lundi, novembre 11, 2024
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INVITE DU MOIS : Interview Marie-Flore Keumegne (Bouchère)

Paris peine à se réveiller ce samedi. Et au 14 rue Popincourt, tout est calme dans un froid hivernal. Mais Marie-Flore Keumegne n’en a cure. Comme tous les jours, cette brave dame, vêtue de son tablier noir, s’est réveillée aux aurores afin de satisfaire sa clientèle qui ne cesse de grandir. Elle est tellement obsédée par son travail qu’elle propose que l’entretien se fasse debout, pendant qu’elle découpe veaux, Agneaux, porcs et autres volailles. Puis de se raviser et de s’installer pour… 15 minutes. Plus de temps à perdre, lisez le parcours d’une bouchère qui se fout des préjugés. 

 

« Mes parents sont fiers de moi… »

 

Diasporas-News : Depuis plusieurs semaines en France, plusieurs boucheries sont attaquées et aspergées de sang par les militants antispécistes. Quels commentaires en faites-vous ?

Marie-Flore Keumegne : Personnellement,  je refuse de me prononcer par rapport aux Vegans (Le véganisme est un mode de vie qui exclut toute nourriture d’origine animale). Chacun ses choix. Le seul hic, c’est que cela nous pourrit la vie.

D-N : Ils estiment qu’être boucher n’est pas un métier…

M-F K : (Rires) je n’aime pas me prononcer sur eux. Parler des Vegans c’est leur donner de l’importance. Ils peuvent disparaître. Ils peuvent disparaître. Voilà !

D-N : Que pensez-vous des Végétariens ?

M-F K : C’est un choix. Quelqu’un peut décider d’être végétarien ou mangeur de viande, d’être musulman ou chrétien…

D-N : Avec toutes ces attaques que vous subissez de la part des Vegans, ne craignez-vous pas l’escalade ?

M-F K : Non, pas du tout. La viande est faite pour être mangée et les amateurs de viande en mangeront toujours.

D-N : Travailler dans le sang, est-ce facile pour une femme ?

M-F K : Il n’y a pas de sang. Voyez-vous du sang ici ? Dans une boucherie il n’y a pas de sang.

D-N : Est-il vrai que la boucherie manque de bras ?

M-F K : C’est vrai. A une époque, les jeunes étaient envoyés faire ce genre de métiers lorsqu’ils n’étaient pas bons à l’école. Cela fait que le métier de boucher paraît ringard. Aujourd’hui, beaucoup de personnes se réorientent vers la boucherie car ils trouvent que c’est un métier sexy.

D-N : Vous arrive-t-il d’aller rencontrer des éleveurs ?

M-F K : J’échange assez souvent avec des éleveurs car cela représente le centre de mon travail. Si en tant que bouchers, nous ne sommes pas en collaboration avec les éleveurs, comment saurions-nous si nous vendons de la bonne viande ou pas. Un bon boucher doit pouvoir avoir ses propres éleveurs, suivre ses bêtes depuis leur naissance, savoir ce qu’ils mangent et s’ils sont injectés par des antibiotiques etc… Cela permet de pouvoir parler de sa viande à son client, sinon on parle dans le vide.

D-N : Quels sont les animaux que vous appréciés le plus ?

M-F K : Forcément tout ce qui est vaches, agneaux et veaux. Après, chacun à sa spécialité. Il y a ceux qui font du cheval, du mouton… Mais dans nos boucheries nous faisons plus des agneaux, du veau, de la vache, nous ne faisons pas de bœuf.

D-N : Pourquoi ?

 M-F K : Le bœuf est une appellation, c’est neutre. Il y a soit un taureau ou une vache. Le bœuf est donc une appellation…

D-N : Quelle est la viande la plus demandée par vos clients ?

 M-F K : Ça dépend par qui. Les hommes demandent plus la viande rouge, les côtes de bœuf, les entrecôtes parce qu’ils apprécient cela. Les femmes aiment plus la viande blanche, le veau, la volaille parce qu’elles veulent garder leur ligne.

D-N : Quels conseils pouvez-vous donner aux consommateurs de viande ?

 M-F K : Rien n’est nocif à la santé. Seulement tout ce que nous consommons en trop n’est pas bon pour un corps humain. Mangez de la viande mais mangez de la bonne viande. Il est conseillé de manger de la viande trois fois par semaine, pas plus. Le reste du temps on peut manger des légumes.

D-N : A quoi ressemblent vos journées ?

M-F K : Mes journées démarrent très tôt (5h-6h). Elles peuvent aller jusqu’à 19h-20h avec une coupure de deux heures pour souffler un peu.

D-N : Racontez-nous votre histoire avec la boucherie. Ça a commencé où, quand et comment ?

M-F K : (Rires) J’étais à l’Université de Yaoundé (Cameroun). J’ai un DEUG en Sciences-Eco. Après, j’ai essayé de continuer les études mais je n’aimais plus les chiffres. Je signale que j’ai fait cette branche par rapport à mes parents. Du coup j’ai découvert la boucherie par hasard, après avoir rencontré l’un des meilleurs bouchers français (Ndlr ; Yves-Marie Le Bourdennec). J’ai voulu essayer. J’ai fait un stage chez lui. J’ai posé mes stylos et mes cahiers et j’ai démarré la boucherie en 2004.

D-N : N’avez-vous pas eu peur des préjugés ?

 M-F K : Du tout ! Au contraire, cela m’a donné l’envie de le faire. Je me suis demandé pourquoi il y avait ces préjugés et je me suis demandée ce qu’il y avait de sorcier dans la boucherie.

D-N : Quel est le regard de vos proches ?

M-F K : Il est très positif. Au départ, mes parents étaient sceptiques mais aujourd’hui ils sont fiers.

D-N : Qu’en dit votre époux et votre enfant ?

M-F K : J’ai un enfant et il est fier de ce que je fais. Quant à ma moitié, elle respecte aussi mon travail. Ça se passe très bien. Aucun souci. D’ici la fin de cette année, je vous informe que j’ouvrirai ma propre enseigne.

D-N : Est-ce le signe que vous gagnez bien votre vie grâce à la boucherie ?

 M-F K : Normalement, sinon on travaille pour rien. Je fais souvent des semaines à 60, 70 heures. Ce n’est quand même pas pour manger des pierres (rires).

D-N : Peut-on faire ce métier sans passion ?

 M-F K : Ce n’est pas possible. Tout métier manuel, artistique… demande de la passion. Dans le cas contraire, on s’arrête en chemin.

 

Entretien réalisé par Guy-Florentin Yameogo

Paru dans le Diasporas-News n°101 Novembre 2018

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