On pourrait aussi se demander pourquoi des Touaregs détruisent les hauts-lieux religieux d’une ville qui porte un nom tiré de leur langue, le tamasheq, édifiée par leur propre peuple voilà des siècles… Plusieurs réponses sont possibles.
La première raison paraît d’ordre religieux. Les islamistes du Nord-Mali ont décrété que les saints de Tombouctou ne sont pas halal, l’islam rejetant l’idôlatrie et ne reconnaissant qu’un seul prophète, Mahomet. La seconde raison, en pleine guerre et avec la menace d’une intervention militaire extérieure, relève inévitablement de la politique. Il s’agit surtout pour les terroristes d’Ansar Dine et Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) de faire peur, de faire parler d’eux et de mieux éveiller les ardeurs djihadistes de nouvelles recrues potentielles…
C’est aussi un bras d’honneur assez paradoxal à l’Occident. A partir du moment où l’Unesco déclare Tombouctou «en péril», inquiète pour un site classé en 1988 au patrimoine mondial de l’humanité, les barbus prennent la mouche et se mettent à tout casser. Dès lors que Fatou Bensouda, procureure gambienne (et musulmane) de la Cour pénale internationale (CPI), une institution elle aussi considérée comme occidentale, menace les vandales de poursuites pour « crime de guerre « , les voilà qui redoublent d’ardeur…
Les monuments de Tombouctou ont sans doute le malheur de trop plaire à l’Occident. Tout se passe comme s’il n’importait pas que ces destructions brisent le coeur de nombreux Ouest-Africains, attachés à cet héritage pré-colonial. L’islamisme marque des points. Il recouvre tout. On en oublierait presque que l’islam est multiple, varié, et que sous sa forme sahélienne, il est imprégné de soufisme et se pratique de manière communautaire, par le biais des confréries notamment.
Des Tidjanes de Fès qui se retrouvent au Sénégal aux mourides de Touba -qui vénèrent le fondateur de leur confrérie, Cheikh Amadou Bamba (1853-1927), figure de la résistance à la colonisation française- cet islam passe aussi au Mali par une confrérie de plus de 100.000 membres nommée… Ançar Dine (« les défenseurs de la religion », en arabe). A ne pas confondre avec le groupuscule armé et touareg de Iyad ag Ghali, Ansar Dine, qui s’est choisi le même nom. L’association Ançar Dine, fondée en 1983 par Ousmane Chérif Haïdara, pratique un islam solidaire, communautaire et pacifique.
C’est cet islam tolérant que ne sauraient tolérer, justement, les obscurs intégristes du Nord-Mali. Ces anciens contrebandiers algériens ou ex-chef rebelle touareg reconvertis dans le salafisme se servent de la religion pour faire tourner leur fond de commerce (prise d’otages et droit de passage sur les cargaisons de drogue des cartels latino-américains) et imposer leur loi.
De nombreuses voix se sont élevées, indignées: Abdou Diouf, ancien président du Sénégal et secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), des artistes et intellectuels maliens, sénégalais, guinéens … Tous qualifient les destructions d’actes «barbares» et «contraires à l’islam».
Mais du côté des chefs religieux, grand silence. Peut-être parce que les évènements de Tombouctou relèvent aussi du «choc frontal», comme le relève le quotidien français La Croix, de deux formes d’islam antagonistes. La plus radicale, d’inspiration wahhabite comme en Arabie Saoudite, gagne du terrain dans toutes les grandes villes ouest-africaines depuis la guerre du Golfe (1990). Elle menace, parce qu’elle les conteste, les marabouts et leur islam soufi.
A Bamako, Ousmane Chérif Haïdara, le chef d’Ançar Dine, s’était indigné en mars dernier du silence du Haut conseil islamique (HCI), la plus haute instance religieuse du Mali, après la profanation d’un mausolée de Tombouctou par les salafistes d’Ansar Dine… Cette fois encore, il faudra sans doute secouer le HCI avant d’obtenir une réaction.
Slate Afrique