Malgré la saison touristique largement ouverte, l’Algérie refuse toujours l’ouverture des frontières avec le Maroc.
Et vient de refuser la proposition du voisin tunisien sur la libre circulation des personnes entre les deux pays, avec une simple carte d’identité.
Alger, vieille dame aigrie, aime vivre seule et suspecte tout le monde de vouloir profiter de sa tirelire.
«Nous n’avons besoin de personne, à part du pétrole , souligne un cadre au ministère des Finances. Tant qu’il coule, on peut se la couler douce».
Si pour lui, le système algérien lui convient parfaitement, ce n’est pas le cas de tout le monde et beaucoup d’Algériens, entrepreneurs, voyagistes, transporteurs ou simplement touristes, pourraient profiter d’une réelle ouverture vers l’extérieur.
Une question reportée sine die
On s’en souvient, au début de l’été dernier, l’ouverture de la frontière avec le Maroc semblait imminente.
Puis, revirement de dernière minute, la question était reportée par les autorités algériennes. Cette année encore, rien ne dit qu’elles seront ouvertes, malgré les nouvelles demandes pressantes des Marocains, islamistes au pouvoir, y compris.
Il y a une dizaine de jours, Moncef Marzouki, le président élu tunisien, dont la vision maghrébine n’est pas contestée, offrait au nom du principe «des 5 libertés» (déplacement, résidence, travail, investissement, élections municipales), qu’il a développée dès son investiture, l’idée d’une libre circulation des personnes et l’ouverture des marchés du travail aux pays du Maghreb.
Pour toute réponse, un refus poli mais ferme d’Alger, pièce maitresse du Maghreb (qui compte cinq pays, Algérie, Maroc, Libye, Mauritanie et Tunisie).
L’Algérie ne se sent pas «concernée» par cette mesure «anticipée et unilatérale».
Question de sécurité bien sûr, mais aussi une forte suspicion, celle de vouloir profiter de l’immense marché algérien pour caser ses chômeurs, dont le nombre a fortement augmenté depuis la révolution du jasmin. Les fleurs, c’est bien, le travail, c’est mieux.
Les réunions qui tournent en rond
Plus grand pays d’Afrique et de la Méditerranée, l’Algérie n’est serieusement impliquée dans aucun ensemble regional. Ni en Afrique, ni en Méditerranée, ni dans le monde arabe ou musulman, en Europe ou au Sahel.
Formelles et très bureaucratiques, les nombreuses réunions de l’Union du Maghreb arabe (UMA, créée en 1989) ne passionnent ni les foules ni les économistes.
Et pour cause, entre une monarchie absolutiste, une République autocratique et une démocratie islamiste, pour ne parler que des trois pays phare de l’ensemble (Maroc, Algérie, Tunisie), difficile de trouver un terrain d’entente.
Alger traînant les pieds, le seul à tenter de faire bouger les lignes est Moncef Marzouki le Tunisien, qui veut prendre de l’avance sur ses islamistes en donnant une vision globale de la région.
Indifférence d’Alger pour ses deux pays voisins, qui l’ont aidé dans son âpre guerre d’indépendance, et qu’elle a oublié de remercier pour ce 50e anniversaire.
Pourtant, appliquant une diplomatie de la réciprocité, l’Algérie n’a jamais imposé un visa par exemple à un quelconque pays, sans que celui-ci ne l’impose d’abord et a toujours levé les obstacles administratifs une fois que l’autre partie l’a fait.
Pourquoi ce refus? La suspicion toujours, comme envers le Maroc, qu’elle soupçonne de ne vouloir que renflouer les caisses du tourisme à l’Est, mises à mal depuis la fermeture de la frontière en 1994.
D’une façon générale, rappelle le cadre du ministère des Finances:
«Alger déteste les initiatives qui ne viennent pas d’elle».
Elle vient encore, il y a quelques jours, de refuser la sollicitation du FMI qui lui demandait de l’aider à renflouer ses caisses, au vu du matelas confortable de 200 milliards de dollars de réserves de change dont elle dispose.
«Là, on peut le comprendre, pendant des années, le FMI était considéré à Alger comme le diable en personne, dont l’unique objectif était d’affamer les peuples en leur volant de l’argent», explique encore le cadre du ministère des Finances.
«On voit mal maintenant l’Algérie aider le FMI, personne ne le comprendrait.»
Mais pour le reste?
«La question ne se pose pas, tant que les cours du baril se maintiennent.»
Tant qu’il y a du soleil, pourquoi acheter des ampoules?
Le yo-yo, pas bon pour la santé
Pour l’instant donc, tout va bien à Alger, dame solitaire et suspicieuse qui tient fermement son porte-monnaie dans son «’abboun» (terme algérien qui désigne l’endroit, sous la poitrine, où les vieilles femmes cachent leur ar
gent).
Sauf que le ministre des Finances, Karim Djoudi, vient de lancer un avertissement quand à la baisse probable des prix du pétrole.
Si la chute arrive, dans ce cas-là, l’ouverture sera forcée, comme elle l’a été lors des précédentes chutes du baril, (fin des années 80), et qui a poussé les réformes.
En attendant, pas besoin d’apport extérieur. Ni impliquée réellement dans l’UMA (Union du Maghreb arabe) ou dans les accords régionaux, ni adhérente à l’OMC ou à la Francophonie, elle traîne aussi sur la question du Mali, même si sa vision est en train de changer, l’Algérie se méfie de l’étranger.
Ce qui est tout un paradoxe car ce dernier est bien présent dans tous les rouages du pays.
Le pétrole est géré par les Américains, l’eau, le métro, le tramway d’Alger, l’aéroport, les banques privées par les Français, la communication par des Tunisiens, les télécoms par les Egyptiens et Libanais, l’industrie métallurgique par les Indiens et les routes et infrastructures construites par les Chinois.
La plupart des dignitaires du régime ont des comptes en Suisse et des maisons en France ou en Espagne. Signe suprême enfin, le président Bouteflika lui-même est né au Maroc. Mais à l’époque, il n’y avait ni frontière fermée ni barils de pétrole.
Chawki Amari
SLATE AFRIQUE