Dans un monde habitué à croire que l’Afrique abrite plus de footballeurs que de scientifiques, la décision d’installer le plus puissant radiotélescope du monde en Afrique du Sud devrait inverser la donne et inspirer des générations d’élèves, espèrent des spécialistes locaux.
Un prototype de cet appareil permettant d’observer en profondeur les galaxies est déjà implanté à 80 km de Carnarvon, localité battue par les vents, environnée de fermes isolées et d’un paysage aride de montagnes tabulaires ocres.
Cinquante à cent fois plus puissant que les installations actuelles, le futur Square Kilometre Array (SKA) –ou radiotélescope sur un kilomètre carré– permettra de comprendre ce qui s’est passé après le big-bang.
Quelque 3.000 antennes paraboliques –qui couvriraient 1 km2 si elles étaient mises côte à côte, d’où le nom de SKA– seront dispersées sur le continent d’ici 2024.
L’Afrique du Sud a dû abandonner à regret la partie basse fréquence à l’Australie, son rival dans ce projet à 2 milliards d’euros.
Mais l’essentiel a été sauvé. Selon la décision prise en mai, le coeur du radiotélescope sera bien en Afrique, achevant de faire mentir l’un de ses plus grands intellectuels, Léopold Sédar Senghor (1906-2001). Le président sénégalais disait « l’émotion est nègre comme la raison hellène ».
Aujourd’hui, non seulement l’Afrique compte de nombreux scientifiques, à l’image de l’astrophysicien malien Cheick Modibo Diarra, devenu récemment Premier ministre de son pays en crise, ou de la Kenyane et prix Nobel de la paix Wangari Maathai (1940-2011).
Mais, assure Rupert Spann, un superviseur du radiotélescope, « la fuite des cerveaux, c’est fini ». « Les scientifiques du plus haut niveau dans le monde veulent venir en Afrique du Sud pour travailler sur le projet », dit-il.
« C’est un instrument de pointe qui fera la lumière sur beaucoup de théories sur le cosmos. Il nous permettra de voir le fonctionnement de galaxies que nous n’avons jamais pu voir. Nous ne savons pas ce que nous allons trouver, mais nous sommes sûrs de trouver quelque chose », poursuit ce chercheur sud-africain.
« Généralement on quitte l’Afrique pour étudier en Europe. Dans dix ans, les gens viendront en Afrique pour étudier l’astronomie », ajoute Sahba Yahya, un doctorant soudanais, recruté sur le site.
Le SKA qui recrutera des ingénieurs, des scientifiques et a déjà 400 boursiers, « sera l’une des expériences les plus excitantes du siècle. En faire partie, voir comment ça marche et évolue est un immense honneur », ajoute-t-il.
Des autoroutes de l’information ont été construites, capables de collecter des données en quantité telle qu’il faudrait presque 2 millions d’années pour les passer sur un iPod.
Reste le plus grand défi: former la jeune classe dans une Afrique qui s’approprie avec bonheur les nouvelles technologies, réseaux sociaux et autres, mais dont les moins aisés se débattent avec les mathématiques.
L’Afrique du Sud, en dépit de sa puissance économique, est un cas typique.
Au primaire, les élèves peinent avec de simples calculs de pourcentage. En 2011, plus de la moitié des lycéens inscrits en maths au baccalauréat ont raté l’examen, et un tiers seulement des élèves en sciences a eu plus de 4/10.
A Carnarvon, où la moitié des 6.000 habitants n’a pas de travail et vit avec l’aide sociale, Nadeem Oozeer, 37 ans, chercheur de l’île Maurice, se rend régulièrement dans les écoles.
Il observe que les élèves se rappellent déjà des expériences faites devant eux l’an dernier, comme crever un ballon sans faire de bruit, et que désormais, certains parents participent. « Le changement est en marche. Ca prendra du temps pour toucher tout le monde mais quand on y sera, on aura plein de jeunes experts ».
« On essaye de les intéresser, de leur montrer que les maths, la science, c’est facile pour qu’ils puissent un jour décrocher une bourse chez nous et devenir ingénieur ou astronome », dit Daphne Lekwathi, chargée du développement local au SKA.
AFP