Représentant permanent de la Côte d’Ivoire auprès des organisations internationales des produits de base depuis 2011 (basé à Londres) et Porte-parole des Pays producteurs de Cacao de l’ICCO, l’Ambassadeur Aly Touré a été élu président du Conseil de ladite Organisation depuis septembre 2020. Dans cette interview, il évoque son histoire avec le cacao, ses missions et le fonctionnement de l’institution qu’il dirige.
Diasporas-News : Excellence, quelle est la place du chocolat dans votre quotidien ? Consommez-vous le chocolat ? Noir, Blanc ?
Aly Touré : Conformément aux orientations de S.E.M. Alassane Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire, relatives à la promotion et la consommation du binôme café-cacao, je consomme du chocolat et du café au quotidien. Par ailleurs, c’est aussi le lieu d’indiquer qu’eu égard aux effets bénéfiques du chocolat noir, je conseille à tout le monde d’en consommer pour leur bien-être. La consommation régulière de chocolat noir, avec un pourcentage de cacao supérieur à 70 %, peut nous aider à rester alertes et éveillés, facilitant ainsi l’apprentissage grâce à sa teneur en flavonoïdes (Ils constituent un complément alimentaire. Ils sont des substances présentes dans les plantes et sont à l’origine des teintes brunes, rouges et bleues des fleurs et des fruits).
Diasporas-News : Consommer du chocolat noir est donc bénéfique pour notre santé…
A.T: Absolument ! Le chocolat noir consommé quotidiennement peut apporter de grands avantages pour notre santé. Il peut réduire le risque d’accident vasculaire cérébral. Il aide à renforcer le cœur, combat le diabète, est bon pour la peau en ce sens que c’est un aliment riche en flavonoïdes, améliore la circulation sanguine, et peut stimuler l’intelligence. Enfin, Le chocolat est un aliment qui a la capacité de nous aider à combattre le stress et augmenter notre bien-être grâce à la production d’endorphines.
D-N : L’ICCO que vous dirigez est une organisation composée de producteurs, de consommateurs, de multinationales, du secteur privé, des structures d’encadrement technique de la filière cacao et des ONG… Votre tâche est-elle aisée ?
A.T: L’ICCO est une institution inter gouvernementale créée en 1973 sous les auspices des Nations unies et fonctionnant dans le cadre d’Accords Internationaux successifs sur le Cacao (1973, 1980, 1993,2001, et 2010). Nous sommes à notre cinquième accord qui date de 2010. Notre tâche n’est pas aisée mais l’exercice est passionnant. L’ICCO est effectivement une organisation composée de producteurs, de consommateurs, de multinationales, du secteur privé, des structures d’encadrements technique de la filière et des ONG dont les acteurs de la chaine de valeur du cacao échangent et ambitionnent de créer les conditions d’une économie cacaoyère durable en y apportant leurs expertises et expériences.
D-N : Peut-on affirmer que l’économie cacaoyère mondiale repose sur vos épaules ?
A.T: L’économie cacaoyère repose sur les épaules des acteurs de la chaine de valeur du cacao c’est-à-dire du producteur de cacao au chocolatier qui produit le chocolat.
D-N : Avez-vous une histoire personnelle avec le cacao ?
A.T: Oui dans la région du Guémon précisément à Duékoué (Ouest de la Cote d’Ivoire). C’est ici le lieu de rendre hommage à mon grand-père (Fanny YA – Paix à son âme) qui avait des plantations de cacao et qui m’emmenait avec lui dans ses plantations pendant les vacances scolaires. Ce fut des moments de joie et de bonheur.
D-N : Dans quel état avez-vous trouvé l’organisation de 51 pays que vous dirigez depuis votre nomination, il y a quelques mois ? Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face ?
A.T: L’Organisation Internationale du Cacao (ICCO) se porte bien et les défis sont énormes. En effet, les priorités sont multiples : Il s’agit pour nous d’œuvrer à l’avènement d’une économie cacaoyère durable. Une durabilité économique, environnementale et sociale de la chaine de valeur du cacao et l’amélioration des conditions de vie des producteurs de cacao. Lors de la session de septembre 2019, nous avons adopté le plan d’action stratégique 2019-2024 qui est un plan très ambitieux puisqu’il parle de l’amélioration du revenu des producteurs et de tous les sujets qui se rapportent à la durabilité de l’économie cacaoyère mondiale. C’est le lieu d’indiquer qu’en janvier 2021, la commission consultative sur l’économie cacaoyère durable qui est un organe de l’ICCO a tenu une session extraordinaire en vue d’échanger sur la notion de revenu décent. Vous voyez que le programme est chargé pour cette année cacaoyère 2020-2021. Enfin, il nous faut réviser notre présent accord en vue de l’adapter à l’environnement actuel de l’économie cacaoyère mondiale. Beaucoup d’initiatives sont en cours sur la durabilité et l’ICCO participe activement à toutes ces discussions. Comme dans toutes les discussions multilatérales, les difficultés surgissent et il nous appartient de les surmonter.
D-N : Comment fonctionne réellement l’ICCO ?
