Combien coûte l’homophobie, en termes économiques, à l’individu, et par extension, à la société toute entière? C’est la question posée par un colloque organisé par l’OCDE et le comité Idaho, association qui s’occupe de la journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie, ce mercredi 30 mai. Une question qui n’avait jusque-là jamais été abordée en France.
Il n’existe pas en effet pour l’instant en France de chiffres sur le coût pour la société de telles discriminations. Il en existe en revanche sur le coût individuel. Selon des estimations réalisées à partir de données de l’Insee par Thierry Laurent et Ferhat Mihoubi, professeurs à l’Université d’Evry Val d’Essonne, l’écart de salaires entre couples gays et hétérosexuels serait de l’ordre de 5 à 6%, un écart comparable à celui constaté entre hommes et femmes, à conditions de postes, d’âge, etc. égales (celui-ci est de 10% selon l’Observatoire des inégalités). Cet écart négatif n’existe pas, et a même tendance à être légèrement positif, pour ce qui est des lesbiennes, perçues comme “plus productives” que les autres femmes aux yeux des employeurs, selon Thierry Laurent.
40% des homos se disent victimes dans leur travail
« Les arguments économiques s’ajoutent aux arguments de droits humains et de santé publique. Les Trente glorieuses dans le monde n’auraient pas été ce qu’elles ont été sans la contribution des femmes: lutter contre les discriminations a eu alors un impact réel sur l’essor économique du pays. D’une manière générale, quand on stigmatise les gens, on bride leur créativité, et c’est mauvais pour le PIB », argumente Louis-Georges Tin, président du Comité Idaho, co-organisateur du colloque.
Cette étude vient confirmer en partie le ressenti des populations concernées. Selon un rapport de la Halde de 2009, 40% des homosexuels déclarent avoir été au moins un fois, dans leur parcours professionnels, victimes d’homophobie, tandis que 12% déclarent avoir été mis hors jeu lors d’une promotion interne, et 4,5% être moins rémunérés à poste identique.
Tout cela a un coût
Ces études sont des estimations, car il n’est pas possible d’interroger les personnes directement sur leur orientation sexuelle en raison de l’interdiction des statistiques ethniques. Les auteurs ont donc dû appliquer un certain nombre de filtres aux données générales recueillies par l’Insee, pour obtenir une échantillon fiable. “Si on ne prend en compte que les salaires des actifs de plus de 35 ans vivant en couples de même sexe, on a moins de chances de se tromper qu’en prenant des étudiants de même sexe et de moins de 25 ans”. Avec cette série de filtres, “on se trompe moins d’une fois sur 200”, explique Thierry Laurent.
“Une personne stigmatisée va s’exclure du champ de la légitimité, va être encline à la dépression: tout cela a un coût”, fait remarquer Louis Georges Tin. En France, les homosexuels ont sept à treize fois plus de chances de se suicider que les hétérosexuels, selon une étude épidémiologique française réalisée en 2003 notamment par le médecin Marc Shelly. Un coût pour l’individu, mais aussi pour l’entreprise, comme le fait remarquer Abdel Aïssou, Vice-président directeur général du groupe Randstad France, spécialisé dans les ressources humaines et qui a mis en place une politique de lutte contre les discriminations dans son entreprise, une manière d’attirer les talents (voir encadré).
Lutter contre les discriminations en entreprise, selon Randstad
Lutter contre les discriminations, oui, mais comment? Le groupe Randstad a mis en place un certain nombre d’outils. Pour l’entreprise spécialisée dans les ressources humaines, il était capital de montrer le bon exemple. Par exemple, on ne plaisante pas avec les blondes. “Quelqu’un qui fait une plaisanterie sexiste risque une sanction disciplinaire”, explique Abdel Aïssou, le vice-président directeur général. Un couple homosexuel a aussi les même droits en terme de congés parentaux qu’un couple hétérosexuel, soit 11 jours de congés, une disposition qui n’est pourtant pas prévue par la loi, mais que l’entreprise a accordée au terme d’un accord salarial. Les quelques mille managers du groupe ont été formés à être particulièrement vigilants sur le sujet des discriminations.
“Nous avons des valeurs mais c’est aussi l’intérêt bien compris de l’entreprise. Les talents, quels qu’ils soient, savent que chez nous, ils seront traités de la la même manière”, avance Abdel Aïssou.
Outre ces mesures, l’entreprise a aussi mis en place des outils pour mieux déceler les discriminations, tels que le “quickscan ” (“scan rapide”), sorte d’auto-questionnaire que l’entreprise renseigne elle-même pour évaluer si sa politique de recrutement n’offre pas le flanc aux discriminations. Les salariés peuvent en outre signaler tout abus via un formulaire en ligne anonyme. “La façon dont les gens s’aiment, ce n’est pas l’affaire de l’entreprise”, conclut Abdel Aïssou.
L’homophobie créatrice de pauvreté dans les pays du sud
Il est plus difficile de chiffrer l’homophobie dans les pays du Sud, en raison du manque de structures et d’études, alors qu’elle y est pourtant parfois très forte, comme en Ouganda, constituant même une homophobie d’État. Cette discrimination organisée au niveau étatique, ou simplement présente à l’échelle sociale a des conséquences en termes de développement, qui seront étudiées en détail dans les recherches lancées après le colloque.
« Ce que nous souhaitons montrer, c’est que l’homophobie est créatrice de pauvreté, en renforçant notamment le sida, par la mise à l’écart des homosexuels », explique Farida Belkacem, chercheuse à l’Iris. Dans certains pays, les médecins ont en effet obligation de dénoncer les patients soupçonnés d’avoir des relations homosexuelles, ajoute la chercheuse.