Le 20 décembre dernier, le Conseil de Sécurité de l’ONU a acté le déploiement d’une force internationale au Mali, sous le sceau de la Résolution 2085.
Les hommes qui vivent sous l’occupation islamiste dans le Nord ont du mal à percevoir le fonctionnement d’une navette bureaucratique dans les institutions internationales. Il a fallu attendre encore deux mois avant d’aboutir à un feu vert. Car le texte fondateur – la résolution 2071 qui autorise les entités concernées à soutenir un « dossier » pour permettre au Mali de « recouvrer leur souveraineté et l’intégrité de leur territoire tout en participant à la lutte contre le terrorisme international – a été triomphalement brandi dès le 20 octobre. Que de précautions oratoires, d’encadrement de textes pour ménager les susceptibilités de chaque acteur majeur et de pesanteur administrative. La nouvelle résolution autorise enfin le déploiement de la Mission Internationale de Soutien pour le Mali (MISMA), et ce pour une durée limitée à 1 an. Les Etats-Unis, de par leur veto, ont exigé comme préalable à l’offensive vers le Nord, un compte-rendu bimensuel quant à l’évolution de la recomposition de l’armée malienne.
Dès que le Conseil de Sécurité a donné son autorisation, l’Union Européenne a annoncé la mise en place en début de cette année de la Mission Européenne de Formation et de Réorganisation de l’Armée Malienne. Elle sera composée, dans un premier temps, de 400 à 500 hommes soient environ 250 instructeurs ; le reste du contingent sera affecté à la logistique et la sécurité de la mission. La France n’aura pas trop à insister auprès de ses homologues européens pour obtenir gain de cause sur sa proposition : le général de brigade François Lecointre, assurera certainement le rôle de chef de Mission.
Quant au nerf de la guerre, le déploiement est évalué à 200 millions $ sur un an. Paris a ainsi demandé au Secrétaire Général de l’ONU d’estimer un budget prévisionnel pour la logistique. Elle viendra en complément du coût de l’opération proprement dit ; elle sera éventuellement prise en charge par l’UE, la France et les Etats-Unis.
Selon le Washington Post, les experts du Pentagone ont déjà un plan d’intervention. Mais l’armée américaine ne pourra pas fouler directement le sol malien. Les accords de défense entre les Etats-Unis et le Mali ont été suspendus au lendemain du putsch du 22 mars. Ils ne pourront être rétablis qu’avec le retour de l’ordre constitutionnel. Les instructeurs américains se sont ainsi retirés du Mali. Mais l’ambassadeur américain Mary Beth Leonard, confirme que des avions de surveillance espionnent le désert du Sahara depuis des années. Pour cela, ils utilisent des modèles P-3 ou des drones opérant en haute-altitude. Auparavant, des avions banalisés décollaient de leur base de Sand Creek, jouxtant l’aéroport international de Ouagadougou, pour espionner les faits et gestes des combattants islamistes. Une loi américaine interdit aux USA d’intervenir directement dans un pays où le chef de l’Etat n’est pas démocratiquement élu. Le général Carter Ham, Commandant des Forces Américaines en Afriques (AFRICOM), en est parfaitement conscient en disant que « c’est un obstacle important…». Ils devront acheminer et positionner, dès cette année, des matériels militaires dans des pays membres de la CEDEAO.
Quid de l’armée malienne
L’armée malienne est-elle vraiment incapable reconquérir son territoire ? La purge opérée par le régime de Moussa Traoré (1968 à 1991) a quelque peu décimé les meilleurs éléments. Par la suite, le pouvoir civil vouait une méfiance non-feinte à la Grande Muette ; ceci se reflétait par la régression progressive de son allocation budgétaire. Le népotisme et la corruption ayant fait le reste.
Quoiqu’il en soit les experts estiment qu’ils peuvent encore compter sur 4.000 hommes à la tête desquels se trouvent trois colonels qui symbolisent la mosaïque du peuplement malien : le touareg Alhaji Ag Gamou, un arabe malien Ould Meïdou et un sudiste Didier Dakouo. Ils étaient au front avec leurs soldats au moment du réveil de l’irrédentisme touareg de janvier 2012. Ils sont aujourd’hui en réserve de la République pour l’un, en exil au Niger avec son bataillon pour l’autre. Tandis que le colonel Didier Dakouo attend l’arme au pied dans sa base de Sévaré au Sud de Gao.
Le groupe armé Ansar Dine vient de déclarer le 3 janvier 2013 qu’il reprenait les hostilités. En d’autres termes, il mettait fin au cessez-le-feu négocié le mois dernier à Ouagadougou. Par rapport au MNLA, il peut se prévaloir de contrôler politiquement et militairement les régions de Kidal et de Tombouctou et instaurer la charia dans les zones conquises.
Est-ce une réponse au discours de nouvel an du président par intérim Diacounda Traoré ? En effet, il avait affirmé que « le pouvoir central n’attendrait pas plusieurs mois avant de lancer une attaque… la guerre contre les terroristes sera déclenchée plus tôt que prévue et l’armée malienne sera en première ligne ».
