dimanche, décembre 22, 2024
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Boko Haram: L’extension du domaine de la lutte

Boko Haram: L’extension du domaine de la lutte
Le rapt des français et ses conséquences économiques   
L’enlèvement d’une famille d’expatriés français aux confins du Cameroun plus précisément dans le parc de Wasa, à la lisière des frontières du Nigéria et du Tchad, donne une nouvelle fois un écho médiatique international à la complexité du Nigéria et à la porosité des frontières africaines. Il a fallu pourtant une semaine avant qu’un groupe affilié (Ansaru cf/plus bas) à la secte islamiste Boko Haram revendiqua enfin cette prise d’otages. Pourtant le lieu du rapt pouvait déjà donner une indication ou moins une piste quant aux auteurs de cet acte. Il s’est passé à une encablure de Maidiguri, ville du Nord-est du Nigéria et non moins berceau du mouvement islamique.  

La France découvrît, horrifiée et médusée, tout le cérémonial d’un enregistrement vidéo avec une mise en scène calquée sur les méthodes de l’internationale djihadiste : le décor, la preuve de vie, la demande de liberté pour leurs compagnons de lutte emprisonnés. Le ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius estimait que les revendications des ravisseurs portaient « en particulier sur des sujets hors de portée de la France ». En d’autres termes, il considère que c’est une affaire entre le gouvernement fédéral du Nigéria et l’organisation islamiste et que la France est une deuxième fois prise en otage. Rappelons juste qu’en 2010, le président Sarkozy et son ministre des Affaires Etrangères Bernard Kouchner, ont forcé la main du chef d’Etat malien Amadou Toumani Touré (ATT) pour permettre la libération du français Pierre Camatte. Les ravisseurs ont exigé l’élargissement de quatre militants d’AQMI détenus dans les geôles maliennes ; ce qui avait mis ATT en porte-à-faux vis-à-vis de ses homologues algérien et mauritanien.
 
L’Afrique en zone rouge
Cet enlèvement est une mauvaise nouvelle pour toute la partie occidentale du continent. Le secteur touristique sera le premier à en subir les conséquences. Les occidentaux et en particulier les français ne s’aventureront plus hors des sentiers battus. Et surtout, à l’instar de ce qui se passe en Somalie ou au Darfour, les organisations humanitaires seront obligées de réduire l’effectif de leur personnel sur le terrain. Reste les industries d’extraction. Il s’agit des intérêts vitaux des pays occidentaux ; donc, ils prendront des mesures de protection pour le personnel expatriés des multinationales. Les américains sécurisent leur base de vie en Afrique en faisant appel aux sociétés de sécurité. Mais la Prise d’Otages Massive (POM) du terminal gazier d’In Anemas (Algérie) de janvier dernier a complètement modifié la donne. Le centre d’extraction d’uranium d’Areva à Arlit (Niger) est aujourd’hui protégé par les forces spéciales françaises.
Ne sommes-nous pas entrain de payer les conséquences de deux décennies de plans d’ajustement structurels ? Les mesures d’austérité appelées pompeusement IPPTE, pour l’acronyme d’Initiative sur les Pays Pauvres Très Endettés, n’ont pas structurellement bénéficié à l’Afrique. Alléger d’abord vos dettes et on vous octroiera de nouveaux de financements ; tel était le discours des bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque Mondiale). Dans le concret, les pays en développement étaient ainsi contraints de réduire drastiquement les dépenses jugées inefficaces et inutiles. Le budget de nos forces armées a été parmi les premiers visés. Et quelques années après, voici le triste tableau avec lequel la presse internationale décrit nos militaires : solde non-payé, soldat démotivé en guenilles sans matériel. Ce sont les Etats-Unis et la France aujourd’hui qui reprochent aux africains leur incapacité à défendre leur territoire alors qu’ils sont en partie responsables de l’impotence de nos armées.
Les difficultés socioéconomiques de nos Etats provoquent sporadiquement des émeutes. Mais à plus ou moins moyen terme, les faillites de l’Etat qui n’arrivent plus à subvenir aux besoins de base de sa population – comme la santé et l’éducation – sont les terreaux favorables sur lesquels les mouvements religieux prospèrent. L’islam radical s’est engouffré sur le créneau en s’investissant dans les actions sociales que l’administration ne pouvait plus assurées. La plupart des mouvements dits « terroristes » qui sévissent dans le Sahel – du Soudan jusqu’au Mali en passant par le Tchad et le Niger – sont nés dans les régions les plus pauvres de ces pays. Et la secte Boko Haram n’a pas échappé à cette règle.
 
La genèse de Boko Haram
L’histoire et la genèse de ce mouvement religieux est consubstantielle à l’avènement de l’Etat fédéral du Nigéria, de la colonisation britannique et même au-delà du temps des royaumes. Vers les années 1900, l’empire britannique a décrété un protectorat sur les puissants royaumes du Niger et du Bénin (à ne pas confondre avec la République du Bénin actuel) dont l’histoire connue remonte au moins au Moyen-âge. Une fois ces derniers pacifiés, les anglais déléguèrent l’administration auprès de chefs traditionnels chapeautés par un gouverneur de la Couronne. Cet héritage aboutît au moment de l’Indépendance à une organisation fédérale et un système de gouvernement parlementaire. Les rivalités séculaires entre les Big Three persistent encore de nos jours. Il s’agit des Nordistes (Haoussa, Peul et Kanouri), des Yoruba du Sud-ouest et des Ibo originaires du Sud-est qui représentent respectivement 25%, 22% et 18% de la population.
 
