Fespaco sous tension pour les Maliens Souleymane Cissé et Cheick Oumar Sissoko, deux grands du cinéma africain: leur pays en guerre contre les jihadistes occupe leurs pensées durant le festival de Ouagadougou, où ils retrouvent l’islam radical à l’affiche de plusieurs films.
Présent pour la 23e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision (Fespaco) dans la capitale burkinabè, le septuagénaire Souleymane Cissé, seul réalisateur à y avoir décroché deux fois la plus haute récompense, se dit « traumatisé » par les événements dans son pays, plongé dans la plus grave crise de son histoire depuis l’an dernier.
Les forces franco-africaines combattent depuis un mois et demi les jihadistes alliés à Al-Qaïda qui occupaient le Nord malien depuis 2012, y multipliant les exactions au nom de la charia (loi islamique).
« Je n’arrive pas à dormir », raconte Cissé à l’AFP, grand boubou bleu et téléphone portable toujours à la main. « Si je ne suis pas en salle, si je ne suis pas aux débats, j’écoute la radio ». De retour à son hôtel, il s’empresse d’allumer la télévision « pour regarder les dernières nouvelles sur le Mali ».
Si le seul long métrage malien en compétition, « Toiles d’araignées » d’Ibrahima Touré, aborde un tout autre sujet, le mariage forcé, le thème de l’islam radical est incontournable aux projections du Fespaco, avec trois films du Maghreb.
« Yema », de l’Algérienne Djamila Sahraoui, est le portrait terrible d’une famille brisée par un attentat. « El Taaib » (Le repenti) de son compatriote Merzak Allouache décrit la trajectoire criminelle d’un ex-jihadiste.
« Les chevaux de Dieu », du Franco-Marocain Nabil Ayouch, est de l’avis général l’un des films les plus marquants de cette édition et un prétendant sérieux à l’Etalon d’or de Yennenga, la récompense reine qui sera décernée samedi.
Adolescents « martyrs »
Couronné en 2001 avec son film « Ali Zaoua », le cinéaste évoque puissamment la vie dans un bidonville de Casablanca où des adolescents sont recrutés par des islamistes, qui les prennent en charge et les endoctrinent avant de les envoyer commettre des attentats en « martyrs ».
« +Les chevaux de Dieu+, c’est un film qu’il faut voir et faire circuler partout en Afrique parce qu’il indique bien comment on peut façonner les esprits de nos enfants dans les banlieues et les quartiers pauvres », salue Souleymane Cissé.
Cette oeuvre montre « la montée de l’intégrisme religieux dans les sociétés africaines, où les gouvernements laissent prospérer la paupérisation des masses », renchérit Cheick Oumar Sissoko, l’autre réalisateur malien sacré au Fespaco (en 1995).
Membre cette année d’un jury du festival, cet ancien ministre de la Culture toujours très engagé dans l’arène politique en revient à la situation dans son pays. « Du jour au lendemain, les Maliens qui n’avaient pas de problèmes de religion entre eux ont été +emmitouflés+ par des terroristes » qui se présentaient en « défenseurs de l’islam et de l’autonomie d’une certaine communauté touareg pour commettre des actes indicibles », tonne-t-il.
Sissoko avoue être inquiet pour toute la région. « On n’est pas tranquille ici », à Ouagadougou, dit-il, rappelant que les jihadistes, désormais lancés dans des opérations de guérilla au Mali, « ont menacé d’étendre leurs actions à toute l’Afrique de l’Ouest ».
« L’intégrisme religieux, le terrorisme, ça laisse une grande tache dans les pays, qu’on met du temps à effacer », reconnaît Cissé, qui planche sur un projet lié à « la situation du Mali ».
Mais il garde confiance. « L’intégrisme, le radicalisme ne peuvent pas triompher, que ce soit au Mali, au Maroc, en Algérie ou ailleurs en Afrique », jure-t-il. « Au cinéma comme dans la vie, l’espoir triomphe toujours ».
AFP