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Ivoire: le commerce qui scelle la mort de l’éléphant d’Afrique

Ivoire: le commerce qui scelle la mort de l’éléphant d’Afrique

Port de Mombasa, début avril 2012. Des employés duKenya Revenue Authority, l’administration fiscale kenyane, inspectent un conteneur, que personne n’a réclamé et qui gît sur place depuis plus de trois ans.

A l’intérieur, ils vont découvrir de l’ivoire. Une saisie identique à celle réalisée, tout aussi par hasard, en décembre 2011 sur le même port de Mombasa.

Depuis 2009, un véritable tsunami de saisies de plusieurs tonnes d’ivoire s’est emparé des ports est-africains de Mombasa au Kenya  et de Dar es-Salaam en Tanzanie, sans oublier l’aéroport international de Nairobi.

Le boom du commerce de l’ivoire entraînant ces découvertes en série.

Personne n’est dupe, surtout pas l’IFAW, le Fonds international pour la protection des animaux. Cet organisme tire depuis de nombreuses années le signal d’alarme face à une situation qui ne cesse de se dégrader.

60.000 dollars pour un kilo d’ivoire

Les effectifs d’éléphants et de rhinocéros d’Afrique centrale et de l’Est diminuent irrémédiablement sous le poids du braconnage.

Sur les marchés asiatiques, chinois surtout, l’ivoire est courtisé pour des vertus médicinales. Certains sont prêts à payer le prix fort : jusqu’à 60.000 US dollars le kilo pour une corne de rhinocéros!

Dans ces conditions, conscients du gain à en tirer, certains Est-africains ne se posent pas de question et tuent les éléphants afin de leur retirer leurs défenses, découpées le plus souvent à la tronçonneuse.

Au Kenya, parmi les braconniers opérant dans les pars et réserves, se trouvent de plus en plus de Somaliens.

Trois d’entre eux ont encore rejoint, il y a quelques semaines, la déjà longue liste de leurs compatriotes arrêtés au Kenya. Ils étaient en possession d’importantes sommes d’argent en liquide et de 26 kilos d’ivoire. Ils sont accusés d’avoir pris part au braconnage sévissant dans la réserve du Masaï Mara, dans le sud-ouest du Kenya.

Kelvin Alie, le directeur du programme d’IFAW sur le commerce des espèces sauvages, insiste sur l’ampleur du phénomène :  

«Lorsque l’on considère les milliers de défenses d’éléphant saisies ces derniers mois, nous devons immédiatement nous questionner quant au nombre de défenses qui passent entre les mailles du filet des contrôles». 

Le Kenya et la Tanzanie surveillent leurs parcs nationaux et emprisonnent les braconniers arrêtés.

La Tanzanie veut même durcir la peine d’emprisonnement, qui est d’une année actuellement.

Les rangers kenyans, eux, doivent lutter avec des braconniers armés de kalachnikovs, qu’ils utilisent à la fois pour se défendre et tuer les éléphants. Les fusillades dans l’ouest du pays sont courantes: plusieurs braconniers ont encore été abattus en avril.

La RDC, livrée à tous les trafics

Mais ce qui préoccupe surtout l’IFAW et toutes les organisations de protection de la faune, c’est la vaste République démocratique du Congo  et ses 2 millions de km2, livrée à tous les trafics, des minéraux et aussi de l’ivoire.

C’est de là que viendrait une bonne part de l’ivoire, retrouvé dans les ports est-africains, mais aussi d’Afrique du Sud.

Il est très difficile d’avoir des retours de ce qui s’y passe, en raison de l’étendue de la zone en question et du manque criant d’infrastructures, mais certaines découvertes viennent malheureusement appuyer ces craintes.

L’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN) a en effet retrouvé, mi-avril dans le Parc national de la Garamba dans le nord-est de la RDC, 22 éléphants morts  auxquels les défenses avaient été retirées.

Les cadavres des éléphants laissent apparaître qu’ils ont été tués d’une balle dans la tête.

Selon divers témoignages recueillis par l’ICCN, un hélicoptère survolant la zone aurait été aperçu quelque temps avant les assassinats des éléphants. Certains soupçonnent un repérage afin de les localiser. Une logistique importante mais qui se justifie si l’on regarde la flambée des prix de l’ivoire.

Ces éléphants tués viennent en tout cas plomber les efforts de deux Espagnols, qui gèrent le parc depuis 2005, et dont la ténacité a été couronnée par l’ouverture d’un lodge en 2010, accueillant des groupes de touristes venus découvrir la faune.

Plus grave encore, l’ICCN estime par ailleurs à au moins 500 le nombre d’éléphants tués depuis dans le seul Parc de la Virunga, depuis 2010.

Ce parc de la province du Kivu, longtemps menacé, renaît pourtant grâce aux efforts d’une ONGqui y protège les derniers spécimens de gorilles des montagnes.

Le Virunga avec ses 800.000 hectares couvre une immense zone, montagneuse et difficilement accessible.

Direction la Chine, via la Malaisie

Tous ces éléphants tués pour leur ivoire ont en tout cas une destination commune, après les ports et aéroports est-africains par lesquels transitent les défenses.

Le relevé détaillé de l’IFAW –  des cargaisons d’ivoire saisies en 2011 le montre clairement: c’est en Malaisie que se poursuit le voyage. Sa destination finale étant la Chine, où l’ivoire est vendu librement.

Kelvin Alie le confirme:

«Il semble évident que la Malaisie est devenue un point de transit majeur dans le commerce de l’ivoire mais il y a de nombreux autres points de passage tels que Singapour ou le Vietnam. La demande, émanant de Chine, est de toute évidence insatiable».

Selon certains observateurs, le nombre toujours croissant d’expatriés chinois vivant sur le continent ne serait pas étranger à l’essor du commerce de l’ivoire. Ils serviraient d’intermédiaire avec leur pays, quand ils ne travaillent pas pour eux-mêmes.

Un reportage, diffusé au début du mois d’avril sur la BBC, montre ainsi un chinois essayant de vendre, sur l’un des marchés de la capitale congolaise Kinshasa, une défense d’éléphant d’1,50 m pour 10.000 US dollars. 

La plupart du temps, les défenses sont dissimulées dans des containers de poissons frigorifiés ou de vêtements.

Selon différentes estimations, entre 50.000 et 100.000 containers entrent chaque mois dans les ports de Malaisie, où une infime partie est inspectée.

Le trafic d’ivoire est soupçonné de bénéficier des réseaux des trafiquants de drogue internationaux : le système mis en place pour son transport est extrêmement complexe. D’où les difficultés rencontrées par les autorités pour saisir les défenses.

Agir avant qu’il ne soit trop tard

James Isiche, le directeur régional d’IFAW pour l’Afrique australe, espère une réaction des pays africains :

«Cette situation doit inciter les autorités responsables de la faune sauvage et les États africains de l’aire de répartition des éléphants à agir aujourd’hui, car demain il sera trop tard pour sauver les éléphants».

Au Kenya et en Tanzanie, on prend le problème à bras-le-corps.

C’est l’économie touristique qui en dépend. Près d’un million de touristes visitent chaque année ces deux destinations phares du safari-photo.

S’il est prévu de lutter contre la corruption des gardiens des parcs, parfois de mèche avec les braconniers, certains des éléphants du Kenya sont déjà équipés de GPS  afin de les localiser et de garantir leur sécurité.  

Arnaud Bébien 

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