Un récit comporte dit-on un début, un milieu et une fin. La vie d’Aimé Césaire paraît ne pas respecter cette règle car étant mêlée depuis ses origines poétiques imprécises à l’Afrique. On sait seulement que le jeune garçon Aimé Césaire part de son île natale au début des années 1930 pour le très sélecte lycée Louis Le Grand de Paris. Il y rencontra Léopold Sedar Senghor avec qui il fonda en 1934 «L’Etudiant Noir», une revue qui sera le laboratoire des idées de la Négritude que les deux avaient en commun avec le guyanais Léon Gontran Damas. Le chantre de la Négritude trouva plus qu’une évidence que le Tigre crie sa «Tigritude» pour répondre au mot d’esprit critique de Wolé Soyinka dans cette période marquée par les premiers bourgeons qui fleuriront en liberté couronnée d’indépendance. La recherche de son identité africaine le rapprocha des milieux littéraires africains. Ainsi il fonda en 1947 avec Alioune Diop la mythique revue Présence Africaine.
L’éternel retour à l’Afrique le questionna et l’obligea à interpeller ces interlocuteurs. «J’ai dit au Général De Gaule que notre préhistoire (martiniquaise voire africaine, ndlr) commençait dans la cale des bateaux négriers. Des martiniquais très assimilés ont été offusqués mais c’est la vérité. Il ne faut pas en avoir honte. Si honte doit y avoir, elle doit être ressentie par ceux qui ont fait la traite». La référence aux origines assumées africaines même à travers des références douloureuses est récurrente dans les écrits et les communications d’Aimé Césaire. D’où cette question rhétorique qu’il posa : «Comment peut-on prendre en compte la société martiniquaise si on ne se rend pas compte que c’est une société coloniale et raciste? » Et mieux encore il poursuit son raisonnement dans le domaine culturel pour montrer les parentés linguistiques entre le Créole et les langues africaines.
«Comment peut-on comprendre la langue martiniquaise, le Créole, si on ne tient pas compte du fait que c’est une langue qui a été formée avec des mots français, des débris de mots français, mais qui ont été restitués par des gosiers selon les règles phonétiques implacables des langues africaines et agglutinés selon également les règles implacables de la syntaxe africaine. Ça me paraît évident, si on ne peut pas rester à la surface des choses, on n’est obligé d’en revenir à ce fait premier à savoir que nous sommes mélangés certes mais que nous sommes des Africains de la diaspora».
Donc pour celui qui magnifie le Retour au pays natal et la défense de la négritude, le lien entre la langue Créole et son origine africaine n’est plus à démontrer. Pour Césaire, la société antillaise doit assumer l’héritage des esclaves africains et exprimer avec fierté cette part de son identité qui est perceptible avec le Créole.
Parmi ses œuvres poétiques les plus marquantes on peut citer «Cahier d’un retour au pays natal» qui fait émerger ses aspirations et revendications politiques teintées par le désir et la nostalgie de sa Martinique. «Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité ruée contre la clameur du jour ma négritude n’est pas une taie d’eau morte sur l’oeil mort de la terre ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale» Son «Discours sur le colonialisme» paru en 1950 est une suite de son engagement pour la fin de la colonisation de l’Afrique mais aussi en Asie. Dans ce pamphlet, il oppose colonisation et civilisation contrairement à ceux qui pensaient que le premier devait déboucher sur le second. Des positions qui ont été défendues au début du XX ème siècle par même des personnalités de gauche comme Jules Ferry. «La malédiction la plus commune en cette matière est d’être la dupe de bonne foi d’une hypocrisie collective, habile à mal poser les problèmes pour mieux légitimer les odieuses solutions qu’on leur apporte» s’indignait-il.
Député à l’Assemblée nationale française de 1958 à 1993 et maire de Fort-de-France jusqu’en 2001, même au crépuscule de sa vie, Aimé Césaire fut un engagé politique. On se rappelle de son opposition, en 2005, à la loi sur les aspects positifs de la colonisation qu’il faudrait enseigner dans les manuels scolaires. Comme s’il fallait en faire une énième preuve, ce fut un clin d’oeil à l’Afrique mère par rapport à l’avancée de cette droite dite décomplexée qui devait porter un autre nom si elle était si décomplexée que cela. Un clin d’œil donc à l’Afrique dans son immensité mais aussi à la diaspora qui manque singulièrement de nos jours de références comme boussole.
C’était une manière d’être logique avec ce qu’il écrivait dès 1939 dans « Cahier d’un retour au pays natal» : «Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir».
Moussa DIOP
Paru dans le Diasporas-News Magazine de n°38 de Février 2013
Paru dans le Diasporas-News Magazine de n°38 de Février 2013