Cinq pays du Sahel et la France se réunissent en sommet lundi et mardi à N’Djamena, pour faire le point sur la lutte antijihadiste dans la région, où Paris voudrait voir ses alliés assumer le relais militaire, mais aussi politique, pour réduire un engagement vieux de huit ans.
Dans son discours d’ouverture, le maréchal Idriss Déby Itno, le chef de l’Etat tchadien, a pressé la communauté internationale à redoubler d’efforts financiers pour œuvrer « impérativement » au « développement » du Sahel pour remédier à la « pauvreté, terreau du terrorisme ».
Ses homologues du G5 Sahel, les présidents mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, malien Bah Ndaw, burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, nigérien Mahamadou Issoufou, ainsi que le chef de l’Etat ghanéen Nana Akufo-Addo, président en exercice de la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), étaient aux côtés de M. Déby mais pas Emmanuel Macron. Resté à Paris pour cause de crise sanitaire du Covid-19, le président français doit se réunir à huis-clos avec ses homologues du G5 Sahel en visio-conférence.
Le sommet de deux jours associe dans un premier temps le G5 Sahel et la France, puis d’autres partenaires internationaux. Il a lieu un an après celui de Pau (Sud-Ouest de la France) qui, devant la menace d’une rupture sous les coups de boutoir jihadistes, avait débouché sur un renforcement militaire dans la zone dite des « trois frontières » (Mali, Niger et Burkina) et l’envoi de 600 soldats français supplémentaires, les faisant passer de 4.500 à 5.100.
En dépit des succès tactiques revendiqués, le tableau demeure très sombre. Plus de huit ans après le début dans le Nord du Mali d’une crise sécuritaire qui continue à étendre ses métastases à la sous-région, quasiment pas un jour ne passe dans les trois principaux pays affligés sans une attaque contre ce qui reste de représentation de l’Etat, l’explosion d’une mine artisanale ou des exactions contre les civils.
Ceux-ci sont les principales victimes du conflit. La barre des deux millions de déplacés a été franchie en janvier.
Un an après Pau et le temps du « sursaut militaire », doit venir à N’Djamena celui du « sursaut diplomatique, politique et du développement », avait avancé le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avant le sommet.
L’armée française revendique d’avoir sérieusement affaibli l’organisation Etat islamique (EI) et tué plusieurs chefs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Le nombre d’attaques de camps militaires a baissé en 2020.
Mais les deux principales nébuleuses jihadistes restent très actives.
– « Ajustement » en vue –
Et la France, confrontée chez elle aux interrogations croissantes sur un engagement antijihadiste financièrement et humainement coûteux (50 soldats tués depuis 2013), convient que le remède ne peut être seulement militaire. Paris juge que trop peu a encore été fait par ses partenaires sahéliens sur le front politique, par exemple au Mali pour appliquer un accord de paix signé avec l’ex-rébellion du Nord ou pour faire revenir les instituteurs et les médecins dans les localités qu’ils ont désertées.
La France ne cache pas sa volonté de réduire la voilure. Elle va « ajuster (son) effort », assurait en janvier M. Macron. Mais Paris semble hésiter à couper immédiatement dans ses effectifs.
Paris privilégie deux axes pour alléger son empreinte: l' »internationalisation », incarnée par le nouveau groupement de forces spéciales Takuba, auquel participent plusieurs dizaines d’Estoniens, de Tchèques et de Suédois; et la « sahélisation », c’est-à-dire le passage du témoin aux armées nationales locales que la France forme avec l’Union européenne.
Celles-ci, sous-entraînées et sous-équipées, restent vulnérables. Au Burkina, les soldats ne sortent plus guère des bases quand ils ne les ont pas quittées.
Politiquement, Paris martèle qu’il est temps d’embrayer sur l’espace ouvert par les réussites militaires des derniers mois et de réinstaller l’Etat là où il est aujourd’hui absent.
« Le succès de la lutte contre le terrorisme est fortement tributaire des actions de développement », a commenté M. Déby à l’ouverture du sommet.
« Le bout du tunnel n’est pas toujours perceptible », « la mobilisation des pays du G5 Sahel doit être soutenue et renforcée par l’ensemble de la communauté internationale » et « j’appelle à plus de contributions » des pays amis tout en les remerciant de leurs « efforts inestimables », car « la pauvreté alimente le terreau du terrorisme », a-t-il lancé.
Au Mali, épicentre de la crise, les militaires – qui gardent la mainmise sur les autorités de transition installées après le putsch d’août 2020 – reprennent à leur compte la nécessité d’un dialogue avec les chefs jihadistes maliens Iyad Ag Ghaly et Amadou Koufa.
Une hypothèse officiellement exclue par Paris. Au contraire, le sommet de N’Djamena pourrait « acter l’effort ciblé sur la haute hiérarchie » du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), alliance jihadiste affiliée à Al-Qaïda, hiérarchie dont les deux hommes sont les principales têtes, explique l’Elysée.