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Libye : le sort des Toubous

Libye : le sort des Toubous
Guerre civile à Sebha
150 morts officiellement, plus de 700 morts selon Jomode Elie Getty DobyCela membre du Conseil National de Transition (CNT) mais néanmoins toubou. Il s’agit d’affrontements intertribaux entre toubou et oueled slimane ; la dernière d’une longue série !
Sebha, une ville oasis de 150.000 âmes située dans le sud de la Libye. Les toubous ne représentent à peine plus de 15% de la population. Quelques jours auparavant une voiture s’est fait voler en ville. Le 26 mars, le Conseil de sécurité composé de toubous et d’arabes se réunit. Ensuite, les versions divergent. Le véhicule appartiendrait à un toubou ou plutôt le contraire. Toujours est-il que le ton monte et des coups de feu partent. Trois cadres toubous sont assassinés à bout portant ; il s’agit successivement du responsable de la sécurité, le chargé des armements et le chef de la lutte anti-terroriste.
Dès lors des combats meurtriers s’engagent dans la ville. Des quartiers entiers sont brûlés alors que des enfants et des femmes  subissent des atrocités. Le chef toubou Issa Abdelmajid Mansour n’a pas hésité à qualifier ces violences intertribales de « nettoyage ethnique ». Les toubous ont opéré un repli stratégique hors du faubourg, à quelques kilomètres vers le Sud. Et puis, trois jours après, ils ont pris la ville par surprise. C’est au terme d’une semaine de combat qu’un cessez-le-feu fut décrété avant qu’on annonce le décompte macabre.  
Le peuple toubou
Les toubous sont des noirs qui vivent depuis le Vème siècle av J.-C. au pied des massifs montagneux du Tibesti (littéralement lieu où vivent les habitants de montagnes) et de l’Ennedi. Ils sont donc considérés comme parmi les primo-sahariens. Peuple semi-nomade se déplaçant au gré des points d’eau, ils se sont également établis dans les oasis pour pratiquer l’agriculture. Le complément de revenus provient de l’activité pastorale c’est-à-dire la vente de bétail et surtout de chameaux. Signe des temps modernes, ils savent aussi s’adapter à la réalité de la mondialisation. Ils sont devenus les maîtres du désert ; maillon indispensable du flux migratoire des milliers de jeunes africains attirés par les revenus pétroliers libyens voire plus loin c’est-à-dire l’eldorado européen. Les toubous se sont donc reconvertis en « passeurs » du désert qui font entrer par Dirkou (Niger) les candidats à l’immigration clandestine. Ce genre de trafic n’a pu se faire bien sûr sans le consentement du colonel Kadhafi ou en tout cas sa bienveillance.
La démarcation des frontières modernes font qu’aujourd’hui les 200.000 toubous se retrouvent à cheval sur trois pays limitrophes : le Niger (Nord-Est), le Tchad (Nord) et la Libye (Sud).
Souvent décrit comme querelleurs et susceptibles, les toubous minoritaires et persécutés se sont aguerris au fil du temps et ont une réputation de valeureux combattants. Ils connaissent cette vaste région comme leur poche ; les camions peuvent aujourd’hui circuler dans le fin fond de ce désert grâce aux chauffeurs toubous. Car ils sont les seuls susceptibles de rouler entre deux balises de délimitation de mines anti-personnelles, vestiges du conflit tchado-lybien des années 1980.
Sous le règne de Kadhafi
Depuis son arrivée au pouvoir en 1969, le guide libyen n’avait cessé d’avilir et d’humilier cette population. Avec sa vision manichéenne, il considérait qu’un citoyen devait parler arabe et les toubous étaient obligés de se conformer à cette arabisation à pas forcés. Pendant ses 40 ans de règne, tout bon libyen devait porter un nom à consonance arabe ; si bien qu’au moment même où nous parlons, des milliers de noirs n’ont pas pu être inscrits à l’état civil et vivent donc sans carte d’identité. C’est le cas de milliers de toubous qui ont refusé de se soumettre à l’autorité centrale. Ils subissent eux-mêmes un ostracisme de la part des 30% de noirs « assimilés », les prenant comme des citoyens de seconde zone. 
Héritée des années 1950 et modelée par le jeune lieutenant Kadhafi en 1969, la circonscription administrative subdivise la Libye en trois principales provinces ou régions : à l’Est, la Cyrénaïque de tradition pastorale, à l’Ouest la Tripolitaine plutôt agricole et la désertique Fezzan. La révolution libyenne a mis en exergue la rivalité et l’antagonisme entre l’Est et l’Ouest autrement dit les côtes à forte densité de population. Certes, la conquête de Tripoli est partie de Benghazi.
Mais les grands desseins du colonel Kadhafi avaient également provoqué des antagonismes entre les riches agglomérations du rivage de la Méditerranée et du désert de Sahara peuplé de berbères et de noirs. Le Sud est resté le parent pauvre de cette prospérité fulgurante, emmenée par les rentes du pétrole. Kadhafi a refusé sciemment de le développer pour punir les toubous qui refusent de migrer vers le Nord ou de lui faire acte d’allégeance. Il allait même jusqu’à semer des mines antipersonnelles pour les obliger à quitter leur territoire depuis la nuit des temps. Le guide libyen savait exactement la richesse minière du sous-sol des oasis du Sud et il voulait l’exploiter en se débarrassant des hommes qui y vivent. 
L’heure de la revanche a sonné !
Le monde entier se souvient de la chevauchée fantastique des révolutionnaires de l’Est, appuyée par l’aviation de la coalition internationale. Lorsque l’avancée des rebelles semblait s’essouffler au mois de juin 2011 et que le doute s’installa au sein même du Conseil National de Transition (CNT) quant à la façon d’en venir à bout du régime de Mouammar Kadhafi, les toubous et les berbères ont senti le vent de la liberté souffler dans le désert. Pour les uns comme pour les autres, ce fut une occasion en or de s’affranchir enfin de décennies d’humiliation et de pauvreté. Longtemps parqués dans des boulots d’ouvriers, d’employés de maison, de toute sorte de tâches ingrates, ils espèrent et aspirent enfin à cultiver leur propre terre ; de troquer leur misérables taudis contre un vrai toit !
L’OTAN refusa de faire débarquer des soldats sur le sol libyen mais elle consentit à parachuter du matériel militaire dans le Djebel Nefoussa, au Nord-Ouest du pays. Les milices berbères de Zintan, autres peuples persécutés par le Guide libyen, se rapprochèrent des toubous de la province de Fezzan. La première offensive sur Al-Qatroum du mois de juin fut repoussée par les troupes loyalistes. Mais au mois d’août 2011, le « bataillon du bouclier du désert » emmené par le toubou Barka Wardougou – un ex-officier de l’armée libyenne mais également passé par la case prison sous le régime du Guide – prit le contrôle de l’oasis de Morzuk dans la province de Fezzan. Il s’agit d’un carrefour stratégique entre le Tchad, le Niger et l’Algérie ; un revers pour le clan Kadhafi car sa tribu – les Guedadfa – à la main mise politique et économique sur cette région de Sebha.
Fort de ces faits d’armes, les dirigeants toubous ont fait le déplacement à Benghazi, siège provisoire du CNT. «&nbs
p;Il n’est pas question pour nous d’autonomie ou d’indépendance, nous voulons simplement participer à l’avènement de la nouvelle Libye » affirme un des leaders. Ainsi, un toubou a été nommé pour les représenter au sein du CNT. Ce n’est qu’un début car après la chute du régime, ils ont trusté les postes-clés de la transition de Sebha et Koufra. Ils surveillent les check-points et quadrillent les rues alors que les tribus arabes comme les Zwaï se contentent de contrôler le camp militaire et quelques dépôts d’armes. 

