« Bon alors, mon capitaine, on fait quoi? il faut le tuer? » L’adjudant-chef Guy Raugel a raconté jeudi à la cour d’assises de Paris comment il avait achevé en 2005 l’Ivoirien Firmin Mahé, tout en sachant qu’il exécutait « un ordre illégal ».
« Je savais que ce qu’on allait faire, c’était pas bien, je ne me suis pas engagé pour ça… », a dit d’une voix assurée cet homme de 48 ans qui se dit « militaire dans l’âme ».
Il comparaît depuis lundi avec deux de ses anciens subordonnés et un colonel pour le meurtre de Mahé, qu’il a décrit jeudi, photos d’atroces exactions à l’appui.
Les quatre accusés appartenaient à la force Licorne déployée en soutien de l’ONU en Côte d’Ivoire, pays alors coupé en deux par une guerre civile.
L’adjudant-chef Raugel et ses hommes étaient chargés de surveiller la « zone de confiance », située entre le Nord tenu par la rébellion et le Sud loyaliste. Zone « qui n’avait de confiance que le nom », a-t-il relevé.
Plusieurs militaires étaient venus mercredi expliquer à la cour qu’il s’agissait de fait d’une zone de « non-droit », où plus aucune police ni justice ne fonctionnait. En 2005, outre les tensions interethniques et les incursions de miliciens, la zone et ses populations subissaient les attaques des « coupeurs de route », bandits qui volaient, violaient et tuaient.
« On était écoeurés, on en avait marre, marre, marre, de voir des coupeurs de route qu’on arrêtait revenir en toute impunité recommencer leurs saloperies », a dit l’adjudant-chef.
Firmin Mahé était considéré par l’armée française comme un chef de bande. Sa famille le conteste, mais les militaires restent convaincus que c’est bien le bandit Mahé qu’ils ont interpellé le 13 mai 2005.
Le matin, il était blessé par balle à la jambe et s’enfuyait, avant d’être rattrapé et ramené au cantonnement du « peloton de reconnaissance et d’intervention antichar » (PRIAC) commandé par Guy Raugel, dans la localité de Bangolo.
C’est là que l’adjudant-chef dit avoir reçu l’ordre par téléphone du colonel Eric Burgaud de conduire le blessé vers la ville de Man et de le tuer en route.
Assumer
Dans un premier appel, il s’agissait de « rouler doucement ». L’adjudant a demandé s’il s’agissait que Mahé n’arrive pas vivant à destination. « Vous m’avez bien compris », lui aurait répondu le colonel. Dans un deuxième appel, l’ordre est devenu explicite, a affirmé l’accusé, précisant que le colonel lui avait demandé de tuer Mahé par balle en prétextant d’une tentative d’évasion.
Cette manière de procéder n’a pas semblé « cohérente » à l’adjudant-chef, parce que le blessé était inconscient. Finalement, c’est avec un sac plastique qu’il étouffera Mahé, alors qu’il était transporté dans un véhicule blindé français.
Selon l’adjudant-chef, un capitaine qui se trouvait à Bangolo a lui aussi parlé au téléphone avec le colonel et aurait « acquiescé, de la tête et du regard », quand Raugel dit lui avoir demandé si la mission était bien de tuer Mahé.
Guy Raugel a gardé l’allure et le parler d’un sous-officier de terrain, parlant de l’armée comme d’une famille, de ses hommes comme de ses enfants, de son colonel comme d’un père. Amer, il dit qu’il était convaincu que ses « chefs allaient tout assumer ». Parce que « le chef, dans l’armée, est responsable de l’exécution de l’ordre qu’il donne ».
A ce stade, le colonel Burgaud, qui devait être interrogé dans l’après-midi, reconnaît avoir transmis l’ordre « implicite » que Mahé meure en route. Il affirme avoir lui-même tenu cet ordre du général Henri Poncet, alors commandant de Licorne. Mais le général a fermement démenti et a été mis hors de cause par l’enquête.
AFP