jeudi, mars 28, 2024
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Le décollage économique de l'Afrique est une réalité

Le décollage économique de l'Afrique est une réalité

Vous avez raison de plaindre l’Afrique subsaharienne —mais peut-être plus pour très longtemps. Au cours des dix premières années du millénaire, six des dix économies à la plus forte croissance du monde (Angola, Nigeria, Ethiopie, Tchad, Mozambique  et Rwanda) appartenaient à la région. Et sur huit des dix dernières années, elle a connu une croissance supérieure à celle de l’Asie.

Il est vrai, certaines de ces stars de la croissance doivent en partie leur succès à la flambée mondiale des cours des matières premières, et tout particulièrement à ceux du pétrole. Mais l’Ethiopie a réussi à croître de 7,5% en 2011, sans produire une seule goutte d’or noir (la réussite éthiopienne la plus récente en matière d’exportation: les fleurs coupées).

En finir avec les vieux clichés

Notez également que les revenus moyens en Afrique sont encore assez bas; par exemple, le revenu par habitant auTchad  est inférieur à 1.800 dollars (1.431 euros) mesuré en termes de pouvoir d’achat, soit moins d’un dixième de celui de la Pologne ou de la République Tchèque. Il faudra par conséquent des décennies de croissance pour que le niveau de vie y devienne acceptable.

Mais, selon le FMI, la région est partie pour connaître une croissance de 6% cette année, soit la même qu’en Asie. Et certains indices permettent de penser qu’un rythme sain pourra se maintenir dans un avenir proche.

En effet, selon la Banque mondiale, l’Afrique «pourrait être au bord d’un décollage économique, tout comme la Chine il y a trente ans et l’Inde, il y a vingt ans

Voilà qui devrait remettre en question la pertinence de la politique d’aide internationale basée sur la présomption que l’Afrique n’est toujours pas capable de sortir de son cycle décourageant de pauvreté, de gouvernance dysfonctionnelle et de violence tribale. Nous y reviendrons plus tard.

Prêt pour la surprise? Les échanges commerciaux entre l’Afrique et le reste du monde ont triplé au cours des dix dernières années. Et ce n’est pas une coïncidence si depuis 2005, l’Afrique attire plus d’investissements étrangers privés que d’aide officielle.

Considérons aussi que la part des investissements directs à l’étrangers (les plus recherchés, puisqu’ils apportent avec eux technologies et compétences de gestion) consacrés à l’Afrique sont passés de moins de 1% en 2000 à 4,5% en 2010.

L’explosion des télécoms

La preuve la plus visible de cette plus grande prospérité est peut-être l’incroyable rythme du taux de pénétration de la téléphonie mobile. Prenez le Ghana, qui, selon les critères de la Banque mondiale, a atteint, en 2011, le statut de revenu moyen.

A la fin des années 1990, le pays ne comptait que 50.000 lignes téléphoniques en état de marche dans un pays de presque 20 millions d’habitants. Aujourd’hui, les trois quarts de la population ont accès à des téléphones portables, avec service vocal et messagerie instantanée.

En fait, les sommes dirigées vers la téléphonie ont obligé les comptables gouvernementaux à revoir leurs estimations (parfois très sommaires) du revenu de la région. Dans le cas du Ghana, le gouvernement a récemment révisé à la hausse ses estimations de PIB de rien moins que de deux tiers.

Cette révolution des télécoms génère de larges bénéfices auxquels on ne s’attendait pas. Par exemple, les agriculteurs équipés de téléphones ont désormais accès à des informations opportunes sur les marchés, ce qui leur permet de négocier plus efficacement avec les intermédiaires.

Et «l’argent mobile » —les crédits transférés en toute sécurité d’un téléphone à l’autre par messagerie instantanée— rend les services bancaires possibles, là où les banques en dur sont à peine présentes.

Il n’y a pas encore de «grappe d’innovation» en Afrique. Mais le lien entre réseau de téléphonie mobile et services financiers a engendré toute une série d’entreprises orientées vers les nouvelles technologies à Nairobi, autour de Safaricom, le plus grand fournisseur de téléphonie mobile du Kenya.

La valeur des technologies sans fil, dont le potentiel n’a pas encore été complètement réalisé, encourage les entrepreneurs à voir grand. Très grand: l’entreprise indienne de télécom Bharti Airtel a payé 10,7 milliards en 2010 pour les réseaux de téléphonie mobile africaine de l’entreprise Zain Telecom, basée au Koweït.

La Zambie, qui a également rejoint les rangs inférieurs des moyens revenus l’année dernière,
est une bonne illustration des transformations positives  survenant en Afrique sub-saharienne.

La rançon de la bonne gouvernance

La croissance économique y a été en moyenne supérieure à 5% au cours des sept dernières années. Cela est dû en partie à la flambée cyclique des prix du cuivre, sa principale exportation.

Mais le secteur agricole zambien s’en sort aussi très bien. La production de maïs, matière première de base, a bondi de 50% en 2010. Cette moisson record illustre l’importance d’une bonne gouvernance; la distribution à point nommé d’engrais subventionnés aux petits exploitants par Accra a fait une énorme différence dans les rendements.

