jeudi, novembre 21, 2024
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Invité Pierre Claver Akendengué «L’artiste ne doit pas parler pour ne rien dire»

Malgré ses 78 ans et sa vue délicate, Pierre Claver Akendengué demeure l’un des meilleurs paroliers d’Afrique francophone. Ce grand compositeur gabonais qui était récemment invité sur la radio Africa N°1, n’a rien perdu de sa verve et ne cache pas son amour pour le continent noir et tous ses mystères. Artiste engagé, l’auteur de « Lambarena » a toujours su jouer des contes ancestraux pour faire passer son message social et politique.

 Dans vos textes, pourquoi y a-t-il toujours un doux mélange de poésie mêlée de militantisme ou vous dénoncez à votre manière les maux qui minent notre société ?

La poésie c’est l’art de suggérer. L’artiste doit prendre sa part de responsabilités par rapport au corps social. L’art ne doit pas être qu’un divertissement. La prise de responsabilité de l’artiste par rapport au corps social participe à la conscientisation des masses, des jeunes générations, ainsi que de l’opinion nationale et internationale. C’est pourquoi l’artiste ne doit pas parler pour ne rien dire. L’artiste dit-on, est la voix des sans voix.

À quoi a ressemblé votre enfance au Gabon ?

Dès ma tendre enfance, j’ai été confronté aux personnes vivant de leur force de travail pour un salaire de famine.

Que voulez-vous dire ?

Port-Gentil, la capitale économique du Gabon, est la première ville cosmopolite du pays. Les gens venaient de toutes les provinces du Gabon et y compris de toute l’Afrique, notamment de l’Afrique de l’Ouest, pour y vendre leur force de travail. Ils y venaient aussi avec leurs cultures, ce qui a fortement contribué à mon enrichissement culturel. Les gens venaient vendre leur force de travail notamment à la C.F.G (Compagnie Française du Gabon) qui fabriquait des feuilles de contreplaqué. On y travaillait à temps plein, 24h/24, selon un système de roulement. Les travailleurs s’y rendaient à pied et parcouraient des kilomètres selon leurs horaires de travail. Il y en a qui travaillaient aussi à la SPAEF (Société Pétrolière de l’Afrique Equatoriale Française). Là aussi les horaires étaient draconiens etc. Cela signifie que les salaires étaient aussi de misère. Cela a été ma première rencontre avec le prolétariat. Et c’était très révoltant. D’où ces quelques extraits d’une de mes chansons Atongowanga: « …Ma sœur travaillait à l’usine, sa main fut sectionnée…Mon oncle travaillait à l’usine de bois mais il n’avait pas de maison… ».

Quel est votre regard sur le continent africain aujourd’hui ?

La mauvaise gouvernance est partout : corruption, pillage de richesses, gabegie, déficit de démocratie, dictature, la misère par-ci, la misère par-là. D’où les guerres fratricides, avec des armes que l’Afrique ne fabrique pas, Des armes fabriquées par les grandes puissances qui pillent nos richesses pendant que les africains se battent. Dans certains pays, on assiste à des guerres fratricides avec enrôlement d’enfants soldats, avec des femmes comme butin de guerre, viols de nos femmes, viol de nos mères, viol de nos sœurs. L’africain considère alors son frère comme son ennemi et sa propre survie dépend alors dans ces conditions de la disparition du frère.

Quel devrait donc être le rôle de l’artiste face à cette situation?

L’artiste engagé doit prendre la parole. Il ne doit pas se taire. L’artiste engagé doit s’indigner. L’art a pour mission d’éclairer les consciences, d’apaiser des cœurs. Normalement pour l’artiste, l’alternative au statut quo s’obtient par la négociation, le dialogue et non par les armes.

L’Afrique a-t-elle vraiment encore un avenir?

Dans ma chanson Africa Obota, j’en parle. Notre Afrique sera toujours digne d’intérêt.

Qu’est-ce qui vous rend si optimiste?

