vendredi, mars 29, 2024
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République Centrafricaine : le crépuscule du pouvoir

République Centrafricaine : le crépuscule du pouvoir

Le régime du général François Bozizé est aux abois et presque condamné à se démettre ou au minimum faire de la place aux ennemis d’hier. Ce n’est qu’une question de jours. Lorsque les soldats rebelles de Séléka, partis du Nord il y a quatre semaines, n’ont aucune difficulté à s’ouvrir les portes de Bangui, les chances d’achever son mandat, à échéance de 2016, sont relativement minces. En pareille circonstance, plutôt que de subir une humiliation, une solution de compromis permet de ménager une porte de sortie honorable qui sied à un président de la République ; même si en son temps celui-ci n’a jamais pris de gants pour bouter ses adversaires hors de l’arène politique.

Ses vœux du nouvel An, adressés à la Nation, étaient pathétiques : « je demande pardon à tous ceux qui vivent dans les régions occupées par les rebelles…» Avait-il déclaré avant d’implorer les rebelles de lui laisser son hochet c’est-à-dire « qu’il ne se représentera plus en 2016 mais qu’on lui laisse finir son mandat ! ». Et ensuite, il n’a pas hésité à se défausser sur les Forces Armées Centre Africaine (FACA) qui selon lui ont failli à leur devoir. Seule l’armée tchadienne trouve grâce à ses yeux. Dans ce cas-là à quoi bon avoir remplacé à la tête de l’état-major le général Guillaume Lapo par son propre général de fils Jean-Francis Bozizé ? Depuis le 3 janvier, ce dernier est tombé en disgrâce et c’est le Chef d’Etat qui cumule le portefeuille du ministre de la Défense.

Les communiqués et les réactions diplomatiques tombent et indiquent l’ampleur du désastre. « Le président François Bozizé s’est dit prêt à dialoguer avec les rebelles sans délai à Libreville…». Seule la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC) semble soutenir encore le chef de l’Etat centrafricain. 350 militaires supplémentaires sont envoyés pour renforcer les 500 hommes de la Force Multinationale d’Afrique Centrale (FOMAC) stationnée à Bangui. Elle est composée à majorité tchadienne, et contrôle la ville de Damara, située à 75 km de la Capitale et dernier verrou avant la chute de Bangui. Ce rempart défensif est loin d’être une caution au gouvernement en place ; il ressemble plus à une médiation qui temporise face à une situation qui risque de dégénérer rapidement à Bangui. Cette prudence de sioux dissimule surtout une méfiance envers la composition de la rébellion. Parmi les leaders actuels du Séléka, aucun ne donne suffisamment de gage à une alternative crédible pour assurer une transition au sommet de l’Etat.

 

 

 

République Centrafricaine : le crépuscule du pouvoir
L’ascension et la chute d’un Général  
 
Devenu officier général très jeune, à l’âge de 30 ans, à l’époque de l’empereur Jean-Bedel Bokassa, il a toujours été de toutes les révolutions de palais. Dès1982, il fomenta un coup d’Etat avec la complicité de l’opposant Ange Félix Patassé. Le général Kolingba, a déjoué le putsch et les deux compères se sont retrouvés en exil – Tchad pour le premier et Lomé (Togo) pour le second ; tandis que le troisième larron, le général Alphonse Mbaïkoua se terrait dans son village natal.
Ange Félix Patassé accéda enfin au pouvoir en 1993 et nomma son ancien complice Chef d’état-major de l’armée. Loyal au tout début de la magistrature, il ne ménagea pas ses efforts pour réprimer les mutineries au sein de l’armée. En 2001, « Ange »de plus en plus contesté par la rue, n’a pu rester au pouvoir que grâce à l’aide de sa garde prétorienne fournie par le Guide Mouammar Kadhafi. La passivité du général Bozizé lors de cette tentative de renversement, intrigua l’entourage du chef de l’Etat. D’ailleurs, il n’a pas attendu son arrestation pour se réfugier de nouveau au Tchad. De cette base arrière, les incursions sporadiques de son groupe en territoire centrafricaine ne sont pas suffisamment percutantes pour porter un coup fatal au gouvernement de Bangui. Mais l’impopularité grandissante de Patassé et le ressentiment des soldats, qui ont de plus en plus pris faits et causes pour la rébellion menée par François Bozizé, ont fait vaciller le régime rongé par le népotisme. En 2002, sans l’aide logistique de l’Ouganda et des milices de Jean-Pierre Bemba – Mouvement de Libération du Congo (MLC) – le régime d’Ange Félix Patassé était déjà r
enversé. C’est à la faveur d’un déplacement de ce dernier au Niger en 2003 que François Bozizé rentra à Bangui et conquit le pouvoir. Il régularisa sa situation par un passage par les urnes en 2005. Mais depuis son accession au pouvoir, le chef de l’Etat actuel n’a jamais connu une année sans un foyer d’insurrection à éteindre et des bruits de bottes des casernes. Il ne devait son maintien au pouvoir que grâce au paratonnerre français – dispositif de 1.500 hommes stationné à Bangui – et surtout au parrain régional : tonton Idriss Deby.
 

