mardi, avril 23, 2024
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Libye: chaque jour, Mohammed ramasse les cadavres dans les ruines de Syrte

Libye: chaque jour, Mohammed ramasse les cadavres dans les ruines de Syrte
 Il a 32 ans et le regard hanté de ceux qui ont vu trop d’horreurs pour dormir en paix. Mohammed Younès Al-Hemali fait partie des volontaires ramasseurs de cadavres dans les ruines de Syrte, ville fantôme où Mouammar Kadhafi se terrait avant sa mort le 20 octobre.  Le parfum lourd et douceâtre de la putréfaction plane avec insistance sur la cité totalement dévastée par des semaines de bombardements et de combats de rue.
Pas un jour sans la découverte de dizaines de morts enterrés à la hâte dans un jardin, pris dans les décombres de bâtiments effondrés ou pourrissant en plein air. Des civils et des combattants, tués lors d’affrontements ou de bombardements ou encore exécutés par l’un ou l’autre camp.
Au moins 500 corps ont été enterrés depuis dimanche, selon les volontaires chargés de leur collecte.
Mohammed Younès Al-Hemali fait partie de ces volontaires. Longs cheveux bouclés sous une casquette de base-ball, en jeans et baskets, il contemple 26 tombes sommaires, de petits monticules de sable odorants marqués par des parpaings gris ne portant aucun nom, sur le site très endommagé d’une société de traitement des eaux du quartier n°2, où les forces de l’ancien dirigeant s’étaient réfugiées avant leur déroute.
Sans doute des soldats de Kadhafi tués dans les combats et enterrés à la hâte par leurs frères d’armes, jugent les volontaires, une hypothèse impossible à vérifier.
Mohammed redoute la suite: « Il va falloir les déterrer pour les amener au cimetière… »
Cinq jours déjà que cet ancien chauffeur de taxi vit du matin au soir cette horreur qui lui ronge l’âme, dans une ville réduite à un tas de décombres.

Libye: chaque jour, Mohammed ramasse les cadavres dans les ruines de Syrte
« Je suis désolé de voir ma ville comme ça. Les thowar (révolutionnaires) auraient pu la prendre en la détruisant beaucoup moins. Mais il y avait une grande résistance des hommes de Kadhafi, et je pense que les thowar voulaient punir Syrte », estime-t-il.
Car « la majorité des gens de Syrte soutenaient Kadhafi, même mes proches », confie-t-il. A leur décharge, il assure que « personne ne savait rien de ce qui se passait, le téléphone ne marchait pas ».
« J’étais contre ces tueries depuis le début, d’un côté ou de l’autre, mais j’étais le seul », ajoute-t-il.
Depuis cinq jours, « on roule à travers la ville, on cherche, on demande aux gens. Parfois les gens viennent nous voir pour nous dire qu’il y a des corps chez eux. Les familles, quand elles rentrent chez elles, trouvent souvent un corps ou une tombe de fortune dans leur propriété ».
« On les ramasse, on les nettoie et on les enterre décemment », résume-t-il.
Il s’est porté volontaire peu après son retour dans le quartier n°2, qu’il avait fui lorsque les affrontements s’y sont concentrés. Comme les rares habitants hantant les ruines, il a trouvé sa maison détruite et pillée.
« J’habite près de l’hôtel Al-Mahari, et l’odeur arrivait jusqu’à chez moi. Je suis allé voir », explique Mohammed.

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Entre 65 et 70 cadavres pourrissaient là, sur la pelouse de l’hôtel près de la plage, certains ligotés, une balle dans la tête ou la nuque.
Selon les combattants du Conseil national de transition (CNT), il s’agit de camarades exécutés par les pro-Kadhafi avant leur fuite. Mais l’ONG Human Rights Watch, qui a enquêté et établi que quatre des victimes étaient soit des habitants de Syrte, soit des proches de Mouammar Kadhafi, a conclu à une exécution sommaire de pro-Kadhafi par les pro-CNT.
Après avoir vu cela, « il fallait que j’aide, c’est mon quartier », dit Mohammed.
Il décrit sa sinistre tâche, parle brièvement des cadavres gonflés de gaz de décomposition qui éclatent quand il les déplace, des corps tellement pourris que la chair s’effiloche et que seul l’os lui reste en main lorsqu’il saisit un membre.
Il s’interrompt au milieu d’une phrase, puis reprend: « C’est la première fois que je fais ça. Je ne peux pas exprimer combien c’est horrible de voir tous ces gens morts ».

AFP

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