A.T: Conformément à l’article 7 alinéa 1 de l’Accord International de 2010 sur le Cacao, le Conseil exerce tous les pouvoirs et s’acquitte ou veille à l’accomplissement de toutes les fonctions qui sont nécessaires à l’application des dispositions expresses dudit Accord. Le Conseil est l’Organe suprême de l’Organisation et donc les missions consistent à créer les conditions de la mise en œuvre des décisions et directives de manière consensuelle en vue d’une économie cacaoyère mondiale durable. En plus du Conseil, nous avons d’autres organes : La commission consultative, le Comité Economique, et le Comité Financier.
D-N : Quelles sont vos principales missions ?
A.T: L’ICCO vise à promouvoir et à soutenir la durabilité économique, environnementale et sociale de la chaine de valeur du cacao et en particulier à l’amélioration des conditions de vie des producteurs de cacao. Améliorer les revenus des cacaoculteurs ; Mettre en œuvre et soutenir les systèmes agro forestiers ; Mettre en œuvre et soutenir les Plans Nationaux de développement cacaoyer ; Encourager la transformation locale et la consommation locale du cacao. Et enfin, améliorer le dialogue politique et la coopération entre tous les acteurs du secteur et de la chaine de valeur.
D-N : La grave crise sanitaire liée à la Covid-19 a-t-elle un impact sur vos activités ?
A.T: Cette pandémie a fait des dégâts partout. En ce qui concerne le cacao, les pays producteurs d’Afrique, d’Asie et des Amériques ont été secoués par cette pandémie. En Europe et en Amérique du Nord, la consommation et les broyages ont aussi été impactés. Au cours de la session de septembre 2020, La Côte d’Ivoire a proposé au Conseil une étude relative à l’impact de la Covid19 sur le secteur mondial du cacao et les mesures d’atténuation. Il s’agira in fine de mobiliser les institutions clés comme la FAO, la banque mondiale, la commission européenne et les donateurs en général en vue de recueillir un fonds de soutien aux petits producteurs de cacao. Avec l’apparition de la pandémie de covid19 et son impact sur les activités cacaoyères et le bien être des producteurs, il est devenu nécessaire de lancer un appel urgent aux partenaires de développement, tels que l’Union Européenne pour qu’ils apportent un soutien immédiat.
L’actuelle pandémie de covid19 a fait apparaitre un fait incontestable.
D-N : Lequel ?
A.T: La structure actuelle du secteur agricole ne fonctionne pas bien pour les petits exploitants. Faire face à l’impact de la covid19 nécessite donc une approche multidimensionnelle capable de fournir des solutions qui permettent aux pays producteurs non seulement de surmonter les impacts actuels mais aussi de tracer la voie d’un développement durable dans lequel des emplois seront créés, la sécurité alimentaire et nutritionnelle de la population rurale sera assurée et les gouvernements seront en mesure d’atteindre les objectifs de Développement durable de l’ONU. La crise de la Covid19 est déjà un sérieux obstacle à la réalisation de l’ODD-1 (éradication de la pauvreté rurale) et menace l’ODD-2 de l’ONU (assurer la sécurité alimentaire).
D-N : La Côte d’Ivoire, leader mondial du cacao, propose une production mondiale à hauteur de 40%. Paradoxalement, les planteurs et les producteurs grognent. Sont-ils rémunérés à leur juste valeur ?
A.T: Cette question, il faut la poser à la structure de régulation en charge de la filière café-cacao de la Côte d’Ivoire, c’est-à-dire le Conseil du Café et du Cacao. Elle est habilitée et outillée pour répondre à cette question. L’ICCO n’est ni un organe de régulation, ni une agence de développement et n’est impliquée dans aucune transaction financière. Enfin, l’ICCO ne se mêle pas de questions qui relèvent de la souveraineté des Etats.
D-N : Les deux poids lourds du cacao mondial (Côte d’Ivoire & Ghana) ont récemment sorti les griffes et remporté une bataille baptisée « la guerre du cacao » contre les multinationales Mars et Hershey. Quel est votre regard face à cette situation ?
A.T: L’ICCO estime qu’il s’agit d’un différend entre entités privées et gouvernements donc vous comprendrez que ce sont des affaires qui ne relèvent pas des compétences de notre Organisation. Nous accompagnons les Etats Membres mais nous ne nous mêlons pas de leurs activités.
D-N : Quels seront vos défis à relever en 2021 ?
A.T: Plusieurs défis : La renégociation de l’Accord International de 2010 sur le Cacao. Cet Accord qui est entré en vigueur en 2012 expire en 2022 et conformément aux dispositions dudit Accord, nous sommes en train de le réviser. Il y a aussi la question du revenu décent qui fait l’objet de consensus à savoir que toutes les parties prenantes de la chaine de valeur du cacao ont compris la nécessité de créer les conditions en vue d’une meilleure rémunération du producteur de cacao. Si nous voulons une économie cacaoyère durable, il faut que le producteur de cacao obtienne un prix juste, un prix équitable, enfin un prix qui lui permette de couvrir ses frais de production et de vivre dans la dignité. Enfin, conduire une étude sur l’impact de la COVID par rapport aux petits producteurs. Je voudrais terminer cette interview en souhaitant à tous les acteurs de la chaine de valeur du cacao, une très bonne et heureuse année 2021.
Entretien réalisé par Thomas De MESSE ZINSOU, paru dans le Diasporas-Newsn°123 de Mars 2021