jeudi, mars 28, 2024
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En Somalie, la mort plane autour des journalistes

En Somalie, la mort plane autour des journalistes

Un appareil photo dans une main, un pistolet dans l’autre, Abdukadir Hassan Abdirahman, reporter somalien, arpente les rues de Baïdoa, ville du centre de la Somalie et l’une des plus dangereuses au monde pour les journalistes.

« Je sais que ce que je fais n’est pas très déontologique: on ne devrait pas porter à la fois une arme? un appareil photo et un bloc-note, » reconnaît ce père de trois enfants, seul reporter encore actif à Baïdoa, ancien bastion des insurgés islamistes shebab.

« Mais (…) je devais soit quitter la ville, comme mes confrères, soit continuer à travailler une arme à la main, » explique Abdukadir Hassan Abdirahman, employé de la chaîne de télévision Universal, basée à Londres.

Cette semaine encore deux hommes de médias sont morts en Somalie: un journaliste et un humoriste d’une radio. Après Abdi Jeylani Malaq Marshale, en août, Warsame Shire Awale, connu lui aussi pour ses satires des shebab, est la deuxième grande voix des ondes somaliennes à rejoindre la déjà longue liste des victimes cette année.

Depuis début 2012, la Somalie a déjà doublé son triste record de professionnels des médias tués en une année: le bilan est au moins de 18 morts, victimes d’assassinats ou d’attaques à la bombe ou à la grenade.

Mais si les meurtres sont souvent imputés aux shebab, ils sont aussi parfois liés à des règlements de compte entre les multiples factions claniques qui fragmentent la Somalie.

Abdukadir Hassan Abdirahman, 27 ans, se sait menacé, mais reste persuadé que les risques en valent la peine. C’est le prix à payer pour maintenir en vie une presse libre dans ce pays de la Corne de l’Afrique.

« Je suis le seul journaliste qui ose encore travailler dans Baïdoa et même si je porte une arme pour me défendre, un jour des tueurs m’auront, » lâche-t-il fataliste.

Baïdoa a été prise en février aux shebab par un contingent éthiopien entré en Somalie quelques mois plus tôt.

Les insurgés ont déserté la ville, située à quelque 250 km au nord-ouest de Mogadiscio, mais continuent de mener des opérations de guérilla dans la région, toujours instable. Plus au sud, la force de l’Union africaine (Amisom) affronte les insurgés pour sécuriser la route qui mène à la capitale.

« Les shebab me menacent de mort au téléphone (…) mais je continuerai à travailler tant que je serai en vie, » assure Abdukadir Hassan Abdirahman.

A Mogadiscio, capitale ravagée comme le reste du pays par deux décennies de guerre civile et qui renaît peu à peu depuis que les shebab l’ont désertée en août 2011, ses confrères continuent aussi de risquer leur vie.

« A chaque fois que mon téléphone sonne, j’ai peur d’entendre qu’un autre de mes amis a été tué, » glisse un journaliste radio, Hanad Ali.

Aucun assassinat de journaliste n’a donné lieu à « une enquête sérieuse permettant de condamner les coupables », déplore l’organisation de défense des médias Reporters sans frontières.

Les shebab, montrés du doigt, nient être derrière les meurtres et l’un de leurs responsables, Ali Mohamed Hussein, accuse les forces gouvernementales qui « tuent des gens pour leurs téléphones ou autres objets sans valeur ».

Récemment, Jamal Osman, journaliste britannico-somalien basé en Grande-Bretagne, a jeté un pavé dans la mare en affirmant dans le quotidien britannique The Guardian que les meurtres étaient aussi alimentés par la corruption qui gangrène le milieu de la presse somalienne, un système de pots-de-vins en échange d’articles partisans.

« La majorité des journalistes tués en Somalie sont assassinés dans des actes de représailles, » liés à ce système, a-t-il écrit, provoquant la colère de ses confrères qui, sur place, ont peu d’espoir que leurs conditions de travail s’améliorent.

Une nouvelle génération de journalistes vient prendre la place de ceux assassinés, exilés ou qui ont jeté l’éponge. Ils sont motivés, prêts à travailler pour une misère mais souvent inexpérimentés.

« Les journalistes sont constamment visés et tués, » dit Ibrahim Mohamed, du Syndicat national des journalistes somaliens. Lui aussi relève que personne n’a jamais été arrêté pour ces meurtres et
que depuis septembre, sept journalistes se sont encore exilés.

Abdulahi Mohamed, ex-journaliste radio, explique, lui, avoir abandonné son métier parce qu’il ne voulait plus « attendre derrière son micro que (son) heure vienne ».

D’autres décident de continuer, en se faisant aussi discrets que possible.

« Beaucoup de journalistes restent cloîtrés dans leurs radios, où ils dorment et mangent, voyant très peu leurs familles, » raconte un pigiste, Zakariye Ali, « on ne sait jamais quand on va se faire tirer dessus ».  

AFP 

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