir moral) consolider les progrès réalisés en matière de droits de l’homme. Des progrès obtenus grâce à l’intervention militaire, au nom de la «responsabilité de protéger».

La deuxième réside dans le fait qu’une Libye stable et démocratique pourrait devenir un acteur positif pour la coopération et l’intégration régionale. La Libye de Kadhafi était un pays fauteur de trouble, qui semait la peur et la défiance chez ses voisins des régions arabes et africaines.

Un partenaire dans la lutte commune contre le terrorisme

Mais la nouvelle Libye  a déjà prouvé qu’elle souhaitait retrouver un rôle positif dans la région. Elle a normalisé les relations avec la quasi-totalité de ses voisins, parmi lesquels l’Egypte et la Tunisie (ainsi que, plus récemment, l’Algérie). Elle a pris part à la conférence ministérielle organisée à Rome, en février dernier, qui a réuni les  cinq pays de la rive nord et les cinq pays de la rive sud de la Méditerranée. Et elle a renoué les liens –en toute cordialité– avec l’Union du Maghreb arabe.

La troisième raison tient à sa position géographique stratégique: une Libye démocratique, étroitement liée aux institutions euro-atlantiques, pourrait devenir un partenaire d’importance dans la lutte commune contre le terrorisme international, la piraterie  et la prolifération des armes de destruction massive.

La chute du régime Kadhafi n’était qu’un début. Les défis auxquels est confrontée la Libye d’aujourd’hui sont particulièrement complexes, et bien différents de ceux qu’ont connus les autres pays du printemps arabe. Contrairement à l’Egypte, la Libye –pays riche en pétrole – n’a besoin d’aucune assistance financière, et demeure relativement peu peuplée.

Contrairement à la Tunisie, la Libye ne dispose pas d’une société civile structurée -mais elle ne ressemble pas pour autant au Liban ou à l’Irak. A l’inverse de ce dernier, sa population est homogène et ses divisions internes relèvent de conflits tribaux et géographiques, plus que de luttes religieuses ou sectaires.

Dernier point, mais non le moindre: contrairement aux autres pays de la région (au sens large du terme), la Libye ne présente aucun risque immédiat de radicalisme islamique généralisé. Les Libyens sont –dans leur grande majorité– des musulmans modérés: ils observent les préceptes de la foi islamique dans leur vie quotidienne tout en rejetant l’idée d’un confessionnalisme d’Etat.

Autrement dit, la Libye est un cas à part, et doit être traitée en tant que tel. Et c’est dans ce contexte que ce pays doit aujourd’hui relever deux défis de taille.

Plus de 4.000 candidats aux élections

Il doit d’abord mettre en place un gouvernement opérationnel et démocratique. La Libye n’a jamais été organisée autour d’institutions centrales structurées. En dépit de son idéologie et de sa rhétorique officielle (la Jamahiriya, ou «Etat des masses»), la Libye de Kadhafi n’était de facto qu’un vaste one-man-show. Les partis politiques et les structures étatiques y ont été supprimés.

Kadhafi est allé jusqu’à restreindre le pouvoir et l’influence de l’armée, de peur de la voir menacer son régime. Pour conserver sa mainmise sur le pouvoir, il s’est appuyé sur sa famille et sur une poignée de fidèles -qui contrôlaient les tribus les plus puissantes ainsi que les brigades paramilitaires.

Une question reste entière: comment former un gouvernement dans un Etat qui en a été privé pendant trente ans? Les élections sont la première étape incontestable de l’édification d’institutions démocratiques, à la fois ouvertes et responsables.

A la fin du mois de juin, la Libye doit élire un Congrès national de deux-cent membres, qui désigneront à leur tour les soixante membres d’un Comité constitutionnel chargé de rédiger une nouvelle Constitution. Depuis l’indépendance de 1951, les Libyens n’ont connu qu’une seule élection ouverte: c’était sous la monarchie de 1952. Les
défis qui les attendent sont donc pour le moins conséquents.

Dans la population, la préparation des élections suscite déjà une large participation au processus démocratique, ce qui est de bon augure pour l’avenir du pays. Les partis politiques et les candidats se multiplient: plus de quatre mille candidats  et cent-vingt nouveaux partis politiques vont se disputer les deux cents sièges (cent-vingt sièges sont alloués à des personnes, le reste est réservé aux partis).

