A une époque où les adolescents rêvent de célébrité et se ruent à la télévision pour devenir chanteur ou musicien, Sipho Mabuse, star de la musique sud-africaine, a fait le chemin inverse et retourne à l’école à 60 ans pour apprendre et passer son bac.
Le samedi soir, celui que ses fans ont très tôt surnommé « Hotstix » pour son génie de la batterie continue de faire vibrer les foules avec des tubes comme « Jive Soweto » ou « Burn out », dont le funk des années 1980 n’a pas pris une ride.
Mais les soirs de semaine, on le trouve assis au premier rang de sa classe dans une école de Soweto, la township proche de Johannesburg où il est né en 1951 et a grandi.
« Quand j’ai commencé à devenir musicien, j’étais à un âge très influençable. J’étais jeune, j’avais 15 ou 16 ans », dit-il à l’AFP. « Soudain, imaginez que vous gagnez plein d’argent, vous êtes invités à des bals de bacheliers et plein de belles filles, tous ces trucs attirants, vous en oubliez que vous êtes encore au lycée. C’est comme ça que j’ai laissé tomber ».
Précoce, doué en tout, batterie, clavier, saxo, flûte, Sipho Mabuse n’a pas eu besoin du baccalauréat pour parcourir le monde avec sa musique, mélange de beat du township, de jazz, de funk et de disco, soutenant la lutte contre l’apartheid.
Au plus dur du régime ségrégationniste, au moment de l’instauration de l’état d’urgence dans une partie du pays en 1985, Sipho Mabuse, ancien du groupe Harari, vendit un demi-million d’exemplaires de son disque « Burn out » sorti la même année, qui fit de lui une tête d’affiche en solo.
Il a joué avec le crooner américain Percy Sledge, avec le chanteur Paul Simon. Il siège aujourd’hui au Conseil national des arts, joue les vedettes à la cérémonie des victoires de la musique (SAMA Awards), est au sommet de sa carrière et n’a plus rien à prouver.
Principal échec de l’après-apartheid
Mais l’an dernier, il a décidé que quelque chose lui manquait.
« Quand j’ai commencé à grandir, et à grandir vraiment comme professionnel responsable, j’ai réalisé qu’il y avait quelque chose que je n’avais pas terminé, et c’était mon baccalauréat », raconte-t-il.
En 2011, il a passé l’examen dans six matières et en a réussi quatre, une gageure même pour un élève à temps complet. Cette année, il se concentre sur l’histoire et la géographie, les deux matières qui lui manquent pour le bac, mais va aussi au cours de gestion, par plaisir.
En classe, il est le premier à poser des questions et à s’inquiéter de savoir si le « Grand Trek », cette page d’histoire chère aux Afrikaners au pouvoir dans sa jeunesse, est toujours au programme.
Le « Grand Trek », qui retrace l’exode de milliers de fermiers boers au milieu du XIXe siècle, est toujours enseigné, mais moins longuement.
Quand Sipho a quitté l’école en 1969, la majorité noire avait droit à une éducation de seconde zone, « l’éducation bantoue » destinée à former les noirs pour des rôles subalternes dans une économie sud-africaine dirigée par les Blancs.
Sept ans plus tard, le pouvoir a imposé dans tous les établissements pour noirs l’
usage unique de l’afrikaans, la langue des Afrikaners dérivée du néerlandais, provoquant des émeutes à Soweto en 1976 et poussant de nombreux jeunes à abandonner l’école.
Depuis l’avènement de la démocratie en 1994, l’éducation est le premier budget de l’Etat mais aussi le principal échec de l’Afrique du Sud post-apartheid. 10% des écoles n’ont pas l’eau courante, 15% pas l’électricité, et les étudiants ont souvent une table pour deux.
Environ 70% des candidats ont réussi le bac l’an dernier, mais dans certaines matières, une note faible suffit.
La présence de Sipho Mabuse à l’école secondaire Thaba-Jabula est donc un signal fort. Alors qu’il aurait pu s’offrir un répétiteur ou une école privée, il a préféré s’inscrire dans un cours pour adultes dans une école publique.
Avant les cours, il est bavard, il plaisante avec les filles sur leurs petits amis, montre la couverture de son prochain disque « Class Act ».
Mais en classe, sa présence studieuse inspire les autres, disent les professeurs.
Au fond, dit-il, « on veut tous la même chose, on veut le savoir. Pour eux, voir un sexagénaire venir et s’asseoir en classe, c’est un encouragement. Les gens se disent, s’il y parvient à son âge, pourquoi pas nous? ».
AFP