samedi, avril 20, 2024
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Sénégal : les premiers pas de la diplomatie

Sénégal : les premiers pas de la diplomatie
Sénégal : les premiers pas de la diplomatie   
Un autre défi pour magic Macky : se débarrasser des oripeaux et pouvoir se démarquer de la diplomatie très personnalisée d’une décennie d’Abdoulaye Wadisme. Instabilité régionale sur fond de crise économique mondiale ; telles sont les contingences auxquelles doit faire face la nouvelle diplomatie sénégalaise.
De Banjul à Paris
Le président Macky Sall n’a pas eu beaucoup de temps pour savourer sa victoire. En matière de politique étrangère, l’agenda du chef de l’Etat était bien garni la 1ère quinzaine du mois d’avril dernier. Il reflète surtout ses priorités et va dans le sens de son discours à la Nation du 3 avril 2012. L’accent a été mis sur la résolution du dossier « Casamance ». Il s’est exprimé en ces termes : « je compte impliquer les deux pays voisins, la Gambie et la Guinée-Bissau, pour résoudre la crise dans le sud du pays… » ; Une déclaration très pragmatique et contrastée par rapport à celle tonitruante de son prédécesseur au moment de sa prise de fonction en 2000. « Je règlerai le conflit casamançais en 100 jours » avait formulé le président Abdoulaye Wade, à l’époque. 
Première sortie : la Gambie     
La rencontre, de Macky Sall et son homologue gambien Yaya Jammeh, était marquée du sceau de la fraternité ; une visite de courtoisie mais surtout une volonté affirmée de Dakar d’intégrer Banjul dans le processus de rapprochement avec le Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC).
En 1816, cette langue de terre qui borde de par et d’autre le fleuve Gambie devenait enclave britannique. Alors que la Casamance était encore sous influence portugaise, les français ont timidement mis pied vers 1826 sur le littoral, du côté de l’estuaire en face de l’île de Dogué. A force de grignotage et d’alliance avec les royaumes de l’intérieur, la France s’est enhardie et repoussée les portugais vers le sud et les anglais vers le nord. La configuration actuelle des frontières a été signée par les trois puissances coloniales en 1889. La Casamance fut ainsi rattachée au Sénégal alors que les deux régions sont séparées par la Gambie anglaise.
Donc la Gambie est pour le Sénégal un voisin incontournable. Géographiquement, la continuité du territoire passe de facto par elle ; le cas échéant, le désenclavement oblige à emprunter la voie maritime ou à faire un grand détour par voie terrestre. Vers le début des années 1980, le grand dessein sénégalais de désenclaver le sud de son territoire allait enfin se concrétiser. Profitant de la faiblesse de son homologue gambien Dwanda  Jawara, victime d’un coup d’Etat en juillet 1981, Abdou Diouf vola à son secours pour le remettre sur son trône.
En 1982, les présidents Abdou Diouf et Dwanda  Jawara, ont tenté un coup de poker : la création de la confédération Sénégambie. L’idée était de mettre en place des politiques étrangères communes et des projets de coopération. La ficelle fut trop grosse et le divorce a été prononcé en 1989 pour cause d’intérêts trop divergents. Coïncidence troublante : depuis la proclamation de l’indépendance du Sénégal, c’est également en 1982 que naquit le MFDC en Casamance et le début des mouvements insurrectionnels. Les casamançais ont toujours dénoncé, même à l’époque de Léopold Sédar Senghor l’emprise du nord et revendiquaient silencieusement une plus grande autonomie.
Aujourd’hui, le président Macky Sall est parfaitement conscient de l’enjeu géopolitique. Il a vraiment besoin de la contribution de son voisin pour éviter que toute la région ne bascule dans l’instabilité. Car le fait que la Guinée-Bissau, qui partage sa frontière avec la Casamance, traverse également une période de transition à la suite d’un coup d’Etat, complique davantage le problème casamançais. Historiquement, les rebelles du MFDC n’ont jamais hésité à traverser les frontières pour se réfugier en Guinée-Bissau et se constituer une base arrière lorsque l’offensive de l’armée sénégalaise se faisait plus menaçante. 
Deuxième sortie : La France
 
