Le conflit au Mali perturbe l’une des grandes voies d’acheminement de la cocaïne qui traverse le Sahel vers l’Europe mais les trafiquants se sont déjà adaptés en modifiant leurs trajets, estiment des experts interrogés par l’AFP.
Depuis une dizaine d’années, l’Afrique de l’Ouest est devenue une des plaques tournantes du trafic de cocaïne latino-américaine vers l’Europe, profitant de la pauvreté et de la faiblesse étatique des pays de la région. La drogue arrive par bateau dans le golfe de Guinée ou par avion par des vols directs Venezuela-Mauritanie ou Mali, avant d’être stockée puis redistribuée, par la route, notamment via le Sahel, vers les rives sud de la Méditerranée.
« Autoroute A-10 » : c’est le surnom donné par les spécialistes à la plus importante voie d’acheminement de la drogue, le long du 10è parallèle, avant de remonter à travers le désert vers l’Europe. Un rapport de 2009 de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) évaluait à quelque 250 tonnes la quantité de cocaïne qui avait déjà transité par cette voie.
Selon Alain Rodier, directeur de recherches au Centre français de recherches sur le renseignement (CF2R), 10% de la cocaïne arrivant en Europe passe par l’Afrique. Cet ancien officier de renseignement ajoute que les révolutions arabes en Tunisie et en Libye, puis le conflit au Mali, ont déstabilisé les routes de la cocaïne mais que les trafiquants, « démontrant leur capacité d’anticipation, continuent à faire leur business en passant par d’autres routes ».
Pour Mathieu Guidère, universitaire et islamologue, l’intervention militaire française au Mali a été un « coup de pied dans la fourmilière qui a totalement perturbé les trafics de drogue, d’armes et d’immigration clandestine dans la région, faisant éclater tous les réseaux qui passaient par le nord du Mali ».
Tous les trafiquants payaient aux mouvements islamistes un droit de passage de 10% calculé sur la valeur globale de la cargaison, « certains groupes armés assurant en plus – contre rémunération – une protection du convoi », explique ce chercheur.
Dans la région, poursuit Mathieu Guidère, « tout le monde a fichu le camp mais chacun essaie de reconstituer ses filières d’acheminement de drogue ou d’armes ».
Le criminologue Xavier Raufer parle crûment : « Il est impossible de dessiner des cartes de trafic de la cocaïne car, l’encre à peine sèche, les filières ont changé ». Selon lui, depuis 40 ans, « jamais le transport de cocaïne vers l’Amérique du Nord et l’Europe n’a été interrompu ». Il en veut pour preuve le fait que le prix de la cocaïne – en dollars constants – payé par les consommateurs a été divisé au moins par deux entre 1980 et 2010.
Pour ce criminologue, « on ne saisit pas suffisamment de drogue pour peser sur le marché et on se saisit pas non plus l’argent de la drogue ». A cet égard, il cite un chiffre du GAO, organisme d’audit du Congrès américain chargé de contrôler les comptes publics, selon lequel sur 100 dollars d’argent sale issus du trafic de cocaïne, 25 cents seulement sont effectivement saisis.
« Dès les premiers bruits de botte au Mali, assure-t-il, les logisticiens de la drogue, qui réfléchissent en permanence à de nouvelles routes, ont modifié leurs trajets qui passaient par le nord du pays ».
Pour Xavier Raufer, « de nouvelles routes sont déjà d’ailleurs en train de s’ouvrir par l’Angola, la République du Congo et les Grands Lacs ou par la Libye, vaste marqueterie de tribus en guerre ».
« Les profits liés au trafic de cocaïne sont tellement énormes que l’allongement des filières et, partant, le prix du transport ne sont pas un problème », conclut le criminologue.
AFP