Le parti islamiste d’Ennahda, au pouvoir en Tunisie depuis l’automne 2011, peine à stabiliser le pays deux ans après la révolution et joue sa survie face à une série de crises politiques et sociales ainsi qu’à des violences orchestrées par des extrémistes salafistes.
L’impasse est illustrée par un conflit ouvert au sein même d’Ennahda: le numéro deux et chef du gouvernement Hamadi Jebali a été désavoué dans son camps après avoir annoncé en urgence la formation d’un cabinet apolitique, réclamé par son allié laïc, le président Moncef Marzouki, et l’opposition.
L’annonce est intervenue dans un climat particulièrement tendu après l?assassinat de Chokri Belaïd, un farouche opposant aux islamistes. Cet acte sans précédent dans la Tunisie contemporaine risque de faire basculer le pays dans le chaos d’une violence politique croissante et décriée.
« Les autorités savaient que Chokri Belaid était menacé et n’ont rien fait », a déclaré à l’AFP le chef du parti Républicain Ahmed Néjib Chebbi, révélant figurer lui-même dans une liste de personnalités politiques menacées de mort.
M. Chebbi s’inquiète dès lors de la « menace pesant sur la paix civile » et du « risque de voir la transition démocratique compromise », d’autant qu’aucune compromis n’est en vue sur la Constitution, ce qui empêche toute élection.
Son parti s’est allié à un front de l’opposition laïque réitérant l’urgence de dissoudre les milices pro-Ennahda dites « Ligues de protection de la révolution » (LPR).
Mais le pouvoir a fait la sourde oreille aux appels de dissolution de ce groupe responsable d’une attaque spectaculaire en décembre contre le siège de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT, principal syndicat de masse) et du meurtre en octobre de Lotfi Naguedh, un opposant battu à mort dans le sud.
Les ultras d’Ennahda ont même choqué en appelant à la libération des suspects dans ce meurtre.
Besma Khalfaoui, la veuve de M. Belaïd, a aussi accusé le gouvernement de l’assassinat de son mari, alors que des manifestations ont eu lieu aux cris de « Le peuple veut la chute du régime » dans Tunis et plusieurs régions du pays, où des locaux d’Ennahda ont été saccagés par la foule en colère.
« Assumer l’échec »
Ennahda est aussi confronté à des poussées de violences sociales réprimées ces derniers mois par la police, alors que le chômage et la misère, détonateurs du soulèvement qui emporté le régime de Zine El Abidine Ben Ali en janvier 2011, continuent de miner le pays.
« Les citoyens sont saignés à blanc, le gouvernement doit assumer l’échec », a prévenu Hamma Hammami, dirigeant communiste.
En outre, le tourisme, fer de lance de l’économie et sinistré depuis la révolution, peine à se relever tant l’image du pays a été écornée par les attaques orchestrées par les extrémistes salafistes contre des bars, des mausolées et des artistes ces derniers mois.
Les enquêtes piétinent et Abou Iyadh, le chef du groupe jihadiste Ansar Al-Charia soupçonné d’avoir organisé l’attaque contre l’ambassade américaine, qui a fait quatre morts parmi les assaillants en septembre, échappe toujours à la police.
La menace extrémiste est d’autant plus importante que le ministère de l’Intérieur a établi un lien entre les partisans d’Abou Iyadh et les groupes armés liés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) qui affrontent la police dans les maquis du centre et nord ouest limitrophes de l’Algérie.
Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en Libye voisine, la Tunisie est aussi devenue une plaque tournante du trafic d’armes, dont d’importantes quantités ont été découvertes en janvier dans le sud, aux portes du Sahara.
Enfin, l’opposition laïque accuse Ennahda de chercher à orchestrer une islamisation rampante de la société et de tenter de juguler la liberté de la presse.
AFP