L’annonce d’une trêve humanitaire par le gouvernement fédéral éthiopien du Premier ministre Abiy Ahmed, acceptée sous conditions par les rebelles tigréens du Front de libération du Peuple du Tigré (TPLF) annonce-t-elle la paix en Ethiopie, après bientôt 17 mois de conflit?
Pourquoi cette trêve maintenant?
Les pressions diplomatiques se sont récemment accentuées, illustrées notamment par la visite en Ethiopie cette semaine de l’envoyé spécial américain pour la Corne de l’Afrique, David Satterfield.
« Les pressions internationales ont joué leur part dans cette décision. L’Ethiopie rencontre des difficultés économiques en raison de la guerre et des négociations se déroulaient en coulisses » entre belligérants, explique à l’AFP Awet Weldemichael, expert de la Corne à la Queen’s University (Canada).
« Les partenaires internationaux de l’Ethiopie réclament unanimement une solution politique au conflit » et les « prêts et engagements de dépenses extérieurs sont au plus bas depuis cinq ans », rappelle le centre de réflexion Eurasia Group.
Un projet de loi américain autorisant des sanctions ciblées en Ethiopie, mais limitant aussi l’aide des institutions financières internationales ou des organismes américains de développement, est scruté de près dans le pays.
Ces pressions interviennent en outre « au moment où l’Ethiopie connaît une de ses pires crises alimentaires depuis des décennies », avec « près de 30% de sa population ayant besoin d’aide alimentaire; or l’Ethiopie ne peut pas faire face à une crise alimentaire sans aide internationale », rappelle René Lefort, chercheur indépendant et spécialiste de la Corne de l’Afrique.
De son côté, « le TPLF a dû mettre de l’eau dans son vin car la situation est catastrophique au Tigré », quasiment privé d’aide humanitaire depuis mi-décembre.
« Mais un des facteurs les plus importants », pour M. Lefort, « est qu’Abiy Ahmed a dû passer le Tigré par pertes et profits. Son front principal désormais est contre (les rebelles oromo de) l’OLA (Oromia Liberation Army) et les radicaux amhara. Depuis quelques mois, il y a un changement de priorité pour Abiy Ahmed ».
Les convois d’aide vont-ils pouvoir désormais accéder au Tigré?
« Pas sûr que les convois reprennent rapidement », estime une source humanitaire, les populations de l’Afar refusant, tant que le TPLF ne s’en retire pas, de laisser passer les camions sur la route reliant Semera, capitale de l’Afar, et Mekele, celle du Tigré.
Le gouvernement éthiopien a conditionné la trêve au retrait du TPLF des zones qu’il occupe dans les régions de l’Amhara et de l’Afar. Quant au TPLF, il a accepté de cesser les hostilités sous réserve que l’aide arrive au Tigré.
Le TPLF est prêt à évacuer l’Afar, pensent les observateurs. « La trêve devrait être suivie, sauf sous l’effet de facteurs locaux, notamment en Afar: le gouvernement afar a peu de contrôle sur le territoire afar. Il aura du mal à empêcher la population, qui elle aussi a faim, de bloquer les convois », estime René Lefort.
Les observateurs estiment en revanche peu probable que le TPLF évacue les zones de l’Amhara et que les responsables amhara ouvrent leur route vers le Tigré aux convois humanitaires.
La trêve peut-elle mener à un cessez-le-feu durable?
La trêve rend un peu plus envisageable un cessez-le-feu durable, estiment les analystes de l’Eurasia Group, mais leur scénario privilégié à court terme reste une reprise des combats de basse intensité, « même si les principaux acteurs n’envisagent plus une victoire militaire totale ».
La trêve sert « à tenter de bâtir de la confiance entre TPLF et gouvernement fédéral, mais un cessez-le-feu total et durable reste improbable à court terme, en raison des positions intransigeantes des deux parties sur certaines questions ».
Le rétablissement rapide des services de base – électricité, télécoms, banques… – au Tigré, ainsi que le retrait du TPLF de la liste des « groupes terroristes » sera un test de la bonne volonté du gouvernement éthiopien.
La trêve pourrait « être un tournant, tout dépendra si elle animée de bonnes intentions », résume Awet Weldemichael. « J’espère que c’est un point de départ à des pourparlers, mais ce n’est pas très prometteur ».
Quels sont les obstacles à la paix?
Même si un cessez-le-feu durable s’installe avec le TPLF, celui-ci n’est pas le seul acteur dans le nord de l’Ethiopie.
Le gouvernement fédéral fait face à la contestation croissante d’une partie de l’élite amhara que des différends territoriaux opposent au TPLF dans l’ouest du Tigré: y sont présentes des forces régionales amhara n’étant pas sous contrôle direct du gouvernement fédéral.
« Pour une partie des Amhara, il faut aller jusqu’à Mekele écraser le TPLF. Or autoriser des convois humanitaires vers le Tigré, c’est renoncer à cette reconquête militaire et donc laisser le TPLF en place », explique René Lefort qui souligne aussi le « danger militaire » que représente l’OLA.