L’Afrique est un grand gisement de ressources. La première des ressources est la richesse du sous-sol (Afrique terre fertile). La deuxième ressource, c’est la forêt (Afrique des essences rares). La troisième ressource est l’énergie (Afrique terre des gaz, du pétrole, des ressources hydrauliques et d’énergie solaires). La quatrième richesse est la grande diversité des ressources minières (Afrique terre des 35% des réserves mondiales minières et pour le cobalt, 85% des ressources connues). La cinquième richesse, ce sont les ressources humaines (Afrique terre d’un milliard d’individus et la projection pour les années 2050 est de deux milliards d’africains, dont 65% de jeunes). Enfin, la sixième richesse c’est son immense diversité culturelle son art, sa spiritualité. L’Afrique doit donc avoir une vision positive du continent. L’Afrique est comme un bateau qui largue ses amarres.

Pensez-vous que le passé colonial de l’Afrique francophone a des influences sur la politique africaine aujourd’hui?

Ecoutez bien ! Multipartisme, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, absence de censure, c’est la direction qu’il faut prendre. Ce sont là, les directives du Général De Gaulle aux dirigeants africains lors d’un sommet. Evidemment, ces mots sont tombés dans des oreilles de sourds. Nous avons vu des coalisés larguer des armes de destruction massive sur la Côte d’ivoire, la Lybie, l’Irak, etc. Particulièrement, concernant Laurent Gbagbo et Kadhafi. Leur crime est d’être coupable aux yeux de la France de vouloir sortir de la zone CFA et ériger une monnaie panafricaine. Quant à Laurent Gbagbo, la France armant les rebelles qui combattaient contre lui, il eut des bombes sur son palais et fut conduit en prison, La Haye dix ans durant. Plus près de nous, la mission européenne avait reconnu la victoire électorale de Jean Ping en 2016 et c’est la France qui s’oppose à l’avènement de Jean Ping sur la présidence du Gabon. En Centrafrique, il est reconnu que c’est la France qui renseigne les rebelles sur les positions de l’armée centrafricaine. N’oublions jamais le camp Thiaroye, quand pour récompenser les tirailleurs, dits sénégalais, qui ont combattu pour libérer la France, les français ont tiré sur ces combattants en 1944. Plus récemment en 1994, la France est encore et toujours impliquée dans les évènements concernant les tutsi au Rwanda.

Dans vos chansons et l’ensemble de votre répertoire, les oiseaux ont toujours occupé une place très importante. Pourquoi?

De tous les êtres de l’univers, selon la tradition Nkomi (Ndlr ; peuple gabonais), les plus proches parents des êtres humains se sont les oiseaux. Hommes et oiseaux sont descendants d’un ancêtre commun : Ayoni. Les oiseaux descendent de Kera. Les humains (Awanara ou Agnambe) descendent aussi de Kera. Mais sur un plan plus général, Ngulu, la force vitale, fait des uns les parents des autres. C’est ainsi que chaque oiseau est un messager particulier, tel que Poe dont le chant provoque la pluie ; Ezengue annonce l’arrivée d’étrangers ou d’un bonheur ; Evoviè annonce l’éminence d’un malheur ou la proximité d’un mauvais esprit. Ekuru, l’ami est l’ami du sorcier. Le perroquet, lui, est un messager ; Epuguzu adresse ses prières aux génies le soir venu etc. D’une manière plus générale, les contes de mon enfance sont peuplés d’oiseaux, à qui on fait jouer des rôles d’hommes.

Est-ce la raison qui explique que vous soyez très sensible à ce qui touche la nature et la biodiversité?

La surexploitation de nos essences rares et la destruction de la mangrove sont une préoccupation pour qui aime et vit de la nature. Nous sommes un peuple sous forestier et nous ne pouvons pas nous séparer de cet environnement. Cet environnement nous est sacré. C’est la base de notre culture. La base de nos us et coutumes. Il est le symbole même de l’Afrique éternelle.

La source de votre inspiration est donc fortement ancrée du peuple Nkomi, Et votre héritage culturel et spirituel a visiblement donné une direction à votre carrière. Ne devez-vous pas tout à ces rites et traditions?

