Le musée londonien du V&A célèbre à partir de samedi la mode africaine, dans sa première grande exposition consacrée à l’infinie créativité des stylistes du continent.
« Nous voulions célébrer l’incroyable scène de la mode africaine aujourd’hui », a expliqué à l’AFP Elisabeth Murray qui a participé à la conception de l’exposition.
« Evidemment, c’est impossible de résumer un continent de la mode, donc le but de l’exposition est vraiment de donner un aperçu du glamour et de la politique de la scène de la mode », a-t-elle poursuivi.
Créé en 1852, à une époque où le Royaume-Uni étendait son empire, le V&A Museum est dédié à l’art et au design. Mais, fait remarquer la conservatrice Christine Checinska, « la créativité africaine a été grandement exclue ou mal représentée en raison de la division historique entre les musées d’art et d’ethnographie qui résulte de nos racines coloniales et de principes racistes ancrés ».
Ces dernières années, les mouvements antiracistes dont Black Lives Matter ont poussé le Royaume-Uni à réfléchir sur le rapport à son passé colonial, des collections de ses musées aux statues et monuments.
« Africa Fashion » est la plus vaste exposition jamais consacrée à la mode africaine au Royaume-Uni.
Elle s’ouvre avec l’ère de l’indépendance, des années de libération et de grande transformation politique, sociale et culturelle.
– Vêtement politique –
Quand s’habiller peut être un acte politique, à l’exemple du Premier ministre du Ghana Kwame Nkrumah qui, en 1957, s’affiche en pagne en kenté, tissu traditionnel coloré et épais.
Juste après avoir annoncé l’indépendance du pays, il délaisse ainsi le costume européen dans un geste symbolique.
Aujourd’hui encore, le choix de porter telle couleur ou tel motif revêt des significations précises.
Aso oke, ankara, bogolan… Un large éventail de tissus est produit sur le continent africain avec des matériaux et des techniques très divers.
Comme l’a dit un jour le sculpteur El Anatsui, en écho à l’artiste Sonya Clark: « Le tissu est à l’Africain ce que les monuments sont aux Occidentaux ».
Des étoffes qui sont réinventées aux goûts du jour à l’image de l’adire, un tissu teint à l’indigo traditionnellement produit dans le sud-ouest du Nigeria et aujourd’hui popularisé par des marques telles que Maki Oh, Lagos Space Programme et Orange Culture.
Sur deux niveaux se côtoient les créations de stylistes emblématiques du milieu du XXe siècle dont le Nigérien Alphadi, le Malien Chris Seydou ou la Nigériane Shade Thomas-Fahm, aux côtés de créateurs contemporains comme la Nigériane Bubu Ogisi, dont la marque IAMISIGO met à l’honneur tissus et techniques issus du continent.
L’esthétique minimaliste des marques Katush, basée au Kenya, ou Moshions au Rwanda, contredit les présupposés d’une mode africaine qui déborderait de couleurs et de motifs.
Dans ce catalogue très éclectique, « il y a un lien qui relie tout cela, c’est la passion de la culture », dit à l’AFP le styliste Artsi Ifrach.
« L’idée est de provoquer les souvenirs des gens (…) de leur faire ressentir quelque chose », ajoute le créateur.
Pari réussi avec la pièce qu’il a spécialement réalisée pour l’exposition, conçue à partir d’un trenchcoat typique de la garde robe britannique et transformé en une burqa dorée et surdimensionnée.