vendredi, avril 19, 2024
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A Lagos, une « Slum party » pour redonner vie et espoir à un quartier pauvre

Au rythme des percussions, deux géants en plastique tournoient dans une allée d’Orowonshoki, un quartier pauvre de Lagos, la capitale économique du Nigeria, et soulèvent dans les airs des volutes de poussières.

Des maisons de bois et de tôle, les habitants glissent leur tête au dehors, et regardent, les yeux écarquillés, cette étrange procession.

Bientôt, c’est toute la rue qui se déhanche avec effervescence et rejoint les danseurs, dont les costumes sont réalisés à partir de bouteilles de plastique ramassés sur le sol du quartier.

Enfin, la « Slum Party » peut commencer !

Depuis trois ans, un collectif d’une dizaine de jeunes tentent d’améliorer le quotidien des habitants grâce à la danse et aussi pour changer la réputation d’Orowonshoki, longtemps meurtrie par une guerre de gangs.

« En 2019, le quartier faisait face à une grande insécurité et plus personne n’osait sortir », se rappelle Valu, à l’origine de Slum Party, cette fête organisée une fois par an dans le quartier.

« Nous avons commencé à danser dans les rues, pour que les habitants se réapproprient leur territoire, et petit à petit nous y avons redonné vie », dit ce danseur professionnel, dont le vrai nom est Sunday Ozegbe Obiajulu.

Tout au long de l’année, ce collectif organise des ateliers de danse pour les enfants et des activités fitness pour les femmes.

« Normalement je reste toute la journée à la maison avec les enfants, mais grâce à eux je fais quelque chose de différent, j’ai l’impression d’exister », dit Martha Eze, 37 ans, qui dansera dans la soirée avec son groupe.

Mais avant, autour de la fontaine de cette communauté qui n’a pas accès à l’eau courante, où le DJ a installé ses platines, une centaine d’enfants jouent des coudes pour voir de plus près les saltos des danseurs professionnels. Puis reculent à pas de géant lorsqu’un cracheur de feu se met à souffler comme un dragon.

Autour, les femmes ont ajusté sur leur visage des masques colorés et frappent avec leur spatule des marmites au rythme des tubes d’afrobeat.

– Inégalités criantes –

Orowonshoki est situé au pied du Third Mainland, le deuxième plus grand pont d’Afrique qui s’étend sur 12 kilomètres au dessus de la lagune de Lagos.

Symbole des inégalités criantes du Nigeria où un habitant sur deux vit dans l’extrême-pauvreté, ce pont relie le continent, où s’entasse la majorité de la population dans des conditions déplorables, aux « îles », ces quartiers où l’élite nigériane et les expatriés dépensent sans compter leurs pétrodollars.

A Orowonshoki, les seuls dollars visibles sont ceux imprimés sur la chemise-bermuda d’un adolescent qui agite ses jambes sur « Peru », le dernier son du chanteur nigérian Fireboy.

« Regarde moi, je fais la fête à San Francisco, regarde moi je viens juste d’arriver de Miami », chantent à tue-tête une foule d’enfants en anglais, qui dansent pieds nus dans la terre.

Et même la coupure d’électricité qui arrête net la musique ne réussit pas à gâcher la fête: l’assistance continue de danser comme si de rien n’était. Si fréquents, les délestages ne sont même plus remarqués.

« On s’amuse trop aujourd’hui, j’adore danser », lance survolté Beke Olamileken, garçon de 16 ans qui rêve de devenir comédien.

Plus qu’un simple exutoire, « Slum party » est aussi un outil d’éveil politique.

« Je veux montrer que l’on peut changer les choses par des actions simples sur le terrain », explique Valu.

– Ligoter avec une corde –

L’année passée, une vidéo le montrant dansant dans une immense flaque de boue face à un policier pour dénoncer l’état désastreux des routes, avait fait le tour des réseaux sociaux.

Sur le perron d’une maison en ruine, le collectif a planté des tombes en carton, sur lesquelles sont inscrits « peuple », « richesse », « droits », « sécurité » et « paix ».

Dans ce décor, Henry Bethel Wisdom, 23 ans, ligote son corps avec une corde orange, et improvise une performance qui glace l’assemblée. Quasiment en transe, l’artiste s’élance dans les airs, tente de s’extraire du cimetière, mais est rattrapé à l’autre bout du fil par ses comparses qui le trainent jusqu’à eux.

« Ce sont les esprits qui nous ont inspiré cette performance », explique Olamide Ballyqueen, l’une des danseuses.

Aucun des danseurs n’y fait référence, mais la performance fait étrangement penser au mouvement de contestation inédit contre les violences policières qui s’était emparé du sud du Nigeria l’année dernière.

En octobre 2020, des milliers de jeunes étaient descendus dans les rues pour réclamer le fin des atteintes aux droits de l’homme et de la corruption, avant d’être réprimés dans le sang par l’armée et la police.

« Nous avons l’impression d’être esclave de notre gouvernement, nous avons besoin de sécurité, d’argent et de paix », lance la danseuse.

« Nous ne voulons pas souffrir comme nos parents. Et nous ne voulons surtout pas qu’ils souffrent comme nous », dit-elle en pointant du doigt un groupe d’enfants qui ne s’arrêtent plus de danser.

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