Dans sa célèbre autobiographie « La Ferme africaine » l’écrivain danoise Karen Blixen évoque léopards et lions qui rôdent dans la plantation de café qu’elle exploite entre 1914 et 1931 au pied des Ngong Hills, près de Nairobi, alors bourgade de quelques dizaines de milliers d’âmes.
Le lieu est désormais le quartier Karen, une banlieue cossue de la capitale kényane passée en un siècle de petite gare ferroviaire à métropole de trois millions d’habitants constamment embouteillée. Mais l’expansion urbaine n’empêche pas les grands félins de continuer à y pointer de temps à autres leurs moustaches.
A sept km des tours de bureaux du centre-ville, une simple clôture sépare la capitale du Parc national de Nairobi, vaste étendue sauvage de 117 kilomètres carrés (un peu plus grande que Paris intra-muros) où félins sauvages, buffles ou rhinocéros vagabondent librement, offrant parfois le spectacle surprenant de girafes arpentant une vaste savane avec des gratte-ciel en arrière-plan.
« Les incursions de plus en plus fréquentes (de lions dans la ville) font augmenter le risque » d’attaques contre des humains, même si elles n’ont visé jusqu’ici que des chiens, explique Francis Gakuya, vétérinaire en chef du Service kényan de la Faune (KWS), à son siège de Nairobi.
Derrière lui, quatre lionceaux, confiés aux vétérinaires du KWS, tournent dans leur cage, grognant et feulant, lâchant parfois un rugissement étonnamment puissant pour des petits d’à peine deux mois mais déjà de la taille d’un petit chien.
Leur mère, repérée dans Karen avec sa progéniture, a dû être abattue par les garde-forestiers du KWS, qui n’ont pas eu le temps de l’anesthésier avant qu’elle ne les attaque. En mai, une autre lionne avait été capturée dans Karen, mais a depuis réussi à s’échapper et a sans doute rejoint le Parc.
Le KWS a récemment appelé les habitants des quartiers qui le jouxtent à la vigilance « car il est possible que plus d’un lion soit sorti du Parc ». Et les félins ne se sont jusqu’ici pas laissé prendre au piège des cages à appâts, suscitant l’inquiétude chez les habitants.
« Les lions peuvent se cacher au point d’être invisibles dans les herbes hautes. C’est effrayant de penser qu’ils peuvent être tapis à proximité, prêts à bondir », s’inquiète Mary Okello, qui vit non loin de l’endroit où des lions ont récemment été capturés.
Excepté côté ville, le Parc est totalement ouvert, permettant la migration annuelle des animaux sauvages. Zèbres et gnous migrent traditionnellement hors du Parc par des itinéraires informels, suivis par les félins carnivores en quête de proies, mais l’urbanisation galopante rapproche la ville et les hommes de ces routes.
« Les lions sont décimés »
« Certains animaux ne trouvent plus leur chemin et s’égarent », s’inquiète Nicholas Oguge, président de la Société d’Ecologie pour l’Afrique de l’Est, une ONG, qui souligne la « nécessité urgente » d’une politique foncière.
« Si l’on ne met pas en place des couloirs formels pour les animaux sauvages, le Parc national de Nairobi va devenir une île, un énorme zoo fermé », prévient M. Oguge, également professeur à l’Université de Nairobi.
Selon les défenseurs de la nature, la protection de la faune sauvage ne fait pas partie des priorités de la municipalité, confrontée aux inégalités criantes d’une ville où se côtoient villas cossues et bidonvilles sordides et dont infrastructures et services publics sont dépassés par la croissance démographique.
A travers l’Afrique, les lions ont perdu plus de 80% de leurs territoires historiques et « le Parc national de Nairobi est une image en réduction de ce qui ce passe ailleurs », regrette Luke Hunter, président du groupe Panthera de protection des félins sauvages.
« Dans les zones protégées, les l
ions se portent bien (…) mais ailleurs ils sont décimés », ajoute-t-il.
Les responsables de KWS et d’autres organisations de protection de l’environnement travaillent à l’établissement de couloirs protégés pour la faune sauvage, notamment en référençant les principaux itinéraires suivis. « La difficulté est que toute la terre au sud de Nairobi appartient à des gens », explique Paul Mbugua, le vice-directeur de KWS.
Outre qu’elle est très chère, la terre au Kenya est une question hautement politique. Le sujet a été un important facteur des violences post-électorales de 2007 et créer des couloirs protégés est plus compliqué que de simplement tracer une ligne sur une carte.
« Les lions respectent et craignent les hommes et cherchent à s’en écarter », rappelle M. Hunter, mais « avec l’urbanisation de zones importantes pour les lions, les humains et les lions vont se mélanger de plus en plus (…) et de ce mélange, le lion sort inévitablement perdant ».
AFP