Le Malawi  voisin, qui a longtemps subi des pénuries alimentaires et des famines, a vécu le même genre d’expérience que la Zambie. Il y a plusieurs années, le gouvernement a lancé un programme (contre les recommandations d’agences d’aide humanitaire internationales) à la fois pour subventionner les engrais et pour soutenir les prix du maïs par une politique d’achat.

Les agriculteurs malawites cultivent désormais suffisamment de maïs pour satisfaire la demande intérieure et peuvent même exporter vers le Zimbabwe voisin, véritable incarnation de la mauvaise gouvernance.

Il existe de bonnes raisons de croire que cette expansion agricole va perdurer au-delà de la flambée générale des matières premières provoquée par les demandes chinoise et indienne.

Plus de croissance, moins de guerres

Tout d’abord, l’Afrique possède 60% des terres arables non cultivées du monde. Par conséquent, si la région reste importatrice nette de nourriture, il n’existe pas de barrière économique rigide à une grande expansion de la production.

Ensuite, l’amélioration des communications et des transports permet d’étendre de façon pratique le commerce alimentaire intra-régional. D’ailleurs, Steven Haggblade, économiste spécialiste de l’agriculture à la Michigan State University, avance  que la clé de la sécurité alimentaire en Afrique est dans l’augmentation des investissements dans les infrastructures rurales.

Autre raison d’être optimiste dans le domaine de la durabilité de la croissance: la réduction de la probabilité de guerre.

Scott Straus, de l’University of Wisconsin, estime que les guerres civiles africaines à la fin des années 2000 étaient à peu près deux fois moins courantes qu’au milieu des années 1990:

«Les guerres contemporaines sont généralement à petite échelle… et impliquent des insurgés divisés en factions qui, en général, n’arrivent pas à tenir des territoires de taille conséquente ou à s’emparer de capitales d’État

Les raisons de ce déclin de la violence organisée ne sont pas tout à fait claires. Mais il fait peu de doute que la croissance économique diminue les probabilités de guerre, et que moins de guerre signifie une meilleure probabilité de croissance.

Ce meilleur tableau économique de l’Afrique sub-saharienne doit encore se traduire par des approches plus novatrices de la région par la communauté internationale. Les Etats-Unis, l’Europe et le Japon, principaux fournisseurs d’assistance technique, de subventions et de prêts à l’Afrique, continuent largement à mettre au point leurs politiques.

Ils partent du principe que la région est embourbée dans la pauvreté et que la prévention des pires formes de dégradation humaine —la mort par maladies non-soignées, la famine, le manque d’eau potable et de sécurité physique— est une priorité bien plus haute que les problèmes plus complexes consistant à ériger des institutions soutenant la stabilité macroéconomique, les infrastructures publiques et des incitations commerciales efficaces.

Cela s’explique en partie par l’idée tenace que la croissance de l’Afrique ne peut être durable parce qu’elle dépend largement d’augmentations rapides des cours de tous les produits d’exportation, du coton au cacao en passant par le pétrole et le cuivre.

Il est certain que la flambée des cours a joué un rôle. Mais comme je l’évoque plus haut, nombre d’éléments laissent penser que, cette fois, la croissance ne sera pas éphémère.

L’atout démographique

La croissance démographique jette aussi une ombre sur l’Afrique. Calculée sur une base par habitant, si la croissance du PIB reste substantielle, elle ne l’est pas autant qu’on pourrait le souhaiter. Là aussi, cependant, les perspectives sont positives: le taux de fertilité chute presque partout en Afrique.

Mais certaines forces plus subtiles sont à l’œuvre ici, et retardent l’évolution de la réflexion sur l’aide humanitaire. Beaucoup d’organismes, gouvernementaux ou non, traditionnellement engagés dans la lutte contre la famine et autres formes de souffrance extrême, éprouvent une réticence institutionnelle à changer de cap.

Les cyniques pourraient avancer que ce changement va rendre plus difficile la collecte de fonds (autant privée que publique) —la lente progression de la capacité de production n’est pas très média-génique.

Je soupçonne que ce soit davantage lié à la nécessité de passer des stratégies connues et éprouvées de fourniture d’aide humanit
aire à la tâche bien plus difficile d’encourager la mise en place d’institutions et de gérer les ambiguïtés générées par les conflits entre groupes d’intérêts.

Le verre est aux trois quarts plein. L’Afrique subsaharienne semble réellement en passe de marcher sur les traces d’autres régions et de mettre en place des économies solides sur la base d’une stabilité institutionnelle, d’une économie de marché et d’une ouverture du commerce, notamment entre pays africains.

Oui, les Africains moyens y gagneraient si les donateurs internationaux reconnaissaient eux aussi les nouvelles réalités —et les intervenants extérieurs pourraient en faire bien davantage pour accélérer le rythme des changements positifs.

G. Pascal Zachary (Foreign Policy)

Traduit par Bérengère Viennot  

Slate Afrique 

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