Cette énième volte-face du leader d’Ansar Dine, Iyad Ag Ghali prouve la duplicité du personnage. Elle est plutôt la preuve de la suprématie d’AQMI par rapport aux groupes touareg et la réduction de leur marge de manœuvre. Ansar Dine voulait prôner un islam traditionnel en s’attirant les bonnes grâces des imams et des chefs locaux et pour faire comprendre à ses gardes-chiourmes d’AQMI, qu’ils étaient indésirables. Au final, le rapport de force va en faveur de ces djihadistes, ce qui contraint le mouvement Ansar Dine à rester dans son giron.
Il n’y avait que le président Blaise Campaoré et les partisans d’une solution négociée qui croyait en sa parole. Pendant qu’il négociait à Alger tout en acceptant l’ouverture de dialogue à Ouagadougou à la mi-décembre, son état-major se réunissait en secret à Tarkine, dans le cercle de Bourem (au Nord de Gao) avec les combattants du MUJAO. Ansar Dine contrôle la ville Kidal et afin d’anticiper des attaques du MNLA, il va passer un accord avec les djihadistes qui occupent la région de Gao. De même que dès le mois de novembre, Oumar Ould Hamadaha, a fait une descente à Tombouctou pour consolider ses liens avec AQMI. Au terme des discussions sur place, les 90 milices juchées sur les véhicules tout-terrain sont restés pour prêter main forte aux combattants d’AQMI.
Reste maintenant à financer cette défense contre l’intervention internationale. AQMI serait assis sur un trésor de guerre de plus de 100 millions $ et une réserve d’otages « monnayables » estimée à 400 millions $. Et pourtant, sur le terrain, les milices qui patrouillent dans les territoires occupés, prélèvent depuis quelques semaines des « impôts » auprès des commerçants. Chose en
core plus surprenante, ils autorisent la vente de tabac de manière fort discrète alors qu’à leur arrivée, c’était tolérance « zéro ».
AQMI n’est pas une multinationale qui fonctionne de façon pyramidale avec une hiérarchisation où le budget est alloué à chaque département. Les katiba ou unité combattante, fonctionnent en quasi-autonomie. Ils prêtent allégeance à un émir mais doivent se débrouiller pour financer son djihad. L’algérien Adbelmalek Droukdel après avoir évincé son lieutenant Moktar Belmoktar tout récemment, promet à la France et aux chefs d’Etats africains du sang. Lors d’un communiqué diffusé au mois de décembre, il a déclaré que « si vous voulez la guerre, le désert du Sahara sera un grand cimetière pour vos soldats ».
La valse-hésitation de la classe politique
Et pendant ce temps-là à Bamako, Cheick Modibo Diarra (CMD), nommé chef de gouvernement, il y a 8 mois, s’est fait débarquer le 11 décembre. Alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion pour Paris, il fut appréhendé par des militaires à l’aéroport et emmené au camp de Kati, siège du Capitaine Amadou Haya Sanogo, l’homme de la junte. Quelques heures plus tard, c’est à l’OTRM qu’il adressa sa démission, d’une voix laconique avec les traits tirés. Le service après-vente, c’est l’homme fort de Kati qui le fera par le truchement de la télévision le soir même : « il ne rendait plus compte à personne – surtout pas au chef de l’Etat – et ne montrait aucun égard pour le peuple… ». Votre serviteur vous a relaté l’échec des Journées de Concertations Nationales (ndlr Diasporas-News n°36) en partie à cause de l’intransigeance de CMD. Une semaine avant sa « démission », il a eu maille à partir avec les ministres pro-Sanogo qui lui reprochaient « de trop se focaliser sur la campagne présidentielle de 2013 au lieu de s’occuper des problèmes du pays ». Subodorant une menace à peine voilée, il chargea son Dircab Oumar Konaté de lui organiser une réunion discrète avec des officiers. Les Services de renseignements militaires ont eu vent de l’affaire et mirent le capitaine Amadou Haya Sanogo au parfum.
C’est ainsi que la « démission » de CMD n’a pas suscité de réactions internationales de désapprobation et même de la part de ceux qui ont cautionné sa nomination c’est-à-dire Blaise Compaoré, Paris et Washington. Aujourd’hui, il a une Interdiction de Sortie de Territoire qui lui pend à l’oreille alors qu’il devrait pouvoir aller soigner son épaule meurtrie.
Et voici le nouveau premier ministre : Django Sissoko. Un homme du sérail qui fut Garde des Sceaux puis Secrétaire Général à la présidence de Moussa Traoré. Il a occupé le poste médiateur de la République depuis 2011 et jusqu’à sa nomination. Son premier discours se voulait consensuel : « reconquête du Nord, organisation présidentielle dans les plus brefs délais et la formation d’un gouvernement d’union nationale ».
Alex ZAKA