Les femmes constituent 43% du corps électoral, mais on ne dénombre que quarante-trois candidates. Ces élections ne résoudront certes pas tous les problèmes de la Libye –mais pour la première fois, ce pays sera doté d’un gouvernement élu, un gouvernement qui s’engage à rendre des comptes aux citoyens, et qui sera considéré comme un interlocuteur à part entière par la communauté internationale.

Ddémobiliser les milices, confisquer les armes

Le second défi? La sécurité. Depuis la chute du régime Kadhafi, en septembre dernier, elle est précaire dans plusieurs régions du pays. Le Conseil national de transition  –l’instance politique qui dirige le pays–  n’est pas parvenu à imposer son autorité dans l’ensemble du vaste territoire libyen.

Les milices  n’ont pas été complètement intégrées aux forces de sécurité du pays, et les armes n’ont pas été confisquées, ce qui a entraîné de fréquentes bouffées de violence  dans plusieurs régions. De plus, la Libye a «importé» plusieurs problèmes de sécurité importants –extrémistes, drogues et trafic d’armes– via ses frontières méridionales, particulièrement poreuses.

Une grande partie de ces troubles est la conséquence de l’instabilité endémique de la région du Sahel, exacerbée par la récente crise du Mali.

Le gouvernement démocratique libyen est donc contraint à relever un double défi majeur: reprendre le contrôle du territoire de l’Etat, et garantir la sécurité de ses citoyens. Il lui faudra agir rapidement et avec détermination pour démobiliser et intégrer les milices, confisquer les armes, réguler les frontières et l’immigration, et réformer le secteur de la sécurité.

Dernière observation, mais non des moindres, il faudra amorcer un processus de réconciliation nationale: la consolidation de la sécurité doit aller de pair avec un respect plus rigoureux des droits de l’homme et de la dignité humaine.

Aider à la formation de la jeunesse du pays

Comment la communauté internationale peut-elle aider la transition démocratique de la Libye? Notre approche devrait s’articuler sur trois priorités.

Tout d’abord, nous devrions faire montre d’une plus grande détermination pour aider les Libyens à construire un pays plus sûr. Sans sécurité, le processus d’édification de l’Etat ne peut s’accomplir dans de bonnes conditions. La Libye ne doit pas être livrée à elle-même dans sa lutte contre l’insécurité frontalière. Nous devons lui fournir l’équipement nécessaire, et participer à l’entraînement de ses nouvelles forces de sécurité nationale.

Il nous faut par ailleurs établir une stratégie internationale efficace pour stabiliser la région du Sahel, et ce au plus vite. Sur ce point, les efforts bilatéraux sont importants, mais ils ne sont pas suffisants. L’Italie s’est déjà engagée à fournir du matériel de pointe à la Libye pour faciliter le contrôle des frontières, ainsi que des instructeurs pour former ses forces de sécurité. Il nous faudra également mobiliser les efforts et les ressources d’institutions multilatérales clé, comme les Nations Unies et l’Union européenne.

Deuxième priorité: investir dans le capital humain de la Libye, en faisant montre de plus d’ambition. Il faudrait ainsi lancer des programmes d’entrainement et de formation dans différents domaines: administration nationale, gestion économique, médias indépendants, société civile démocratique… Nous devrions porter une attention toute particulière à la jeunesse du pays.

Renforcer les liens avec l’OTAN

La société libyenne vient de renaître, au lendemain de quarante années d’oppression –et la jeunesse souhaite profiter de l’expérience des pays de la communauté internationale pour enrichir ses connaissances; elle veut s’ouvrir au monde extérieur. Investissons dans ce formidable capital humain, qui pourra aider la Libye à surmonter ses traditions tribales et à accomplir sa modernisation.

Enfin, il nous faut élaborer une stratégie à moyen terme visant à renforcer les liens unissant la nouvelle Libye démocratique aux institutions euro-atlantiques. La Libye est en train de consolider ses institutions démocratiques et son Etat de droit, et l’Union Européenne doit se tenir prête à engager des négociations pour conclure de nouveaux accords commerciaux et d’associations.

De la même manière, nous devrions encourager la Libye à rejoindre le Dialogue méditerranéen  de l’OTAN. Une Libye plus proche de la famille euro-atlantique serait un pays plus sûr pour ses propres citoyens, et un meilleur partenaire pour sa région comme pour le reste du monde. L’heure n’est pas à l’inaction et aux vœux pieux: il nous faut agir.

Giulio Terzi, ministre italien des
Affaires étrangères

Foreign Policy

Traduit par Jean-Cément Nau

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