La distance entre Lagos, capitale économique du Nigeria forte de 20 millions d’habitants, et Ibadan, sa « petite soeur » de 10 millions d’âmes, n’est que de 150 km. Et pourtant, la route est si encombrée et impraticable, qu’en voiture, le trajet peut prendre jusqu’à six heures.
Inaugurée en décembre dernier après plusieurs années de retard, et avec pour l’instant seulement un unique train par jour dans chaque sens, une nouvelle ligne de chemin de fer, moderne et rapide, pourrait toutefois changer la vie et les habitudes de millions d’usagers… des commerçants jusqu’aux prix Nobel.
En effet, Wole Soyinka, l’illustre écrivain nigérian, prix Nobel de littérature 1986, est déjà un habitué. Ce matin de début mars, le natif d’Abeokuta, une ville à mi-chemin entre Lagos et Ibadan, effectuait son sixième voyage.
« Ça me rappelle les années 1960 et 1970, quand les trains étaient un des principaux moyens de transport au Nigeria », se souvient le vieil homme de 86 ans, masque anti-Covid sur le nez et ordinateur portable dernier-cri sur les genoux. « Nous avons grandi avec les trains ».
– Climatisation et écrans plats –
Après des décennies d’abandon des services publics et de déliquescence des chemins de fer, le gouvernement du président Muhammadu Buhari avait promis de faire du développement du réseau ferroviaire une priorité.
Au Nigeria, géant de 200 millions d’habitants, les principales villes sont principalement accessibles par avion ou par des routes souvent impraticables en raison de leur délabrement ou à cause de l’insécurité qui y règne, des kidnappings contre rançon, des braquages, qui empêchent les déplacements dans de nombreuses régions du pays.
Pour l’instant, sur le trajet Lagos-Abuja-Kano, environ 1.000 kilomètres du sud vers le nord, seuls deux petits tronçons du parcours sont achevés: Abuja-Kaduna, 190 kilomètres inaugurés en juillet 2016, et Lagos-Ibadan, construit par une entreprise chinoise pour 1,6 milliard de dollars.
Le voyage dure un peu plus de deux heures, mais les passagers sont assis dans des wagons climatisés.
« Le train est confortable, fiable et sûr », se réjouit Otonye Ayodele, professeure à la grande université d’Ibadan, réputée la meilleure du Nigeria.
« Ça nous fait gagner du temps et surtout on évite la torture de la route entre Lagos et Ibadan », explique-t-elle en profitant elle aussi de son temps de transport pour travailler ses cours sur son ordinateur portable. Un luxe jusqu’alors totalement impossible pour qui voyage au Nigeria.
Son voisin de rangée, Adebimpe Kareem, banquier à Lagos, se réjouit de raconter cette première expérience ferroviaire à ses amis et sa famille.
« J’ai l’impression d’être dans un train de Paris ou de Londres! », s’enthousiasme-t-il.
– Classe moyenne –
Même si le train comporte trois classes, le coût du billet (entre 5 et 16 dollars), dans un pays où la majorité de la population vit avec moins de deux dollars par jour, reste élevé et ce train s’adresse avant tout à la classe moyenne, de plus en plus importante au Nigeria.
Les passagers les plus scrupuleux et perfectionnistes se plaindront que le train n’avance qu’à 50 km/h et qu’il ne dispose pas de wagon-restaurant. Mais surtout… qu’il n’y ait qu’un seul aller-retour par jour ou que les transports en commun vers et à partir des gares soient inexistants.
« Plusieurs gares et des portions de la voie sont encore en travaux », se défend Jerry Oche, un responsable de la Corporation des Chemins de fer nigérians. Il promet qu’à terme, il y aura huit trajets quotidiens dans chaque sens par jour et que le train devrait atteindre les 160 km/h, sans donner d’indications sur le calendrier.
Pour Muda Yusuf, à la tête de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Lagos, ce nouveau moyen de transport pourrait être un formidable outil de développement, réduire les embouteillages monstres qui paralysent les deux capitales du sud-ouest et favoriser le commerce et les échanges.
« Ça va aussi encourager les investissements immobiliers le long de son axe » et désengorger les villes, avance l’économiste.
Néanmoins, les travaux restent lents. Et la ligne qui doit s’étendre jusqu’à Kano (nord), en passant par la capitale fédérale d’Abuja, reste toujours un rêve très, très lointain.