Le président du Cameroun Paul Biya a ordonné jeudi la libération de 333 détenus, un « geste d’apaisement » à la veille de la clôture du Grand dialogue national, mais la perspective de ramener la paix dans les régions anglophones ravagées par un conflit meurtrier entre séparatistes et forces de l’ordre reste éloignée.
Ces assises, convoquées par le chef de l’Etat, ont également préconisé l’octroi d’un « statut spécial » aux deux régions de l’Ouest peuplées par la minorité camerounaise anglophone mais sans en spécifier, pour l’heure, la teneur exacte.
Cette proposition écarte de fait le fédéralisme demandé par les personnalités anglophones qui n’ont pas boycotté ces assises, boudées par la grande majorité des leaders des groupes armés indépendantistes.
La résolution sur un « statut spécial », comme d’autres, doivent être « transmises » au président Biya.
L’annonce par le Premier ministre, Joseph Dion Ngute, de la libération de 333 personnes « arrêtées à cause des troubles (…) dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest » a été accueillie par des applaudissements nourris au Palais des congrès de Yaoundé, où les délégués du Grand dialogue se réunissent jusqu’à vendredi.
Cette annonce est « une mesure d’apaisement » que M. Biya « a voulue pendant que nous continuons nos travaux », a ajouté M. Ngute.
Les personnes concernées avaient été arrêtées pour des « délits », a précisé la présidence dans un communiqué.
Plusieurs leaders séparatistes sont, eux, accusés de « terrorisme » ou de « sécession », et même condamnés à la prison à vie pour certains, comme Julius Ayuk Tabe, président autoproclamé de « la république d’Ambazonie », comme les sécessionnistes appellent l’Etat qu’ils veulent créer.
– Demande d’amnistie –
Le Grand dialogue avait été convoqué il y a deux semaines par M. Biya, 86 ans dont près de 37 au pouvoir, pour tenter de mettre un terme au conflit entre des groupes armés indépendantistes de la minorité anglophone et l’armée, qui a fait plus de 3.000 morts en deux ans, selon les ONG.
Aux participants ayant accepté de participer au dialogue sont venu se joindre 14 personnes, présentées par les organisateurs comme des séparatistes ayant déposé les armes.
Mais, en cinq jours de débat seulement, en l’absence des leaders des principaux groupes séparatistes qui la boycottent et parce que M. Biya avait d’emblée exclu même la proposition a minima d’un retour au fédéralisme, ce Grand dialogue a très peu de chance d’aboutir à la paix, estiment les politologues et les experts du Cameroun.
« Nous saluons la décision du président de relâcher 330 anglophones détenus, c’est un pas dans la bonne direction mais nous appelons à une amnistie générale pour tous ceux qui sont détenus et ceux de la diaspora qui font l’objet d’enquêtes », a déclaré à l’AFP l’avocat camerounais anglophone et défenseur des droits humains, Felix Agbor Nkongho, qui participe au grand dialogue, ouvert lundi.
Les combats, mais aussi les exactions commises contre les civils par les deux camps, ont fait également de nombreuses victimes parmi les civils, dont plus d’un demi-million ont fui leurs domiciles depuis le début du conflit il y a deux ans, selon les ONG.
Fin 2017, des revendications sociales des populations anglophones, qui s’estiment lésées par rapport aux huit régions francophones, se sont muées en un conflit meurtrier entre des groupes indépendantistes armés radicalisés et les forces de sécurité de l’Etat, resté sourd aux revendications.
Certains anglophones réclament le retour au fédéralisme qui prévalait jusqu’en 1972, mais les plus radicaux exigent l’indépendance.
La plupart des leaders séparatistes qui ont boycotté le Grand dialogue ont réaffirmé qu’ils voulaient bien négocier avec le gouvernement, mais pas au Cameroun, en présence d’un médiateur international, et à condition que les termes de la séparation soient le principal point à l’ordre du jour.