Angola, Kenya, Rwanda, Ouganda et maintenant États-Unis. Depuis son élection, le nouveau président congolais Félix Tshisekedi multiplie les voyages à l’étranger, alors qu’il n’a pas effectué le moindre déplacement dans son vaste pays… ni nommé de gouvernement.
Trois mois après son élection surprise, cet activisme est diversement interprété. Le nouveau président cherche-t-il à rompre « l’isolement » de la République démocratique du Congo ou plutôt à se conforter une « légitimité extérieure », pour compenser sa fragilité politique interne?
Ancien opposant, M. Tshisekedi a été déclaré vainqueur de l’élection présidentielle de décembre, mais la puissante Eglise catholique congolaise et de nombreux acteurs internationaux ont jeté le doute sur sa victoire.
Le 24 janvier, il a néanmoins succédé à Joseph Kabila, lors de la première transmission pacifique du pouvoir en RDC, vaste pays d’Afrique centrale à l’histoire politique tumultueuse et secoué par de nombreux conflits.
Depuis, il a multiplié les voyages, rencontrant tour à tour ses homologues africains, le Kényan Uhuru Kenyatta, l’Angolais Joao Lourenço, le Congolais Denis Sassou Nguesso, le Rwandais Paul Kagame, l’Ougandais Yoweri Museveni, le Namibien Hage Geingob ou encore le Sénégalais Macky Sall.
Côté occidental, il a vu le président français Emmanuel Macron mi-mars lors d’un sommet sur l’environnement au Kenya. Et depuis le début de la semaine il est à Washington, où il a demandé l’aide des États-Unis pour son pays « au bord du gouffre ».
Car depuis son élection, la situation fragile de M. Tshisekedi est apparue au grand jour: le camp de l’ancien président Joseph Kabila a remporté haut la main les législatives et domine le Parlement. Le poste de Premier ministre devrait donc lui revenir, mais le nouveau président tarde à nommer un chef de gouvernement.
Jeudi à Washington M. Tshisekedi a reconnu implicitement cet état de fait, demandant l’aide américaine pour « nous accompagner afin que cet équilibre qui aujourd’hui est fragile se solidifie ».
– ‘Stopper maintenant’ –
Pour Peter Kazadi, député du parti présidentiel Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), les multiples voyages du président à l’étranger « s’imposent ».
Sur le plan intérieur, alors que l’Est du pays est infesté par des dizaines de groupes armés locaux et étrangers, et que la RDC et ses voisins s’accusent mutuellement de déstabilisation, « comment faire la paix sans parler avec les chefs d’État voisins ? », demande l’élu.
Et à l’extérieur, « la voix de la RDC n’était plus audible du fait de la politique de la chaise vide » de l’ancien régime, en froid avec une bonne partie de la communauté internationale et soumis à des sanctions, notamment de l’UE et des États-Unis.
Premier dividende? Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a reçu M. Tshisekedi mercredi (aucun entretien n’est prévu avec le président Donald Trump), affichant son « soutien » à son « programme de changement ».
Mais cette déclaration devrait renforcer les partisans de l’ancien président Kabila pour lesquels le nouveau président cherche surtout par ses voyages à renforcer une position fragile.
« On a l’impression que le président Tshisekedi s’est lancé dans la recherche injustifiable d’une légitimité extérieure alors qu’il n’en a pas besoin, parce qu’il a été élu par les Congolais », ironise Jean-Pierre Kambila, cadre de la coalition de l’ex-président et son ancien directeur de cabinet adjoint.
Et d’appeler M. Tshisekedi « à consacrer ce temps à la consolidation de nouvelles institutions, en veillant sur l’effectivité de leur installation ». Le nouveau Sénat, dominé par les partisans de M. Kabila, n’a été mis en place que vendredi après un report à cause des allégations de corruption.
Des figures de la société civile, auparavant engagées contre un maintien de Joseph Kabila à la tête du pays, mettent également en garde le nouveau président.
Il « donne plutôt l’impression d’accorder une grande importance à l’agenda diplomatique en lieu et place des problèmes de la population comme il l’avait promis », regrette Jonas Tshiombela, porte-parole du Comité laïc de coordination.
Pour lui, cet activisme diplomatique doit porter rapidement ses fruits pour être justifiable: si les voyages présidentiels « ne rapportent rien dans le financement des projets de développement ou l’instauration d’une vraie paix dans l’Est, il faut les stopper maintenant ».