mardi, mars 19, 2024
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Tidjane Thiam (Dirigeant d’entreprise) : « Il n’est pas possible de parler de l’Afrique sans parler du monde et de parler du monde sans parler de l’Afrique… »

Grand intervenant lors des JNDA à Bordeaux, le Franco-Ivoirien Tidjane Thiam a partagé sa vision de l’Afrique par visioconférence, au grand plaisir des participants. Un entretien retranscrit par nos soins.

Quel est votre regard sur les Journées nationales des diasporas et de l’Afrique ?

Je suis désolé de n’avoir pas pu être présent à Bordeaux physiquement mais j’ai pu suivre quelques panels qui étaient riches. C’est un rendez-vous unique et je vous félicite.

Comment envisagez-vous l’Afrique dans cette économie-monde ?

C’est une question qu’on se pose au sujet de l’Afrique et qu’on ne se pose pas au sujet d’autres parties du monde. Personne ne s’interroge si on peut parler d’Europe en faisant abstraction du reste du monde ou de la Chine, des États-Unis… Quand il s’agit de l’Afrique, la réponse est évidente.

Laquelle ?

L’Afrique est dans le monde, l’Afrique est du monde, l’Afrique est le monde. C’est par la géographie, un continent que les cartes représentent de façon inexacte puisque les cartes favorisent la dimension SOS plus que la dimension Nord-Sud. L’Afrique, c’est 32 millions de kilomètres carrés. Si ma mémoire est bonne, c’est plus que les États-Unis, le Brésil, la Chine et l’Inde ensemble. C’est donc le plus grand continent, une géographie absolument extraordinaire. Le lien multiple et connexe avec le monde entier depuis le Cobalt qu’on trouve dans les réacteurs, le café qu’on retrouve dans les tasses etc. L’Afrique produit des terres rares, des produits indispensables par rapport au reste de l’humanité. Je pourrais aligner des chiffres, des statistiques qui font que nous faisons partie intégrante de l’économie mondiale mais le plus important est que nous devons être curieux de ce qui se passe dans le reste du monde. S’il y a une caractéristique par rapport à laquelle le monde s’accorde, c’est qu’il est de plus en plus interconnecté. On le voit à travers les réseaux sociaux. Tout le monde suit ce qui se passe en Ukraine, à la minute. Les malheureuses victimes dans les abris peuvent communiquer de façon directe avec nous. C’est sans précédent. Il n’est pas possible de parler de l’Afrique sans parler du monde et de parler du monde sans parler de l’Afrique… » .

Vous maîtrisez les questions monétaires et financières… Comment percevez-vous l’impact des décisions financières des bourses sur les économies africaines ? Sur le coût du blé, des matières premières ? Quels peuvent être pour vous, les outils pertinents pour que l’Afrique garantisse son indépendance ?

Je n’ai pas la prétention d’essayer de répondre à la question car je pense qu’il nous faudrait deux heures…Je vais donc ébaucher quelques éléments qui me paraissent importants. Beaucoup de choses ont été dites dans les débats précédents. La qualité des interventions était excellente. Je vais m’appuyer dessus. Ce qui est clair, c’est que le mécanisme d’ajustement par les prix est immédiat. Quand il se passe quelque chose sur une géographie donnée et qui a un impact sur le pétrole ou sur des matières premières, l’impact est immédiat. À la suite du Covid, on a vu des perturbations dans les chaînes d’approvisionnements des économies mondiales. On a eu des stimuli sans précédents par leur ampleur. Malheureusement la crise ukrainienne est venue exacerber ces pressions inflationnistes. Nous sommes en train d’entrer dans un cycle à la fois d’augmentation des cours des matières premières mais aussi l’augmentation des taux d’intérêts, ce qui va avoir un impact direct sur l’Afrique. Évidemment, les pays importateurs de pétrole bénéficient de cela mais peu de pays sont importateurs de pétrole. Je suis heureux de l’accent qui a été mis dans cette 9è édition des JNDA sur les PME.

Pourquoi ?

Je crois passionnément que les PME sont vraiment le cœur de l’économie. Beaucoup d’intervenants l’ont souligné. C’est l’essentiel de l’emploi et c’est une grande partie du PIB. Je me réjouis du consensus croissant sur l’importance pour l’Afrique face aux défis à relever, d’avoir un tissu de PME riches et performants. Sur ce plan, nous sommes gâtés car nous avons beaucoup d’entrepreneurs résilients, créatifs, dynamiques. Il faut davantage mettre l’accent sur l’importance des fonds propres. Au Nigeria par exemple, la digitalisation et l’utilisation des économies modernes permet de surmonter le handicap que nous avions jusqu’ici. Sur les taux d’intérêts, je dirai que personnellement j’ai la conviction que les marchés ne sont pas parfaits. Et le taux d’intérêt n’est rien d’autre que le message que le marché transmets sur l’appréciation qu’il porte sur le niveau de risque qu’on encourt quand on prête. Il y a deux éléments là dedans, le risque spécifique à l’emprunteur mais il y a aussi le risque souverain. Il y a une répartition des tâches. Ceux qui sont en charge du risque souverain sont les États. Ils ont un rôle à jouer pour déterminer le niveau de taux d’intérêt auquel leur économie doit pouvoir s’endetter. Les questions de gouvernance, de transparence ont un impact. En Angleterre, j’ai travaillé successivement sous plusieurs Premiers ministres (Cameron, Blair, Boris Johnson). Personne ne s’est posé de questions sur la pérennité de son entreprise, sur la pérennité du cadre dans lequel on coopérait. Or, l’horizon des entreprises est bien supérieur à celui du cycle politique.