Autant le premier voyage diplomatique de Macky Sall semble obéir à une logique, compte tenu de la situation qui prévaut dans cette région, la visite-éclair du chef de l’Etat sénégalais en France peut en surprendre plus d’un.
La France est en pleine période électorale. Une visite de travail de 24 heures peut-elle se justifier, et ce d’autant plus que l’hôte du palais de l’Elysée n’a pas la faveur des instituts de sondage. Les marabouts blancs ont toujours prédit une alternance au pouvoir en France. C’est dans l’ambiance de cette fin de campagne tapageuse de veille du premier tour que le président sénégalais débarqua le 18 avril.
Lors de la conférence de presse commune des deux chefs d’Etat au sortir d’un entretien en tête-à-tête, ils ont loué l’amitié retrouvée entre le Sénégal et la France. Retrouvée ? Le président Nicolas Sarkozy voudrait-il effacer l’offense faite au continent africain avant de quitter le pouvoir ? Rappelons que le fameux discours sur « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire… » a été prononcé à l’université Cheick Anta  Diop de Dakar le 26 juillet 2007, au tout début de son mandat.
La France voulait surtout marquer son affection auprès du président Macky Sall, représentant d’un peuple courageux et vaillant, symbole d’une Afrique favorable à l’alternance démocratique par la voie des urnes et sans violence. C’est aussi pour le pays hôte, une façon de tourner la page d’une relation tumultueuse avec son prédécesseur ; en quelque sorte un coup de pied de l’âne à l’endroit de l’ex-président Abdoulaye Wade qui n’était plus en bon terme avec l’ancienne puissance coloniale. Ce dernier a ainsi taxé d’« ingérence de la France dans un pays souverain » le fait que par l’intermédiaire du ministre des Affaires Etrangères Alain Juppé n’ait pas approuvé sa candidature aux dernières élections présidentielles en février 2012 alors que le Conseil Constitutionnel sénégalais l’avait validé. Une candidature de trop pour Gorgi (le Vieux) qui, un an plus tôt, a fait le voyage de Benghazi, ville d’où est partie la révolution libyenne pour « dégager » le colonel Kadhafi.
Côté coulisse, la forte délégation sénégalaise donne une indication sur la tonalité et l’urgence supposée de cet aller-retour rapide. Outre son ministre des Affaires Etrangères Alioune Badara Cissé, le président Macky Sall a ramené dans sa suite le ministre de la Défense Augustin Tine, flanqué de son chef d’état-major le général Abdouaye  Fall. Parmi eux, figure encore le ministre de l’Economie et des Finances Amadou Kane.
La signature d’un nouvel accord de défense   
 
