vendredi, décembre 27, 2024
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L’Angola, modèle ou repoussoir pour l’Afrique?

L’Angola, modèle ou repoussoir pour l’Afrique?

La carte postale est belle. Le front de mer de Luanda a en grande partie été restauré, les bâtiments de l’époque coloniale portugaise ont retrouvé le lustre d’antan. Les puissants véhicules 4X4 longent la longue avenue, bordée  d’impeccables palmiers.

Les restaurants chics et les boutiques de luxe attirent une élite assise sur une montagne de pétrodollars et les nombreux expatriés travaillant dans l’or noir.

Derrière le front de mer, une forêt de gratte-ciels, dont beaucoup encore en construction, traduit le dynamisme, la foi en l’avenir,  de ce pays d’Afrique australe, qui dispute au Nigeria le rang de premier producteur de pétrole d’Afrique.

Oui, la carte postale est belle, fait penser à la Riviera française, à la Californie ou à Rio. Mais les cartes postales sont toujours trompeuses et la réalité est beaucoup moins glamour.

Avant de déchirer la carte postale, attardons-nous quand même un peu sur la « success story ». Le « miracle angolais », c’est d’abord le redressement spectaculaire de l’économie après une terrible guerre civile, qui a ravagé de 1975 à 2002 ce qui fut la plus riche colonie portugaise d’Afrique.

Le bilan fut effroyable: 500.000 morts, et quatre millions de déplacés sur une population de seulement 18 millions d’habitants. Qui aurait parié alors sur ce pays déjà « saigné » par plusieurs siècles de traite, qui pèsent encore aujourd’hui sur sa démographie. Qui aurait parié sur ce pays pauvre, qui était à genou, avec toutes ses infrastructures réduites, ses terrains agricoles infestés de mines, sa population analphabète, sans accès à l’éducation, à l’eau et à l’électricité?

12% de croissance annuelle du PIB

Depuis dix ans, l’Angola est en plein boom, avec une croissance moyenne de plus de 12% quasi uniquement tirée par l’exploitation du pétrole. Chaque jour, 1,7 million de barils sont extraits du sol angolais, notamment de l’enclave de Cabinda, coincée entre les deux Congo.

La production d’or noir a plus que doublé en 10 ans, elle pourrait flirter avec les 2 millions de baril/jour dans deux ans.

Les explorations se multiplient, les réserves sont gigantesques. Un tel « magot » pétrolier n’a évidemment pas échappé au grand frère chinois, d’autant plus qu’entre Luanda et Pékin le marteau et la faucille font bon ménage avec les dollars.

Les deux pays partagent la même vision: capitalisme d’Etat s’appuyant sur de grands groupes publics + autoritarisme politique. C’est toujours utile de regarder dans la même direction lorsqu’on veut faire des affaires. Depuis la fin de la guerre civile, la Chine soutient à bout de bras son petit frère angolais.

Les Chinois sont omniprésents

L’Angola est le pays qui reçoit le plus d’aides financières chinoises. Une aide qui a bien sûr une contrepartie: près de la moitié du brut angolais part directement alimenter la deuxième puissance économique mondiale. En Angola, les Chinois sont omniprésents.

Qui construit la ville nouvelle de Kilamba Kiaxi pour désengorger Luanda ? Des entreprises de BTP chinoises? Qui a reconstruit la ligne de chemin de fer entre Luanda et Malange, vitale pour l’économie? La China Railway Construction Corporation (CRCC) .

Et jamais Pékin ne critiquera Luanda dans le domaine des droits de l’Homme. Ce n’est pas bon pour les affaires.  Et les Occidentaux le font tellement bien…

L’Angola est même en passe de devenir une colonie de peuplement pour une main d’œuvre chinoise, abondante et bon marché, qui reste souvent sur place une fois les contrats achevés, fleurant qu’il y a encore beaucoup d’argent à faire.

Ironie de l’histoire, les Chinois sont rejoints par les Portugais, frappés de plein fouet par la crise économique. Appauvris, chômeurs en fin de droit, sans perspective dans leur petit pays, ils arrivent en masse dans leur « nouvelle Amérique », leur ancienne colonie africaine.

Plus de 150.000 d’entre eux ont déjà obtenu un visa pour l’Angola. Un phénomène de cette ampleur est inédit dans l’histoire contemporaine.

Les  Français taperont-ils un jour à la porte de l’Algérie, riche de son pétrole et de son gaz, ou de la Côte d’Ivoire pour chercher du travail qu’ils sont incapables de trouver dans l’hexagone ? Les Belges feront-ils de même en RDC, les Italiens en Ethiopie et en Libye?

Le « miracle angolais » existe bel et bien. Des centaines de milliers d’étrangers, africains, européens et asiatiques affluent dans le pays pour avoir leur part du gâteau.

Un Angolais sur trois exclu de la manne pétrolière

Mais dans les ruelles sordides des bidonvilles de Luanda, des enfants  en guenilles reniflent des petits bouts de tissus imbibés d’essence. Avec la « gazolina » qui leur détruit les neurones, ils cherchent à s’évader de la misère.  Snifer du pétrole en Angola, géant pétrolier africain, à quelques dizaines de mètres des nantis et de leurs pétrodollars, voilà le paradoxe angolais.

Un Angolais sur trois est exclu de la manne pétrolière et vit dans l’extrême pauvreté. Un enfant sur 5 meurt avant l’âge de 5 ans. Le pays est riche mais le peuple est pauvre. Combien de temps les exclus du miracle vont regarder une élite capter à son seul profit les pétrodollars?

Les révolutions du monde arabe, parties de Tunisie en janvier 2011, n’ont pas traversé le Sahara. Mais en Angola, les jeunes ont commencé à secouer le cocotier, des manifestations contre le pouvoir se sont multipliés, l’impatience est palpable.

Le régime de Dos Santos, au pouvoir depuis 1979, a senti le vent
du boulet et multiplie les investissements, notamment pour fournir des logements et des emplois. Mais l’agriculture n’est pas repartie, la majorité des biens alimentaires sont importés, donc chers et hors de portée de la majorité.

Le pays est un des plus corrompus du monde. Le Fonds monétaire international (FMI) a même trouvé que plus de 4 milliards de dollars avaient disparu du budget entre 2007 et 2010.

Des milliers d’opposants défilent régulièrement dans les rues de Luanda, comme en ce 19 mai, à l’appel de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), l’ex-rébellion de Jonas Savimbi, tué il y a 10 ans.

Tout le monde a désormais les yeux tournés vers la date du 31 août. Se tiendront alors les élections législatives, les troisièmes seulement organisées depuis l’indépendance en 1975. Il n’y a pas de présidentielle en Angola. Le chef du parti vainqueur des législatives devient automatiquement le président de la République.

Le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), dirigé par Dos Santos et qui a la mainmise sur la manne pétrolière, part favori. Mais les opposants espèrent bien exporter en Angola la révolution ayant ces derniers mois balayé les régimes, pourtant solidement accrochés au pouvoir, en Tunisie comme en Egypte.

Pour le président Dos Santos, ces élections pourraient constituer une porte de sortie honorable. Mais il ne veut pas pour autant laisser les clés du coffre-fort à ses détracteurs. Dans l’ombre, se tient celui qui pourrait lui succéder: Manuel Vicente, 56 ans, homme fort du secteur pétrolier.

Il dirige depuis 1999 la Sonangol, la compagnie publique qui gère les pétrodollars angolais et véritable Etat dans l’Etat. Mais comme l’ont montré le Sénégal et l’Egypte, il suffit d’un grain de sable pour que les successions les mieux préparés déraillent.

Adrien Hart

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