Malgré le départ des islamistes armés de leur ville, les grandes familles de Tombouctou, gardiennes depuis des siècles de milliers de manuscrits anciens, hésitent encore à lever le secret qui leur a permis de sauvegarder ces écrits de la rage destructrice des fondamentalistes.
Avant leur fuite fin janvier, les islamistes ont saccagé une partie de la grande bibliothèque publique Ahmed Baba, y brûlant quelque 3.000 manuscrits anciens, comme ils avaient détruit en avril des mausolées.
Lundi, l’Unesco a annoncé un plan d’action de 10 millions de dollars (7,5 millions d’euro) pour réhabiliter le patrimoine culturel du nord du Mali et sauvegarder les manuscrits de Tombouctou, témoins de l’essor intellectuel et spirituel aux XVe et XVIe siècles de cette cité classée au Patrimoine mondial.
Contrairement au Centre Ahmed Baba, la trentaine de bibliothèques privées de la ville a été épargnée. Surtout, leurs propriétaires avaient depuis plusieurs mois dispersé leurs collections pour les mettre à l’abri, renouant avec une tradition ancestrale du secret.
Dès l’entrée des islamistes dans Tombouctou en avril, Ismaël Diadié Haïdara al-Quti, descendant de la familiale impériale des Askia du Mali et d’Ali al-Quti, un Wisigoth islamisé de Tolède (Espagne), a fui avec les siens emportant avec lui « une dizaine de manuscrits ».
« On les avait cachés dans du linge et on a embarqué sur une pinasse (pirogue) pour descendre par le fleuve vers le sud », témoigne son épouse, Hawa Touré, administratrice du Fonds Mahmud Kati (al-Quti), principale bibliothèque privée de Tombouctou, avec près de 13.000 manuscrits répertoriés.
« Après, on a cherché des gens qui pouvaient nous aider, des gens du commun, pas surveillés. Ils ont acheté des malles, des clés. Certains ont fui et ont embarqué les malles sur des pirogues, d’autres les ont enterrées dans le sable ».
Aujourd’hui, assure Hawa, son mari, en Espagne depuis plusieurs mois, est le seul à savoir « qui a caché les manuscrits et comment les retrouver ».
« Le temps du secret »
« Notre bibliothèque a déjà souffert de quatre dispersions en cinq siècles, depuis la fuite de mon ancêtre de Tolède en 1467 jusqu’à la dernière dispersion au XIXe pour protéger les manuscrits des fondamentalistes du royaume peul du Massina », rappelle Ismaël Diadié Haïdara al-Quti, joint au téléphone par l’AFP.
« Malheureusement en 2012, nous nous sommes trouvés encore dans l’obligation de la disperser. C’est comme d’avoir monté une pierre et de la voir rouler en bas de la montagne », dit-il.
A 55 ans, Ismaël, historien, poète et philosophe renommé, a passé près d’un tiers de sa vie à rechercher ces trésors dispersés pour pouvoir les réunir dans une bibliothèque ouverte en 2003, grâce à l’aide de la Coopération espagnole.
« Nos manuscrits sont en majorité des corans, mais aussi des textes juridiques ou scientifiques sur les mathématiques, l’astronomie, la médecine… La particularité de ces écrits, en arabe, en peul, en anglais ou en français, tient à leurs annotations marginales », explique-t-il.
Certaines de ces annotations peuvent même être dissimulées sous la couverture des ouvrages. « Ce sont les secrets de famille, des jugements, mais aussi parfois des indications qui permettent au +gardien du secret+ de retrouver des manuscrits cachés », explique Hawa.
« Aujourd’hui, personne ne te dira où il a caché les manuscrits », assure d’une voix douce cette femme de 45 ans, réfugiée avec ses enfants dans un quartier populaire de Bamako. « Si les familles avaient accepté, comme le demandaient le ministère et les bailleurs de fonds, de mettre les manuscrits à disposition du Centre Ahmed Baba, ils seraient tous perdus ».
« Nous sommes revenus au temps du secret », confirme son mari. « Quand j’ai décidé de mettre au jour cette bibliothèque, une partie de la famille a dit +non, c’est dangereux+. Moi, en tant qu’historien, je pensais qu’il fallait les montrer. Hélas, je me demande si ma famille n’avait pas raison ».
Sceptique sur le plan d’action international annoncé lundi, il juge que « l’Unesco doit repenser sa politique du patrimoine ».
« Ce n’est pas seulement d’argent dont il est besoin. Il faut que l’Unesco implique directement les bibliothécaires, définisse un cadre juridique, administratif et sécuritaire. S’ils ne font pas ça, ils vont encore échouer », prévient-il.
En attendant, Ismaël gardera son secret: « Cela fait cinq siècles que notre bibliothèque passe par ces vertiges, nous ne sommes pas pressés ».
AFP