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Birao, 2006 : la genèse de la rébellion  
Ville située aux confins de la RCA mitoyenne des frontières tchado-soudanaises, à plus de 800 km de Bangui, elle a été le théâtre d’une rébellion, dès 2006, menée par l’Union des Forces Démocratiques pour le Changement (UFDR). Composée d’anciens compagnons de libération de François Bozizé, ils ont assiégé et occupé cette bourgade de 18.000 âmes et son aéroport. La FACA ne pouvait pas les contenir mais la France est intervenue car son détachement basé à Birao a subi des pertes humaines. En vertu des accords de défense qui lie la RCA et la France, celle-ci a dépêché un renfort d’une centaine d’hommes venus du Gabon et des Mirages F1 en novembre 2006. C’est ainsi que l’avancée des rebelles fut contenue et que des pourparlers ont été engagés sous l’égide du Tchad. Ce n’est qu’en mars 2007 que les deux parties, c’est-à-dire les forces gouvernementales et l’UFDR, ont accepté de signer des accords de Paix avec deux points essentiels : une intégration des rebelles au sein de la FACA, un dialogue politique inclusif.
Mais d’autres groupes rebelles se sont invités dans le conflit. C’est au prix d’une médiation de feu OMAR Bongo, qui était capable de faire venir par son avion personnel les chefs de la rébellion et d’appeler le président Bozizé pour lui garantir de ne pas les embastiller à leur retour que l’accord global de Libreville fut signé en juin 2008. C’est ainsi que d’autres mouvements politico-militaires comme l’Armée Populaire pour la Restauration de la Démocratie (APRD) et le Front Démocratique du Peuple Centrafricain (FDPR) ont pu parapher cet accord. Il prévoyait une amnistie générale, la formation d’un gouvernement d’union nationale et l’organisation d’élections anticipées, une réinsertion des combattants.
Mais Birao reste un enjeu stratégique car un autre groupe rebelle, la Convention Patriotique pour la Justice et la Paix (CPJP) la disputait en novembre 2010. L’armée tchadienne a, encore une fois, volé au secours de l’armée régulière pour reprendre le contrôle de cette localité.
Le Séleka (littéralement l’Alliance) qui a repris les armes depuis le 10 décembre 2012 est une coalition composée de : l’UFDR, du CPJP et la Convention des Patriotes pour le Salut du Kodro (CPSK). Un leader assez charismatique semble avoir l’ascendant sur le reste du groupe : Michel Am Nondokro Djotodia, ancien rebelle qui a déjà pris le maquis en 2006 avant de s’enfuir au Bénin. Au fur et à mesure de leur conquête des villes du Nord, de l’Est (entre autre Bria, Bambari…) où la présence de l’autorité gouvernementale fait défaut, d’autres groupes se sont joints au mouvement. Le général François Bozizé avait obtenu du président tchadien un contingent de soldats pour former sa garde présidentielle. Mécontents d’avoir été renvoyés, ils font aujourd’hui cette coalition qui marche sur Bangui.
Le paradoxe de cette rébellion tient au fait que certains de ses leaders ont rejeté, en son temps, l’Accord de Paix de 2008 alors qu’ils revendiquent maintenant sa mise en œuvre intégrale. Chose rare lors de passage des forces rebelles, on n’entend très peu de plaintes de la part de la population des villes conquises : ni de razzia ou d’exactions de la part des militaires. Cela traduit qu’une bonne logistique assure l’avancée de l’avant-garde de la colonne. D’autant plus qu’ils sont bien habillés et disciplinés. Quels sont les soutiens financiers et logistiques de cette colonne ?
 
