Le faux pas de la diplomatie américaine s’est noué en moins de 24 heures.
Mardi, après 18 mois de tractations secrètes via des pays tiers, les talibans afghans annoncent l’ouverture à Doha, au Qatar, d’un bureau de représentation destiné à favoriser « le dialogue et l’entente avec les pays du monde ».
Au terme de plus de 11 ans de guerre, le secrétaire d’Etat américain John Kerry salue immédiatement cette « bonne nouvelle » et des diplomates anonymes annoncent même une « rencontre officielle avec les talibans dans quelques jours ». La date du jeudi 20 juin et la capitale du Qatar sont évoquées, mais le département d’Etat ne les confirme pas officiellement.
La colère de M. Karzaï contraint alors les Américains à rétropédaler.
Le département d’Etat doit démentir que des discussions avec les talibans aient été « programmées » cette semaine et rend publics deux appels téléphoniques de John Kerry au président Karzaï pour tenter de le calmer.
En outre, l’envoyé spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan, James Dobbins, qui devait partir mardi pour ces deux pays, via Doha, n’a jamais quitté Washington.
Kaboul n’a guère apprécié le nom du bureau taliban à Doha, l' »émirat islamique d’Afghanistan », qui était l’appellation du gouvernement du mouvement islamiste de 1996 jusqu’à son renversement en 2001.
« Avec un tel nom, les talibans signalent immédiatement qu’ils ne sont ni un parti politique, ni une organisation terroriste, mais plutôt le gouvernement légitime de l’Afghanistan », décrypte Bruce Riedel, chercheur de la Brookings Institution.
M. Karzaï « avait averti les Etats-Unis et le Qatar de ne pas faire cela et il a donc eu l’impression de ne pas avoir été écouté », pense l’expert.
Aux yeux de l’analyste, les Américains vont devoir « sérieusement raccommoder les choses dans les jours à venir ».
Son confrère Scott Smith, du centre de réflexion US Institute of Peace, rappelle que l’idée d’un bureau taliban à Doha est née fin 2011 et que les Etats-Unis avaient déjà commencé à discuter avec les talibans au premier trimestre 2012, avant que cela capote.
Pour l’expert, il s’agissait à l’époque d’un « coup de maître diplomatique ».
« Mais si ces coups de maître ne bouleversent pas rapidement les faits sur le terrain, leur impact fait long feu », explique-t-il. D’autant, que les Américains n’ont semble-t-il toujours « pas trouvé la pièce manquante du puzzle: l’accord de Karzaï », poursuit M. Smith.
Le président afghan redoute d’être marginalisé par des pourparlers entre les Etats-Unis et les talibans et estime que les Américains ne doivent pas se mêler de la réconciliation entre Afghans.
« En 24 heures mal orchestrées, nous avons réussi à placer sur la défensive le camp que nous soutenons, le gouvernement légitime afghan », critique M. Riedel à l’adresse des autorités américaines.
afp