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Etudiant étranger, comment j’ai été expulsé de France

Etudiant étranger, comment j’ai été expulsé de France

L’année 2011 a été par excellence celle de Claude Guéant, celle de l’année record en termes d’expulsions (presque 33 000). Bon élève, l’ancien ministre de l’Intérieur a fait un grand virage de droitisation de la politique migratoire hypocrite, trompeuse et électoraliste. Son investissement à traquer les pauvres gens n’a épargné personne, même les plus intégrés – sans aucune attention à leur santé, à leur intégration et aucune considération à la valeur du savoir.

Le nouveau président François Hollande et les forces de gauche ont pris lors des campagnes électorales précédentes l’engagement de faciliter le séjour des étudiants étrangers en France. L’abolition de la circulaire Guéant  est un premier pas vers l’abandon des décisions droitières électoralistes, des politiques qui ont privé des milliers d’étudiants de travailler en France ou du moins finir leurs parcours universitaires avec dignité.

J’ai été personnellement victime de telles mesures au moment où j’ai entamé mes recherches universitaires en France.

Ma thèse, une chance inouïe

Je suis un algérien âgé de 47 ans, habitant la wilaya de Tizi-Ouzou, en Kabylie. J’ai été expulsé pour une raison simple : je faisais des études en France en tant qu’étudiant « régulier » en situation « irrégulière » pendant plusieurs années. Je suis arrivée en 2002, avec un visa touristique, j’étais donc sans-papiers un mois plus tard.

Mon expulsion survient au moment où j’ai entamé un double cursus universitaire pour l’année académique 2011-2012 – une chance inouïe. Une thèse de doctorat en sciences de l’éducation dans la spécialité « éducation tout au long de la vie », en plus d’un master 2 en sociologie que j’ai consacré aux opportunités d’apprentissage en milieux défavorisés. Les sans-papiers en Ile-de-France formaient mon champ de recherche principal.

Mon unique but est de finir ma thèse et ensuite réussir ma réinsertion en Algérie à la fin de mon projet. Pour éventuellement décrocher un poste d’enseignant-chercheur dans une université algérienne et de travailler sur les questions éducatives et sociales dans ce pays.

J’ai pensé que mon travail de thèse ne sera qu’un pas vers l’édition d’un petit ouvrage destiné aux enseignants algériens pour les faire bénéficier de mon expérience et pourquoi pas se lancer dans un projet commun éducatif en Algérie.

A Paris, pour subvenir à mes besoins, j’ai travaillé comme vendeur au marché Clignancourt le week-end, et les autres journées de la semaine je les consacrais pour mes études et mes recherches universitaires. Le marché n’était pas seulement un lieu de travail, mais aussi le terrain de mes investigations pour ma recherche.

Ma trajectoire semble typique pour deux raisons : c’est celle d’un immigrant sans statut légal et aussi celle d’un enseignant qui n’a pas un profil universitaire classique.

 

La rétention, une immersion 

Mais mon projet a été anéanti par l’arbitraire et la maladresse humaine, après un simple contrôle d’identité dans un train à la gare de Bellegarde (Ain) un 31 octobre 2011. Après un mois de rétention, j’ai été reconduit à la frontière le 31 décembre de la même année.

Malgré mon expulsion, je n’ai pas cessé de travailler. Y compris durant ma rétention au centre de Lyon Saint-Exupéry où j’ai réalisé quelques petits entretiens formels et informels avec des retenus, les bénévoles de l’association « Forum réfugié »  et des policiers pour enrichir ma recherche : ce mois d’enfermement était aussi une immersion dans le monde des sans-papiers.

Je continue à présent à travailler chez moi en Algérie ma thèse, loin du champ de ma recherche négocié et discuté avec mon directeur de thèse avant ma rétention. Je me vois aussi déterminé à avancer malgré une documentation dérisoire en ma possession qui ne répond pas aux attentes de ma recherche.

La justice a affiché un mépris pour le savoir

J’étais victime tout simplement d’une décision injuste imposée par la logique des quotas. La justice, à travers son attitude, a affiché à mon avis un grand mépris et un net désintérêt pour le savoir. Elle n’a prêté aucune considération à mon parcours universitaire, aucun respect à la dignité de l’université qui m’a formé et envers les personnalités politiques et universitaire qui m’ont apporté leur soutien.

Pendant mon passage en justice et lors des interrogatoires, et de mes entretiens avec la police, tout le monde soutenait d’une manière implicite ou explicite que mon retour en France ne serait qu’une formalité vu mon inscription en thèse. En vain.

J’ai reçu tout au long de ma rétention le soutien de la famille universitaire (enseignants, chercheurs, présidents d’universités et syndicat UNEF) sans oublier la ligue des droits de l’homme et des hommes politiques (président de la région Rhône-Alpes et le député socialiste Jean-Louis Touraine). Dans un courrier, mon directeur de thèse s’excuse au sujet de l’expulsion injuste dont je suis la cible et décide de me renouveler sa confiance par un avis favorable pour une réinscription pour l’année académique 2012-2013.

Je ne mérite pas une telle fin

Comment laisser passer une telle chance après avoir été formé en France et après avoir payé les frais de scolarité pour un double cursus ? N’aurai-je pas le droit à une deuxième chance ?

Mon séjour à l’étranger est très bénéfique pour plus d’un titre. J’ai réussi un projet d’études, je me suis familiarisé avec de nouveaux savoirs éducatifs, j’ai mis un pied dans le monde de la recherche et j’ai amélioré mon niveau de français, moi qui a pour langue maternelle le kabyle et avoir enseigné pendant treize années en langue arabe.

Privé de mes études, de la bibliothèque, privé des compétences de mon directeur de thèse nécessaires à ma recherche, éloigné du champ de recherche, devenu chômeur par la force des choses dans un pays ravagé par le chômage, il ne reste que l’opinion pour lancer un cri de détresse.

Je sais qu’à travers tout ça, je ne mérite pas une telle fin. Je ne suis pas resté les bras croisés depuis mon expulsion. J’ai déposé en mars 2012 une demande de visa d’études. Hélas, elle m’a été refusée sans motif.

J’aimerais alerter l’opinion et les responsables politiques sur un problème personnel et qui est aussi un problème de société. J’attends de vous un soutien et redonner ainsi par votre participation à l’université française son honneur, sa fierté très bafouée par les années Sarkozy et aussi rendre justice aux gens sans défense. Notre combat ne sera que celui des droits de l’homme et celui des valeurs démocratiques. 

Rue89 

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