Le journaliste Eskinder Nega, déjà détenu à maintes reprises pour ses critiques contre le régime éthiopien, risque une nouvelle longue peine de prison après sa condamnation mercredi pour activités « terroristes » aux côtés de 23 autres personnes, dont deux opposants.
Ils sont « coupables des charges retenues contre eux, » a déclaré le juge Endeshaw Adane en lisant le verdict. Tous risquent la mort, mais l’accusation a requis la perpétuité. Les peines seront prononcées ultérieurement.
Huit des accusés étaient présents devant le tribunal, à Addis Abeba. Les 16 autres ont été jugés par contumace.
Plusieurs charges avaient été retenues, notamment celle de lien avec des groupes qualifiés de terroristes par Addis. L’accusation reprochait aussi aux 24 personnes d’avoir envoyé des hommes en Erythrée, l’ennemi héréditaire de l’Ethiopie, pour y suivre une « préparation à des actes terroristes ».
Mais le journaliste et l’un des opposants, Andualem Arage, ont en particulier été reconnus coupables de « participation à une organisation terroriste », de « planification, préparation, complot, incitation et tentative d’acte terroriste ». Ils étaient accusés d’avoir commenté le printemps arabe dans les médias pour promouvoir des manifestations contre le gouvernement éthiopien.
Le juge a notamment estimé que le journaliste avait abusé de son droit à la liberté d’expression et l’a accusé d’avoir menacé la sécurité nationale. « La liberté d’expression peut avoir des limites quand elle est utilisée pour saper la sécurité et qu’elle sert pas l’intérêt public, » a-t-il estimé.
Le journaliste a demandé mercredi à être entendu par le tribunal. « Vous devez nous laissez dire ce que nous voulons (…) Vous n’avez aucun droit de limiter notre liberté d’expression, » a-t-il martelé.
M. Andualem a aussi cherché à s’exprimer, avant d’être interrompu par le juge qui lui a reproché de ne pas respecter les procédures. « J’ai lutté pacifiquement pour la démocratie, je n’ai jamais manqué de respect à personne ni commis aucun crime, a eu le temps de déclarer l’opposant, j’ai la conscience tranquille ».
M. Eskinder a reçu cette année le prix américain PEN, qui récompense des écrivains persécutés pour le simple exercice de leur métier.
« Jour noir pour la justice en Ethiopie » (Amnesty International)
Selon le PEN American Center, il avait dans le passé déjà été arrêté à sept reprises, notamment en 2005 : il avait alors été condamné à 17 mois de prison avec sa femme, qui a accouché en prison. A sa libération, M. Eskinder n’avait plus le droit d’exercer son métier de journaliste, mais il n’a jamais respecté l’injonction et il est resté une voix critique contre le gouvernement.
Ce mercredi 27 juin est « un jour noir pour la justice en Ethiopie, où la liberté d’expression est systématiquement détruite par un gouvernement qui cible toute voix dissidente, » a dénoncé Claire Beston, chercheuse spécialisée sur l’Ethiopie pour Amnesty international.
M. Eskinder, « icône du journalisme dissident », MM. Andualem et Nathnael, sont « des prisonniers de conscience, condamnés pour leurs activités légitimes et pacifiques, en particulier pour avoir défendu des manifestations pacifiques contre le gouvernement, » a estimé le groupe de défense des droits de l’Homme.
Amnesty dénonce en outre un procès entaché d’irrégularités, déplorant que la justice n’ai notamment pas enquêté sur des accusations de tortures proférées par l’un des accusés.
« Les charges contre M. Eskinder sont sans fondement et politiquement motivées, en représailles à ses écrits », a de son côté estimé le Comité pour la protection des journalistes (CPJ).
Cinq des accusés, dont MM. Eskinder et Andualem, doivent de nouveau comparaître le 13 juillet pour présenter leurs circonstances atténuantes et formuler aux-mêmes des propositions de peines.
Mercredi, la salle d’audience était remplie de membres des familles des accusés, de journalistes et de diplomates, dont l’ambassadeur américain, Donald Booth.
AFP