Naissance des rivalités arabes et toubous
Jamais trafic de voitures volées, partant de Libye vers les pays du Sud, n’a autant prospéré que depuis la chute du colonel Kadhafi. Les toubous, fins connaisseurs du désert monopolisent le « marché ». Mais après plus de 40 ans de persécution, ils aspirent maintenant à sortir de cette engeance dans laquelle le régime les a cantonnés. De l’autre côté, les arabes estiment que la responsabilité administrative de Koufra et de Sebha leur revenaient.
Le flux migratoire sub-saharien dans la région de Fezzan a été favorisé par l’africanisme prôné par le Guide lorsque celui-ci fut rejeté par les pays arabes à la fin des années 1980. Ces travailleurs sont venus gonfler les rangs des toubous ; ils vivent dans les mêmes quartiers dans les villes comme Koufra ou Sebha.
Les tensions extrêmes entre les noirs et les arabes trouvent leur source dans cette forme de cohabitation. Toute cette région a été quelque peu négligée par le colonel Kadhafi au détriment des rivages de la Méditerranée. Nombre de libyens trouvent en ces voisins encombrants des victimes expiatoires de la politique africaine du dictateur. Le CNT réclame aujourd’hui un audit financier sur la holding financière créée par le guide libyen pour le continent africain : la Libyan African Investment Company (LAICO) dotée de 40 milliards USD. De l’argent de la rente pétrolière parti ailleurs sans que les autochtones n’aient pu en bénéficier !
Et pourtant, les toubous et les oueleds slimanes étaient des alliés ou plutôt des compagnons d’infortune. Car lorsque ces derniers ont été martyrisés par les autres tribus arabes, ce furent souvent les toubous qui volèrent à leur secours ou s’interposèrent en tant que médiateur. Les oueleds slimanes ont en effet fui la colonisation italienne pour se réfugier au Tchad. Ils sont rentrés au moment de l’avènement de Kadhafi, mais avec un statut social différent de ceux qui sont restés !
 Touaregs, Berbères, Toubous même combat
Cette escalade de violences a commencé dès la fin de l’année 2011 du côté de Koufra. Et la région du Fezzan reste toujours sous tension, menace d’exploser d’un moment à l’autre. Sur le terrain, le CNT a envoyé des contingents pour s’interposer entre les combattants sans grand résultat. Ce gouvernement de transition a du mal à asseoir son autorité à Tripoli ; le problème du fin fond du désert n’est pas sa priorité de l’instant. Certains leaders toubous comme Issa Abdelmajid Mansour ne s’embarrassent plus pour déclarer que « le CNT et le régime Kadhafi ne sont pas différents ». Ils en appellent aujourd’hui à une intervention ou une médiation internationale de l’Union Européenne ou de l’ONU. La solution socioéconomique à long terme passe surtout par une redistribution équitable de la rente de la province de Fezzan. Sinon le risque d’extension du conflit vers le Tchad et le Niger n’est pas du tout à exclure. Et pourquoi pas une revendication d’autodétermination comme le MNLA au Mali ?
Comme pour les touaregs, les berbères et les toubous, les peuples qui vivent en lisière du désert de Sahara ont du mal à trouver leur place au sein des Etats-Nations ; notion juridique inadaptée à leur mode de vie séculaire.
 
Alex ZAKA

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