L’émiettement du Nigéria
De trois Etats fédérés à l’Indépendance, ce puzzle artificiel s’est atomisé au gré des tiraillements et des coups d’Etat avec toujours une revendication d’autonomie, qui va crescendo, des nouveaux Etats. Le Nigéria est d’abord passé à 4 Etats en 1963 ; puis 12 à la faveur du coup d’Etat de 1967, ensuite 19 en 1976, 22 en 1987 et enfin 30 en 1992.
De nos jours, peuplé de plus de 160 millions d’habitants répartis dans 36 Etats, le Nigéria est classé premier producteur de pétrole d’Afrique avec 10% de la réserve mondiale. Seule une minorité de la population se vautre dans l’opulence tandis que plus de 85% n’ont même pas 2 $ pour assurer leur substance quotidienne. L’antagonisme religieux entre catholique au Sud et musulman au Nord corse un peu plus l’équation du gouvernement fédéral.
L’incapacité des partis politiques face à cette indigence et le rejet de la civilisation occidentale sont devenus les moteurs de la secte Boko Haram [l’enseignement occidental est impur] qui s’est radicalisée au fil du temps.
Curieusement, son avènement coïncidait avec la fin des dictatures militaires. Le président Olusegun Obasanjo, lors de son accession au pouvoir en 1999, prôna la liberté d’expression et autorisa l’instauration de la charia dans les Etats musulmans du Nord. Dans l’Etat du Borno, le chef spirituel de Boko Haram (BH) Muhammad Yusuf et ses partisans jugeaient que
la charia était insuffisante et qu’il fallait renverser totalement la table c’est-à-dire éradiquer la corruption et se débarrasser du gouvernement fédéral. Yusuf, formé chez les wahhabistes en Arabie Saoudite, critique violemment les autorités gouvernementales et menaçait d’instaurer un régime théocratique à Abuja.
La radicalisation et la médiatisation de la secte commença en 2003. Les milices de BH attaquèrent les forces de sécurité et tout ce qui symbolisait l’autorité de l’Etat fédéral. Face aux contre-offensives gouvernementales, ils étaient obligés de se réfugier dans l’Etat de Yobe. Cinq années se sont ainsi écoulées, entre attaques sporadiques et trêves.
Mais en 2009, quatre Etats du Nord (Bauchi, Kano, Yobe et Borno) s’embrasèrent à la suite de l’assassinat par la police d’une dizaine de membres de BH. Ces émeutes se soldèrent par au moins 800 morts et l’arrestation de plusieurs dirigeants dont le grand manitou Muhammad Yusuf, décédé en captivité dans des circonstances jamais élucidées.
 
L’internalisation et la scission de BH
Les rescapés de cette guerre ouverte avec les forces de l’ordre se sont scindés en deux groupes : le BH « canal historique » et les réfugiés à l’étranger. 
le BH « canal historique » 

Boko Haram: L’extension du domaine de la lutte
Comme la nature a horreur du vide, l’un des lieutenants de Muhammad Yusuf prît la tête du mouvement. Il s’agit d’Abubakar Shekau que l’on croyait mort au cours des émeutes et qui refît surface six mois plus tard. Sa première déclaration enregistrée en vidéo au mois de juillet 2010 se conformait à la rhétorique d’Al Qaida. Concomitamment, Abdelmalek Droudkel, l’émir d’AQMI ; celui qui rêve d’un Khalifa sahélien – du Soudan au Mali – fît passer un message via Al Djazeera. Il confirma un soutien logistique à BH et la présence de nigérians dans les katiba (unité combattante) du Sahel.
Non seulement, Abubakar Shekau menaçait l’Etat fédéral et les mécréants occidentaux ; mais il se disait également solidaire des causes des djihadistes du monde entier. A partir de cette période-là, BH a lancé le cycle des attaques violentes tous azimuts : d’abord les vagues d’attentats contre les communautés chrétiennes dans les églises ; ensuite les forces de sécurité et les hommes politiques.

Le groupe du tchadien Mamman Nur, n°3 du mouvement islamique

Boko Haram: L’extension du domaine de la lutte
Plusieurs militants emmenés par le tchadien Mamman Nur ont rallié la Somalie pour combattre avec les Shebabs. L’année suivante c’est-à-dire dès le début de l’année 2011, ils ont fait un retour fracassant au Nigéria avec des attentats perpétrés par des kamikazes. Et ils se sont même attaqué des musulmans modérés et au siège de l’ONU.
Une troisième voie a fait son apparition. Il s’agit du groupe dit Avant-garde pour la protection des musulmans d’Afrique Noire ou Ansaru dirigé par Abu Ausamata Al-Ansari. Il reprochait à ses compagnons de lutte de viser la population locale nigériane. Ils ont pris fait et cause avec la guerre contre la France au Mali et se sont « spécialisés » dans le rapt d’occidentaux.
Le Nigéria se trouve face à un problème inextricable. Cette violence gangrène la société sans que les chefs d’Etat qui se sont succédé au pouvoir n’aient pu résoudre le problème de cette secte. Plusieurs enquêtes font même état d’une compromission de certains hommes politiques avec BK. Une scission du Nigéria est pourtant exclue car les recettes pétrolières des gisements situés dans le Sud, même mal réparties, évitent encore que les Etats musulmans du Nord ne s’effondrent complètement.

ALEX  ZAKA 

Paru dans le Diasporas-News Magazine N°39 de Mars 2013 

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