La flambée record de coronavirus en Inde inquiète les pays africains qui, outre l’arrivée du variant indien sur le continent, redoutent qu’elle ne limite durablement son approvisionnement en vaccins, jusqu’à présent largement assuré par le géant asiatique.
Le spectre d’un scénario indien a plané sur la « réunion d’urgence » des ministres de la Santé des pays membres de l’Union africaine sur la « stratégie continentale » de lutte contre le Covid-19, qui s’est tenue samedi après-midi.
Avec plus de 4,5 millions de cas et plus de 123.000 morts officiellement recensés sur le continent, l’Afrique a jusqu’à présent été relativement épargnée par la pandémie.
« Mais ce qui se passe dans d’autres parties du monde peut se produire en Afrique si nous baissons la garde », a prévenu le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus en ouverture de la réunion: « Dans de nombreux pays, l’émergence de variants, combinée à un relâchement prématuré des mesures sociales et de santé publique, ainsi que la distribution inéquitable des vaccins, a des conséquences tragiques ».
L’Inde en est l’exemple le plus récent et le plus tragique: le pays aux 1,3 milliard d’habitants a enregistré samedi un record de 4.197 morts en 24 heures. Cette nouvelle vague submerge les hôpitaux, à court de réserves d’oxygène.
Le directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies en Afrique (Africa CDC, qui dépend de l’UA) John Nkengasong a mis en garde: depuis de nombreux mois, la pandémie a suivi des évolutions « étonnamment similaires » sur le continent africain et en Inde.
– Eviter le scénario indien –
Outre un nombre d’habitants équivalent, l’Inde et l’Afrique partagent comme points communs des villes surpeuplées et des structures de santé fragile.
Afin d’éviter un scénario indien, M. Nkengasong a appelé à « réorienter la stratégie continentale » autour de trois axes: intensifier la détection, améliorer la prévention, s’approvisionner en vaccins et en oxygène.
Si l’apparition de cas de contamination au variant indien est guettée sur le continent, où deux cas ont été détectés jusqu’à présent (en Ouganda et au Kenya), une des grandes sources d’inquiétude est celle des vaccins.
Réputée comme pharmacie du monde, l’Inde produisait l’essentiel des vaccins Oxford/AstraZeneca distribués aux pays africains dans le cadre du programme Covax, qui vise à fournir un accès équitable notamment aux pays les plus pauvres.
Mais fin mars, l’Inde a annoncé qu’elle reportait ses exportations de vaccins, pour les consacrer à endiguer la nouvelle vague dans le pays, et les campagnes de vaccination en Afrique ont pris un grand retard.
L’approvisionnement se poursuit, comme à Madagascar qui a reçu samedi une cargaison Covax de 250.000 vaccins Oxford/AstraZeneca, mais à un rythme ralenti.
Le ministre de la Santé de la Sierra Leone, Austin Ndemby, a évoqué un « dilemme moral », pour savoir sur quels critères administrer des vaccins étant donné l’incertitude sur les futures livraisons.
– Troisième trimestre –
« Nous observons avec horreur et incrédulité ce qui se passe en Inde et nous ne nous attendons pas à ce que des vaccins soient expédiés d’Inde de si tôt », a expliqué M. Nkengasong.
Il a conseillé de prioriser les vaccinations aux personnels de santé et aux personnes vulnérables, et de « continuer à sensibiliser (les populations) en espérant que la situation du marché des vaccins commence à s’ouvrir vers le début du troisième trimestre ».
Il a également évoqué de possibles livraisons de vaccins à travers l’initiative Avatt (African Vaccine Acquisition Task Team), lancée par l’UA, vers « fin juillet, début août ».
Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus a répété qu' »une distribution inéquitable des vaccins » à l’échelle mondiale « n’est pas seulement un scandale moral mais c’est aussi économiquement et épidémiologique autodestructeur ».
« Jusqu’à présent, l’Afrique a administré 19,6 millions de doses, soit 2% du total mondial. Dans le même temps, 80% des doses administrées dans le monde l’ont été dans des pays à revenus élevés ou intermédiaires élevés », a-t-il déploré.
Les dirigeants africains ont également évoqué le besoin d’une sensibilisation accrue aux gestes barrières et sur les vaccins, parfois rejetés par la population.
La République démocratique du Congo a ainsi annoncé le 29 avril avoir « redéployé » vers cinq pays « 1,315 millions de doses de vaccins AstraZeneca excédentaires », qui allaient arriver à expiration. Selon un expert du ministère de la Santé, cette situation est notamment due au « refus de la population de se faire vacciner ».