Plusieurs milliers d’étudiants ont encore défilé dans la capitale et dans plusieurs villes d’Algérie contre la 5e candidature du président Abdelaziz Bouteflika, tandis que l’armée a adressée une sévère mise en garde contre ceux qui, selon elle, veulent déstabiliser le pays.
A travers le pays, les manifestants ont une nouvelle fois réitéré mardi leur rejet quant aux promesses du chef de l’Etat de réformer et de ne pas aller au bout de son éventuel nouveau mandat.
Parallèlement, le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée, a averti que celle-ci serait la garante de la « sécurité » et la « stabilité » face à ceux –qu’il n’a pas nommés– qui veulent ramener l’Algérie aux années de guerre civile (1992-2002).
Washington a pour sa part réagi mardi pour la première fois depuis le début des manifestations en appelant les autorités algériennes à respecter le droit de manifester.
« Les Etats-Unis soutiennent le peuple algérien et leur droit à manifester pacifiquement », a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine, Robert Paladino.
« Hé Bouteflika, il n’y aura pas de 5e mandat » ou « Ramenez les commandos de l’armée et la BRI (unité d’intervention de la police), il n’y aura pas de 5e mandat », ont notamment chanté les étudiants toute la journée dans le centre d’Alger, applaudis par des passants et soutenus à coups de klaxons par les automobilistes.
Sans incident, des cortèges de milliers d’étudiants parfois accompagnés de leurs professeurs ont également défilé à Oran, Constantine et Annaba, les trois plus grandes villes du pays après Alger, ont constaté des journalistes de médias algériens sur place.
Des manifestations importantes se sont également déroulées à Béjaïa, Tizi-Ouzou et Bouira, principales villes de la région de Kabylie, dans le nord du pays, mais aussi à Blida (nord), Sétif (nord-est) ou Tlemcen (nord-ouest, selon les médias algériens.
Dans la capitale, où les manifestations, interdites depuis 2001, sont désormais quasiment quotidiennes depuis dix jours, les étudiants des différentes universités d’Alger se sont donné rendez-vous via les réseaux sociaux devant la Grande-Poste, bâtiment emblématique au coeur de la ville.
Dans une ambiance festive, ils ont défilé toute la journée à l’intérieur d’un périmètre bouclé par la police dans le centre d’Alger.
La police, déployée en nombre, a laissé faire, se contentant de faire évacuer sans heurts en fin d’après-midi la place de la Grande-Poste, devenue une immense agora de milliers de personnes.
Elle a aussi évacué une avenue non loin, que les Algérois avaient transformée en longue promenade profitant de la décision de couper la circulation.
Le président Abdelaziz Bouteflika, 82 ans et affaibli depuis 2013 par les séquelles d’un AVC, est la cible d’une contestation inédite depuis son élection à la tête de l’Etat il y a 20 ans. Les manifestations ont été déclenchée par l’annonce de sa volonté de briguer un 5e mandat lors de la présidentielle du 18 avril.
Sa candidature, enregistrée dimanche par le Conseil constitutionnel, a été assortie d’engagements destinés à calmer la colère: ne pas aller au bout de son mandat et quitter le pouvoir après une série de réformes profondes notamment.
– « On va lui faire comprendre » –
Mais ses promesses n’ont pas réussi à apaiser la contestation, bien que le camp présidentiel estimait la veille qu’elles répondaient « pleinement » aux revendications des manifestants.
« Non, c’est non! Il n’a pas compris le message du peuple? On va lui faire comprendre aujourd’hui et encore plus vendredi », premier jour du week-end et journée de mobilisation massive ces deux dernières semaines, assure Selma, étudiante en mathématiques à Alger.
Wassim, 22 ans, étudiant en informatique, a comparé le chef de l’Etat « à un mari qui bat sa femme et, alors qu’elle demande le divorce, lui demande de rester un an de plus, le temps qu’il lui trouve un nouvel époux ».
La carotte semblant n’avoir pas fonctionné, le général Gaïd Salah a donc mardi agité le bâton.
Il a accusé la contestation d’être le fait de « certaines parties », qu’il n’a pas nommées, « dérangées de voir l’Algérie stable et sûre » et désireuses de ramener l’Algérie aux « années de braises », une référence à la décennie noire de guerre civile qui a fait officiellement 200.000 morts et qui a traumatisé le pays.
Le général a ensuite appelé les Algériens « à s’ériger en rempart contre tout ce qui pourrait exposer l’Algérie à des menaces aux retombées imprévisibles ».
Face aux manifestations que rien ne semble pour l’heure endiguer, le camp présidentiel a mentionné à plusieurs reprises le risque d’un retour du pays aux « années noires », auxquels M. Bouteflika est crédité d’avoir mis fin.
Mais au-delà de M. Bouteflika, c’est l’ensemble de la caste dirigeante qui est visée par les manifestants. « Dites aux voleurs que nous n’allons pas nous taire », scandent-ils.
A Béjaïa, à 180 km à l’est d’Alger, l’ordre des avocats a appelé ses membres à ne plus assurer de défense à partir de mercredi, à l’instar de leurs collègues de Constantine (nord-est). Et les enseignants algériens doivent se prononcer d’ici peu sur une possible grève.
« Votre crédit santé est insuffisant pour effectuer ce mandat », indique une pancarte d’un manifestant à Alger, à l’adresse du président Bouteflika. Hospitalisé en Suisse il y a près de dix jours pour, officiellement, des « examens médicaux périodiques », son retour n’a toujours pas été annoncé.
Sur un trottoir d’Alger, deux femmes âgées regardent d’un oeil bienveillant les étudiants manifester. « J’espère que tout cela portera ses fruits », dit l’une.