C’est fait: l’opposant Félix Tshisekdi est officiellement devenu jeudi le cinquième président de la République démocratique du Congo, sous les yeux de son prédécesseur Joseph Kabila, mais en l’absence de l’autre opposant Martin Fayulu qui conteste sa victoire.
M. Tshisekedi, 55 ans, a reçu les symboles du pouvoir des mains du président sortant Joseph Kabila, 47 ans, lors d’une cérémonie au palais de la Nation, siège de la présidence. C’est la première transmission pacifique du pouvoir depuis l’indépendance depuis 1960.
Submergé par la chaleur, le poids de l’émotion et aussi d’un gilet pare-balle quasiment visible à l’oeil nu, M. Tshisekedi a fait un malaise de plus de dix minutes lors de son discours d’investiture.
Assumant un moment de faiblesse, il s’en est excusé « auprès du président de la République » Joseph Kabila « et de nos distingués invités ».
Un seul autre président de la République, le Kényan Uhuru Kenyatta, avait fait le déplacement.
D’autres pays africains avaient dépêché des représentants de rang inférieur: Tanzanie, Gabon, Namibie, Maroc, Burundi, Angola, Congo-Brazzaville, Egypte…Les Etats-Unis et les pays européens étaient représentés par leurs ambassadeurs.
Le protocole a été largement débordé par les partisans de M. Tshisekedi, les « combattants » de son parti Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) qui se sont invités dans l’enceinte du palais de la Nation.
« Félix n’oublie pas, papa avait dit: le peuple d’abord », a scandé la foule en référence au père du nouveau président, l’opposant Etienne Tshisekedi décédé à Bruxelles le 1er février.
Lors de son discours, Félix Tshisekedi a promis d’oeuvrer en faveur de la libération des prisonniers politiques.
« Le ministre de la Justice sera chargé de recenser tous les prisonniers politiques, d’opinion ou assimilés, sur l’ensemble du territoire national en vue de leur prochaine libération », a annoncé M. Tshisekedi.
Proclamé élu par la Cour constitutionnelle samedi, le nouveau président devra partager le pouvoir avec le camp du sortant qui a gardé la majorité à l’Assemblée nationale.
C’est parmi cette majorité que M. Tshisekedi devra chercher son Premier ministre à partir de lundi, date prévue de la rentrée parlementaire. Les noms du directeur de cabinet du président Kabila, Néhémie Mwilanya Wilondja, et du grand patron congolais Albert Yuma circulent dans la presse congolaise, entre autres spéculations.
La coalition Cap pour le changement (Cach) du président Tshisekedi et la coalition pro-Kabila Front commun pour le Congo (FCC) ont signé un « accord de coalition politique », d’après un document parvenu à l’AFP.
L’accord prévoit que les ministères régaliens (Affaires étrangères, Défense, Intérieur) doivent « comme cela est de doctrine certaine, revenir à la famille politique du président élu ».
Dans un message d’au revoir mercredi soir, le président Kabila avait encouragé les « leaders politiques » à privilégier une « coalition » plutôt que la « cohabitation ».
Au moins un officiel congolais a boycotté la prestation de serment: l’autre candidat de l’opposition Martin Fayulu, qui s’estime victime d’un accord entre MM. Kabila et Tshisekedi, et qui revendique la victoire dans les urnes avec 60% des voix.
Son recours a été rejeté par la Cour constitutionnelle.
Des proches de M. Fayulu ont déjà rejeté toute participation à un gouvernement d’unité nationale. « L’État de droit ne signifie pas arrangement, combine et combinaison pour gérer le pouvoir. Ce qui est mal conçu, ce qui est mal préparé va continuer négativement », a déclaré l’une de ses alliée, Eve Bazaiba.
L’Union africaine et l’Union européenne dans un communiqué conjoint avaient « pris note » mardi de l’élection de M. Tshisekedi, se déclarant prêtes à travailler avec lui.
Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait « émis des doutes » tout en souhaitant « éviter des crises et des affrontements ».
D’autres pays africains (Kenya, Tanzanie, Afrique du Sud…) ont salué plus chaleureusement l’élection de M. Tshisekedi.
C’est la première « passation de pouvoir civilisée » dans l’histoire de ce pays riche en minerais, comme le rappelle depuis le matin la chaîne d’Etat RTNC. Une histoire marquée par deux renversements du pouvoir par la force (1965 et 1997), deux assassinats de dirigeants, Patrice Lumumba en 1961 et Laurent-Désiré Kabila en 2001, et deux guerres qui ont ravagé l’est du pays entre 1996 et 2003.
Façonnées par Kabila, l’armée et les forces de sécurité vont devoir faire preuve de fidélité républicaine envers le nouveau président.
Le nouveau gouvernement va prendre la direction d’un pays riche en minerais, mais dont les deux tiers des 80 millions d’habitants survivent avec moins de deux dollars par jour.
La nouvelle équipe va subir de plein fouet la chute des cours du cobalt, qui ont dégringolé en quelques mois de 100.000 à 35.000 dollars la tonne.
Cette baisse brutale devrait être un coup dur pour l’État, qui misait beaucoup sur une réforme du code minier relevant la taxation des producteurs de cobalt. La RDC en est le premier exportateur mondial.