Bozizé lâché par ses protecteurs
Le président Idriss Deby Itno est le faiseur de rois centrafricain. C’était de son exil tchadien que l’actuel chef de l’Etat a préparé sa conquête du pouvoir. De tous les mouvements insurrectionnels qui menaçaient son protégé, le parrain avait toujours envoyé son armée. Moyennant quoi, celui-ci pouvait se servir sur la richesse minière de l’Obangui-Chari, en toute discrétion. Et même certaine fois, les soldats tchadiens ne se sont pas embarrassés pour piller les villages lors de leurs passages.
Cette rébellion, qui avance à bride abattue sans trouver aucune résistance majeure sur sa descente vers le Sud du pays, étonne par sa discipline et ses moyens. Outre le Tchad, le Soudan et quelques hommes d’affaires centrafricains assureraient un soutien aux troupes rebelles. Les circonvolutions du président François Bozizé font aujourd’hui l’unanimité contre lui. Les promesses et les accords de paix signés depuis son arrivée au pouvoir n’ont jamais été respectés. Les dernières élections présidentielles de 2011 étaient une mascarade. Vainqueur avec plus 66% de voix, il se retrouve, quelques mois plus tard, acculé à Bangui par ses ennemis qui le contraignent maintenant à s’asseoir sur une table de négociation.
 

République Centrafricaine : le crépuscule du pouvoir
Et La France, grand protecteur de tous les chefs d’Etat centrafricain devant l’Eternel ? Elle faisait la pluie et le beau temps sur les rives de l’Oubangui. Jules Boganda, père de l’indépendance, mystérieusement disparu dans un accident d’avion en 1959, n’avait pas le profil docile qui sied à l’ancienne puissance coloniale. Qu’à cela ne tienne, son cousin David Dacko fut mis en selle avant finalement de choisir un autre cousin : le sous-officier Jean-Bedel Bokassa. Il a régné sous les ailes protectrices de « son Papa », le Général de Gaulle, de « son cher parent » Valery Giscard d’Estaing qu’il a fait empereur Bokassa 1er. Humiliée et excédée la France ramena sur le trône David Dacko; celui-ci rédigea son discours de reprise du pouvoir dans un avion Transall de l’armée française en 1979. Le général Kolingba, chef d’état-major de David Dacko, le renversa à son tour en 1982. La RCA était à cette époque, un centre névralgique du dispositif de défense français. D’abord, les forces françaises pouvaient se porter rapidement sur la zone de lutte contre le colonel Mouammar Kadhafi, qui ne cessait de fomenter des conflits au Nord du Tchad et enfin Bangui était à mi-distance entre les bases d’Afrique de l’Ouest et de Djibouti dans un contexte de guerre froide et de protection de ses intérêts vitaux.
Pendant les 13 années de pouvoir du général Kolingba, le pro-consul de Bangui, le colonel de la DGSE Jean-Claude Mantion étouffait toutes velléités de l’opposition tout en contrôlant les faits et gestes de son protégé. Aujourd’hui le général Bozizé, en appelle à ses cousins d’Amérique et de France pour le sortir de cette impasse. Les Etats-Unis ont financé la traque de Joseph Kony et sa bande
d’illuminés de la LRA en RCA. Pour l’instant, aucun résultat tangible ne peut être mis au crédit du chef de l’Etat centrafricain alors que l’argent a été bel et bien dépensé. De plus le permis d’exploitation du site pétrolier de Gordil – octroyé par Ange Félix Patassé au groupe américain RSM Petroleum – fut cédé en 2011 aux chinois par son successeur.
Le« cousin » François Hollande, lui, semble vouloir lâcher son homologue centrafricain ; en tout cas, il ne fera rien pour l’empêcher de quitter le pouvoir. Le groupe nucléaire Areva exploite une mine d’uranium à Bakouma, dans le Sud-Est du pays. Le site a fait l’objet d’une attaque de groupes rebelles venus du Tchad en juin 2012. Le cours mondial de l’uranium et l’insécurité grandissante sont les deux critères qui balanceront quant au choix de la France de s’impliquer ou non dans ce conflit interne à la RCA.
Enfin, d’un point de vue géostratégique, la communauté internationale ne peut se permettre d’avoir une autre zone d’instabilité en Afrique. La RCA est au confluent d’une région de brassage de plusieurs cultures. Elles peuvent en tous les cas exporter des conflits du Soudan voisin (Darfour) ou servir de tête de pont pour les islamistes venus d’Afrique de l’Est.
 
Alex ZAKA

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