Tête baissée, le regard éteint, ils descendent, menottés par deux, de la pirogue qui les ramène de leur île-refuge de Kadji (nord du Mali), où une « opération de nettoyage » par l’armée malienne a permis l’arrestation d’une cinquantaine de jihadistes présumés.
Cela faisait plusieurs semaines que les habitants de Gao, à cinq km à vol d’oiseau plus au nord, attendaient cette opération, censée mettre un coup d’arrêt aux infiltrations d’islamistes armés dans la principale ville du nord du Mali, qui a déjà été, à deux reprises depuis le 26 janvier, la cible d’attaques jihadistes.
Dans la nuit de mercredi à jeudi, des hélicoptères français avaient effectué pendant plus de quatre heures des survols de reconnaissance au dessus de l’île, où est installée depuis plusieurs dizaines d’années une secte musulmane fondamentaliste.
L’opération en elle-même a été déclenchée jeudi en début d’après-midi quand des forces maliennes (gendarmerie et forces spéciales essentiellement) ont gagné l’île de Darassalami-Kadji en pirogue, appuyées par des militaires français embarqués sur des zodiacs.
Sur place, aucun coup de feu n’a été tiré. « les soldats français de l’infanterie de marine ont débarqué avec nous, ont avancé sur 100 mètres et sont restés pour assurer nos arrières pendant qu’on progressait vers l’intérieur de l’île », a raconté un militaire malien à l’AFP.
Les Français ont ensuite quitté le site vers 00H30, a ajouté la même source.
Les fouilles ont été effectuées sous le commandement du colonel touareg malien El Hadj Ag Gamou, en présence du commandant de région de la gendarmerie, le colonel Salihou Maïga.
Vendredi matin, un premier groupe de 14 prisonniers, transporté sous escorte des gendarmes à bord de quatre pirogues, est débarqué sur la rive du fleuve Niger, située à environ deux km de l’île.
Nous sommes à Goungoumari, chef-lieu de Kadji, une commune qui s’étend sur huit quartiers le long du fleuve.
Assis sur le sable, une vingtaine d’hommes observent les opérations en bavardant. Parmi eux, deux conseillers du chef du village et des jeunes, membres de groupes locaux de résistance, les « Patriotes » et les « Patrouilleurs ».
Jeudi, les forces maliennes avaient déjà procédé à 20 interpellations, selon leurs témoignages.
Un militaire malien explique que parmi les personnes qui viennent d’être débarquées ce vendredi matin figurent « deux islamistes ayant avoué avoir participé à la bataille de Konna » (centre du Mali) le 9 janvier qui a déclenché l’intervention française deux jours plus tard.
« Où sont les armes ? »
« Certains s’étaient cachés dans les herbes, on en a trouvé d’autres dans le fleuve, sous l’eau », dit-il.
Les hommes interpellés sont en majorité des Maliens, mais « il y a aussi des Burkinabé et Togolais », affirme un gendarme.
« Darassalami est devenu un havre pour tous les jihadistes », affirme en langue locale songhaï l’un des conseillers du chef de village, en boubou et turban indigo.
« On sait que sont passés par là des gens de Boko Haram du Nigeria, des salafistes, des fondamentalistes de partout », ajoute-t-il.
Depuis le début des années 70, l’île de Darassalami abrite une secte fondamentaliste qui applique des règles religieuses très strictes, sans rapport avec les traditions locales.
Les femmes, entièrement voilées, y vivent cloîtrées.
« En 1975, leur chef spirituel a été arrêté et envoyé à Bamako », explique le colonel Salihou Maïga, mais « jusqu’à l’an dernier, on n’avait pas trop de problèmes ». Jeudi, les gendarmes ont interpellé son successeur, actuellement entendu à Gao, a-t-il précisé à l’AFP.
Une nouvelle pirogue débarque son lot de détenus. Ils sont sept, les yeux fixés au sol, les mains ligotées par des bandes de tissu. Tous portent la barbe et le crâne rasé.
« Parmi ceux qu’on a vus, il manque des +gros+. On attend de voir s’ils arrivent ou s’ils se sont échappés. Ce sont des gens qu’on connait, des gens même de Darassalami-Kadji, pas des étrangers », dit Zoubeirou Ibrahim Maïga, un jeune « Patrouilleur » de Kadji.
« On ne sait pas non plus où sont les +petits+, les enfants à qui ils ont appris à fabriquer des explosifs, on ne les voit pas » s’inquiète Oumar, le chef des « Patriotes ».
« Pour l’instant nous n’avons pas trouvé d’armes », confirme le colonel Maïga. « Ca nous énerve. Où les ont-ils cachées ? Elles doivent être enterrées quelque part dans la dune… »
AFP