Renforcer la coopération entre les deux pays ; tel était l’objectif affiché de cette rencontre. Selon le principe de la continuité de l’Etat, les actes internationaux ne seront jamais remis en cause même en cas de changement de pouvoir ; mais
alors pourquoi tant de précipitation française pour la signature d’un autre accord de défense alors que le précédent date d’avril 2010.
En effet, le mandat de Nicolas Sarkozy a été marqué par une volonté de dépoussiérage des accords militaires, signés avec les anciennes colonies à l’orée de l’indépendance en 1960. Elle est inscrite dans le livre blanc sur la Défense et la Sécurité nationale datant de 2008 et qui juge que lesdits accords sont obsolètes et appartiennent au passé. Plus besoin d’avoir une pléthore d’effectifs stationnés dans les capitales africaines pour protéger vaille que vaille les chefs d’Etat qui s’accrochent au pouvoir. Une réduction drastique des unités voire la fermeture de plusieurs bases a été programmée. Ainsi en avril 2010, le Sénégal ne comptabilise plus que quelques 300 hommes de l’armée française contre 1.200 auparavant. Concomitamment, les forces françaises ont été redéployées dans le golfe Persique et précédées de la construction d’une nouvelle base à Abou – Dhabi.
La signature de ce nouvel accord de défense franco-sénégalais procède sans doute d’une réadaptation souhaitée par la France. Elle résulte de l’évolution géopolitique qui s’opère en ce moment dans la sous-région du Sahel par le double effet de la chute du Guide libyen et de la montée en puissance d’AQMI. Seules quelques unités spéciales françaises sont aujourd’hui stationnées au Burkina-Faso. Ce qui paraît insuffisant pour, à la fois, sécuriser ses mines d’uranium au Niger et intervenir pour la libération éventuelle d’otages.
Nous attendons donc la publication du contenu de l’accord, comme l’a promis le président Nicolas Sarkozy.
200 milliards FCFA (305 millions €uros) d’urgence !
La nouvelle équipe gouvernementale, fraîchement installée, semble surprise que les caisses de l’Etat soient vides. Si on rajoute les promesses électorales (compensation tarifaire au niveau de l’électricité, subventions sur les produits de première nécessité…), l’impasse de financement à très court terme tournerait autour de 200 milliards FCFA (305 millions €uros) selon le porte-parole du gouvernement Serigne Mbaye Thiam. Dans son discours d’investiture comme tout au long de sa campagne présidentielle, le président Macky Sall a insisté sur une diplomatie tous azimuts moins personnalisée : « désormais, la population sénégalaise regarde, s’influence et échange avec nos frères africains, européens, américains, mais aussi des pays du golfe ou d’Asie ». La dure réalité du quotidien plombe quelque peu cette vision du candidat Macky Sall et l’oblige à se recentrer sur le realpolitik.
Jusqu’à preuve du contraire, la France, ex-puissance coloniale, est et restera toujours le premier bailleur de l’Aide Publique au Développement (APD). Et cette fois encore, elle est venue au secours du Sénégal. Non seulement, la délégation sénégalaise est rentrée au pays, lestée de 130 millions €uros de bagage à mains. Mais ordre a été aussi donné, par le président Nicolas Sarkozy, à son ministre de l’Economie et des Finances François Baroin de cornaquer son homologue sénégalais pour négocier avec le FMI une rallonge de crédit pour le Sénégal. De même que le ministre des Affaires Etrangères Alain Juppé et celui de la Coopération Henri de Raincourt sont priés de jouer les VRP et d’accompagner le nouveau gouvernement sénégalais dans les arcanes de l’Union Européenne à Bruxelles, pour obtenir des fonds multilatéraux, indispensables à la relance d’une économie exsangue. 
L’exfiltration d’ATT
C’était quelques jours après le coup d’Etat militaire au Mali le 22 mars dernier : « monsieur Amadou Toumani Touré (ATT) pourrait faire l’objet de poursuites judiciaires pour haute trahison et malversations financières » ; tels étaient les propos publiquement tenus par le capitaine Amadou Sanogo, chef de la junte militaire. Le président déchu a trouvé refuge à l’ambassade du Sénégal à Bamako, depuis sa fuite en catimini du palais de Koulouba. Coïncidence ou pas, le sort d’ATT a été, pour la première fois, évoqué par le président Macky Sall lors de sa déclaration juste après son retour de Paris. Il a parlé de « démarches pouvant aboutir au transfert à Dakar du président malien ». En marge de cette visite de travail de Paris, il n’était pas impossible que la conversation entre les deux chefs d’Etat ait pu glisser sur le sujet et qu’il faille sauver le soldat ATT.
ATT a donc atterri à Dakar le 19 avril à bord de l’avion de la présidence sénégalaise. Le Sénégal a toujours été traditionnellement une terre d’asile : le camerounais Ahmadou Ahidjo en 1984, le tchadien Hissène Habré en 1990 et toute proportion gardée ATT en 2012. Dakar serait un point de chute définitif ou provisoire pour ce dernier ?
La diplomatie sénégalaise sera aussi jugée sur sa capacité à s’extraire du dossier « Habré ». Sera-t-il un jour extradé donc « lâché » par son pays hôte pour répondre de ses actes ? Si oui, ce sera certainement au cours de ce quinquennat du président Macky Sall.

 Lamine THIAM

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