Devant le siège de l’armée à Khartoum, un homme âgé en robe traditionnelle blanche prend le micro devant un groupe de jeunes et raconte l’une des histoires les plus glaçantes du Soudan d’Omar el-Béchir, le président déchu : celle du conflit au Darfour.
Les jeunes l’écoutent attentivement, le visage concentré, certains originaires de cette région de l’ouest du Soudan ont vécu les atrocités dans leur chair, d’autres veulent en apprendre davantage sur cette guerre.
« Bien sûr, moi je connais bien l’histoire du Darfour », lance l’homme en djellaba, Souleiman dit « l’ancien » en signe de respect, avant de dérouler la longue liste d’atrocités commises dans ce conflit entre le pouvoir arabe et les rebelles de tribus africaines s’estimant marginalisées par Khartoum.
Depuis 2003, les violences ont fait plus de 300.000 morts et plus de 2,5 millions de déplacés selon l’ONU, même si elles ont beaucoup baissé ces dernières années.
A la tête du Soudan durant près de 30 ans, l’ancien président Béchir fait l’objet de deux mandats d’arrêt internationaux émis en 2009 et 2010 par la Cour pénale internationale (CPI) qui souhaite le juger pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre au Darfour.
Depuis le début, en décembre dernier, des manifestations populaires qui ont entraîné sa chute, les protestataires ont affirmé leur solidarité avec le Darfour et des rassemblements ont également eu lieu dans cette région.
Les déplacés du Darfour ont même érigé une tente spéciale sur le sit-in qui a lieu depuis le 6 avril devant le siège de l’armée à Khartoum pour réclamer que les militaires au pouvoir, après avoir destitué Omar el-Béchir, transfèrent les rênes du pays aux civils.
S’ils y ont affiché des slogans semblables à ceux d’autres Soudanais –« notre unité est notre force »–, ces jeunes déplacés, souvent venus du camp d’Al-Salam au Darfour-Nord, narrent des histoires singulières et déchirantes.
– « Frappés, tués, violées » –
« J’ai perdu mon père et quatre frères dans des attaques des Janjawids (miliciens arabes appuyant l’armée soudanaise contre les rebelles des minorités, ndlr) », raconte Abdallah Yassine, 30 ans.
En pantalon à pince gris et chemise bleu clair sans pli, il évite d’abord avec pudeur de révéler les détails des horreurs dont il a été témoin.
Puis, il finit par confier sur un ton posé: « Quand les miliciens ont attaqué le village, ils étaient très nombreux, on ne pouvait pas se défendre. Ils nous amassaient dans un endroit pour frapper, tuer, violer nos soeurs, nos mères, nos grands-mères ».
« Nous demandons à ce que tous ceux qui ont commis des crimes et des massacres, tous ceux qui sont les symboles de (l’ancien régime) rendent des comptes, que personne ne soit amnistié », lance-t-il ensuite fermement, mais sans se départir de son calme.
Quand aux déplacés comme lui et tant d’autres, ils doivent être « indemnisés, tous, personnellement ».
Vivant lui aussi habituellement dans le camp de déplacés d’Al-Salam, Ahmed Mahmoud, 31 ans, raconte avec véhémence ce qui s’est passé dans son village: « Des miliciens armés, à dos de chameau ou à cheval, ont attaqué des hommes sans défense et les femmes ont été violées ».
« Une partie du village a brûlé. Il y a eu des raids aériens, des gens sont morts, la chair des hommes et des femmes se mêlait à celle des animaux sans distinction », poursuit-il avant de faire une pause soudaine.
Si les violences se sont calmées ses dernières années, le calvaire est, dit-il, loin d’être terminé: « Les gens du camp vivent dans une énorme souffrance ».
– « Ça suffit » –
« Pour le Darfour, fondamentalement, nous voulons la stabilité. Le plus important pour nous c’est la sécurité, l’éducation, les soins. A Khartoum, vous trouvez tout cela », confirme Ibrahim al-Haj, 25 ans, originaire du Darfour-Sud et qui, comme beaucoup d’habitants de cette région, souhaiterait la voir moins marginalisée par le pouvoir central.
Les militaires à la tête du pays disent vouloir garder la main sur la transition politique au nom d’impératifs « sécuritaires ». Mais pour les manifestants, en particulier les déplacés du Darfour, les généraux, issus de l’ancien régime de M. Béchir, représentent tout sauf la sécurité.
Hors de question, disent-ils, que ces « criminels » dirigent le pays, en particulier Mohamad Hamdan Daglo, chef-adjoint du Conseil militaire au pouvoir. A la tête des paramilitaires de la Force de soutien rapide (RSF), celui qu’on surnomme « Himeidti » est accusé de graves exactions au Darfour.
« Himeidti qui a commis des crimes contre nous, que nous connaissons trop bien, est toujours là », déplore Ahmed Idriss qui, à 32 ans, dit vouloir reprendre ses études.
« Nous voulons un gouvernement civil, ça suffit tout ce que nous avons subi. Je suis venu ici du Darfour-Nord pour dire à quel point nous souffrons ».