En gelant leur aide militaire au Rwanda, les Etats-Unis ont mis fin à leur idylle débutée il y a 15 ans avec le régime du président Paul Kagame, accusé aujourd’hui par l’ONU de soutenir la rébellion en République démocratique du Congo, estiment des experts.
Le département d’Etat a annoncé la semaine dernière dans un communiqué sibyllin « ne plus pouvoir fournir au Rwanda de financement militaire étranger » en 2012, soit une enveloppe modeste de 200.000 dollars. « Nous l’avons répété au gouvernement rwandais: nous sommes profondément inquiets du soutien du Rwanda à un groupe rebelle congolais dénommé M23 », le Mouvement du 23 mars, a expliqué la porte-parole de la diplomatie américaine, Victoria Nuland. Washington a appelé à « la fin des violences dans l’est de la RDC et à ce que « cesse tout appui extérieur » aux insurgés congolais.
Le patron du bureau de la Justice criminelle internationale au département d’Etat, Stephen Rapp, a enfoncé le clou, déclarant au quotidien britannique The Guardian que M. Kagame pourrait un jour être poursuivi pour « complicité » de crimes de guerre perpétrés dans un pays voisin.
Pour Richard Downie, du Centre d’études internationales et stratégiques (CSIS) à Washington, « c’est réellement la première fois que l’on entend des mots aussi durs du gouvernement américain contre Paul Kagame ». L’expert y décèle « une vraie inflexion » dans la politique des Etats-Unis à l’égard du Rwanda, « dorénavant dans une position bien inconfortable ».
Car depuis que M. Kagame a pris le pouvoir et mis fin au génocide en juillet 1994, il était « le favori, le chouchou, des donateurs internationaux », au premier rang desquels « les Etats-Unis et le Royaume-Uni, premier pourvoyeur d’aide bilatérale », rappelle M. Downie.
L’ancien Premier ministre britannique Tony Blair est conseiller spécial de M. Kagame et, comme l’ex-président américain Bill Clinton, soutient sans faille le développement du Rwanda, via sa fondation Africa Governance Initiative.
Mais le vent a tourné en juin pour Kigali.
Dans un rapport, des experts de l’ONU ont mis au jour un lien direct entre le M23 et des dignitaires rwandais –notamment le ministre de la Défense et le chef d’état-major des armées– qui fournissent armes et recrues.
Après plusieurs rapports internationaux accusatoires depuis 15 ans restés sans écho, le département d’Etat a jugé celui des Nations unies « tout à fait complet et préoccupant ». John Campbell, du Council on Foreign Relations, pense aussi que les experts onusiens « apportent les preuves de l’implication du Rwanda dans l’est de la RDC ».
« Cela aura impact sur la relation » entre Washington et Kigali, prédit-il.
Le Rwanda a toujours nié toute ingérence en RDC et M. Kagame a brocardé sur CNN des allégations « absolument ridicules et insensées ».
Le M23 s’oppose depuis mai à l’armée de la RDC dans l’est du Nord-Kivu, frontalier du Rwanda et de l’Ouganda. Ces mutins sont issus d’une ancienne rébellion tutsi en RDC, le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), intégré en principe à l’armée congolaise depuis le 23 mars 2009.
Mais le M23 reproche au président congolais Joseph Kabila d’être revenu sur leur accord.
Le CNDP était déjà réputé soutenu par le Rwanda pour combattre, en RDC, des rebelles hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Le Rwanda accuse les FLDR d’avoir participé au génocide des Tutsi en 1994 et de rester une menace militaire. Kigali avait ainsi dépêché des soldats en RDC en 1996-1997, puis entre 1998 et 2002, avant d’agir par milices interposées, au prix, selon des experts, de grands massacres.
La décision de Washington sonne « peut-être le début de la fin pour le soldat Kagame et son permis de tuer et de piller depuis 1994 et la révision de la politique américaine dans les Grands lacs », espère le journaliste français Pierre Péan, auteur controversé d’enquêtes sur la région.
AFP