La conception du monde, de mon Afrique natale me donne un cadre d’inspiration qui est constitué de quatre formes de musique : la musique profane qui est l’exaltation de la vie. On y dénombre la musique de travail, d’appel, de réjouissance, etc. La musique rituelle funèbre qui est l’expression du chagrin devant la mort. La musique d’initiation sous ces deux formes : initiation des classes d’âges d’une part – initiation aux choses sacrées d’autre part. Enfin, la musique de trence (la trence de possession par exemple : un esprit est sensé posséder une personne et la personne parle au nom de cet esprit). C’est une musique frénétique incitant à la danse et qui passe dans la musique tradi-moderne comme une musique de danse. Une sorte de passerelle entre l’université de la forêt et la modernité dans nos cités.

Mais la musique n’est-elle pas appelée à évoluer?

La musique et la chanson en particulier ont pour vocation d’être chantées par tout le monde. Elles ont une vocation universelle. À ma base musicale endogène, j’intègre des éléments exogènes puisés dans la musique du monde par exemple. Mais je ne cesserai jamais de rappeler que j’ai suivi des cours de solfège au collège Bessieux, à Libreville dès la classe de cinquième. J’ai également fait le chant choral pendant toute la durée de ma scolarité au collège Bessieux. Et c’est là que j’ai rencontré le chant grégorien qui avait un fort retentissement par rapport à la musique rituelle des veillées auprès de mon oncle, papa Dominique. C’était un grand initié dans la religion du Bwiti, une des grandes religions du Gabon et papa Dominique était aussi un guérisseur de renom. Ses séances de guérison se passaient au cours des veillées ou le chant rituel était partie intégrante du processus de guérison. Ensuite, arrivé en France au lycée Potier, j’ai été accueilli dans une chorale. Cela m’a permis d’avoir une plus grande maîtrise du solfège et des partitions musicales. En dehors de ces formations sur le tas, je suis rentré au petit conservatoire de la chanson de Mireille en 1967. C’était là, une formation destinée aux jeunes gens, filles et garçons qui se destinaient au métier de chanteur. J’y avais été admis comme tous les autres élèves sur concours avec la chanson « Poé ». Mireille m’avait alors incité fortement à chanter surtout dans ma langue maternelle.

Ensuite?

J’ai en outre suivi pendant deux ans des cours de musicologie à l’institut Michelet qui dépendait de la Sorbonne sans omettre des cours d’ethnomusicologie. Et toutes ces formations je les suivais parallèlement à mes études de psychologie (troisième cycle). In fine, je suis Docteur en psychologie – Option Anthropologie sociale et culturelle. Le titre de ma thèse en Psychologie : Religion et éducation traditionnelle en pays Nkomi au 19e siècle – thèse soutenue à la Sorbonne.

Pensez-vous avoir eu la carrière que vous méritez?

J’ai toujours considéré qu’il y a le succès populaire et le succès d’estime. Si succès il y a eu me concernant, c’est le succès d’estime. Et je suis très reconnaissant vis-à-vis de celles et ceux qui m’ont accordé leur aimable attention. Toutefois, je dois dire qu’en 2015 l’ONU m’a fait l’honneur de me désigner parmi les seize icônes de la culture mondiale. Je leur en suis très reconnaissant et ce, d’autant plus que je ne m’y attendais pas.

Quel regard avez-vous de la scène musicale aujourd’hui?

Je trouve que les jeunes artistes font la musique de leur temps. Ce que je déplore, c’est l’absence d’une société de droits d’auteurs. L’érection d’une société de droits d’auteurs, c’est de créer des auteurs. Je déplore aussi l’absence des salles de spectacles, de théâtre ou les artistes peuvent faire étalage de leur talent. Je déplore en outre le fait que les grands médias nationaux n’offrent pas un espace médiatique suffisant pour les artistes dans leurs publications. Finalement, j’estime que les artistes gabonais dans leur ensemble se battent à armes égales avec d’autres artistes du continent. À l’exemple de Shan’L, récemment primée « Meilleure Artiste féminin de l’Afrique Centrale » aux PRIMUD. Félicitations et encouragements.

Pheel PAMBOU, Source Africa Radio

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