Et c’est bien souvent là qu’il y a un problème.

Comment ?

En Afrique, il faut qu’on arrive à stopper les Coups d’états. Dans le cas contraire, nous serons pénalisés en termes de taux d’intérêts et de niveaux auxquels on peut s’endetter. Vraiment, nous avons des entrepreneurs dynamiques qui font leur travail. À côté, les états doivent gérer leurs affaires, leurs cycles électoraux, leurs transitions de telle manière que les entrepreneurs africains méritants ne soient pas pénalisés.

Justement, dans cette articulation de l’Afrique avec le monde l’Afrique se redécouvre. Comment percevez-vous ces dynamiques économiques intra-africaines ?

Je suis extrêmement positif sur la situation africaine. Je vois des transformations qui me surprennent de façon positive car je pensais que nous mettrions plus de temps à arriver au niveau où nous sommes aujourd’hui… On ne parle pas assez de la culture. L’observation que je fais est que lorsqu’on est dans les affaires à l’international, les Chinois ont une manière très chinoise de travailler. Personne ne le leur reproche. Les Allemands ont une manière très allemande de faire des affaires. Pareil pour les Italiens.

Ou voulez-vous en venir?

Si les Africains ont une manière africaine de faire des affaires, c’est très bien. Je revendique cette différence. Il est important de l’accentuer au lieu d’être complexé. Quand j’étais dirigeant d’entreprise occidentale notamment au Crédit Suisse, je n’ai jamais fait d’intervention sans un proverbe wolof, baoulé ou qui vient d’Afrique (rires). Finalement, on n’est jamais aussi bon que quand on est soi-même. Je me réjouis de tout ce que je vois se développer en Afrique en matière de culture, d’art, de musique, de littérature. Je pense que le PIB n’est pas une donnée. C’est une résultante. Le PIB chinois est le produit de la culture chinoise. C’est la même chose en Afrique. Plus on s’appuiera sur des dynamiques africaines, sur notre culture africaine, meilleurs seront les résultats qu’on pourra atteindre.

Quand je parle aux investisseurs, je leur dit si vous voulez multiplier vos mises, allez à Silicone Vallée. Si vous voulez les multiplier par mille, allez en Afrique. Récemment, j’ai échangé avec des Américains prêts à investir en Afrique. Je crois que le capital est prêt. Il y a juste un problème d’intermédiation. Il faut qu’il y ait de plus en plus d’acteurs qui puissent faire le lien entre la demande de capital que nous avons en Afrique et l’offre. Les choses progresseront ainsi. Dans les années 80, le PIB de l’Afrique était dans l’ordre de 600 à 700 millions de dollars. Notre PIB était inférieur à celui de la Belgique. Aujourd’hui, il est de 2500 millions de dollars et il continue à croître alors que la Belgique est toujours à 700 millions de dollars, malgré le respect que j’ai pour la Belgique.

Vous être une fierté pour la diaspora ivoirienne. Comment voyez-vous la contribution des diasporas africaines au développement de l’Afrique ?

Je suis incroyablement impressionné par ce que j’ai vu et par ce que j’ai entendu. Je suis vraiment impressionné par la qualité des personnes et des idées. C’est la bonne nouvelle. La diaspora est extraordinaire et reflète le continent. Nous sommes bien représentés. Malgré un environnement pas toujours juste, nous réussissons dans tous les secteurs. La diaspora a un rôle d’exemplarité et bien souvent de montrer que les choses sont possibles. C’était intéressant de voir Yannick Noah raconter à quel point sa rencontre avec Arthur Ash l’a influencé. Des histoires comme ça, il y en a beaucoup. Nous espérons inspirer des Africains et leur montrer un certain nombre de choses possibles. Faire bénéficier l’Afrique de nos contacts tout au long de notre carrière, c’est important. Je n’ai pas d’autre souhait que de voir nos compatriotes réussir à l’étranger. Je n’ai aucun doute sur le fait que nous aurons une forte croissance en Afrique au 21è siècle. Au plan géopolitique ce qui se déroule en Ukraine est triste mais bénéfique pour l’Afrique. Il y a une nouvelle génération sûre d’elle-même qui développe un entrepreneuriat d’un type nouveau en Afrique et qui n’a pas peur d’aller conquérir des marchés à l’extérieur de l’Afrique.

Propos recueillis par Guy-Florentin Yameogo, paru dans le Diasporas-News n°134 de Mars 2022

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