dimanche, décembre 22, 2024
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Madagascar : spectre d’une guerre civile

Madagascar : spectre d’une guerre civile
Le contexte socioéconomique

Voilà maintenant trois ans que la transition perdure dans la Grande Ile. Le pays s’enfonce inexorablement vers les tréfonds d’un abîme. Déjà en temps normal c’est-à-dire lorsque l’économie était sous perfusion des subventions des bailleurs de fonds, la population malgache avait du mal à joindre les deux bouts. Or, depuis que les sanctions internationales sont tombées, l’économie se désagrège. Tout ce à quoi aspire aujourd’hui la majeure partie des 20 millions d’habitants, c’est de pouvoir tourner la page pour qu’enfin, la vie puisse reprendre son cours normal. Une sensation d’une atmosphère paisible ankylose Madagascar ; les gens travaillent dans l’ensemble du territoire avec l’impression de ne pas être payé, en retour, à leur juste valeur. Mais cette longue crise politique provoque non seulement la baisse du pouvoir d’achat, mais surtout elle engendre la perte de repères moraux et un délitement du tissu social dans une société gangrénée par la corruption. Sans parler de la recrudescence de l’insécurité : kidnappings, hold-up de banque, cambriolages, embuscades de cars de voyageurs sur les routes nationales.
Paradoxalement, l’Ariary, la monnaie locale ne perd pas trop de sa valeur par rapport au cours des devises comme l’Euro ou le Dollar. A croire que Madagascar arrive à maintenir ses exportations alors que sa facture pétrolière asphyxie toute l’économie. Et comme toujours les produits de première nécessité sont indexés sur l’essence ; donc, l’inflation devient insoutenable. Face à ce sinistre tableau, la Banque Mondiale a décidé, il y a quelques jours de reprendre le financement de tous ses projets restés en suspens depuis 2009. Un ballon d’oxygène de quelques 200 millions USD.
 
 
Le nœud du problème 
 
Après des mois de tractations, une feuille de route a été signée par les trois mouvances en septembre 2011 ; l’amiral Didier Ratsiraka ayant refusé de la signer. Les derniers rounds des négociations, menées par Marius Fransman le vice ministre des Affaires Etrangères d’Afrique du Sud, furent très âpres. S’érigeant en pro-Consul, il a dû forcer la main de plusieurs composantes politiques pour arracher leur adhésion. Déjà la question du retour « sans condition » de l’ancien Président Marc Ravalomanana, exilé à Pretoria, avait fait tousser plusieurs officiers généraux.
Depuis le mois d’octobre, Omer Beriziky de la mouvance Albert Zafy, ancien diplomate, est nommé premier ministre. Son gouvernement d’union nationale est composé de ministres issus de toutes les mouvances signataires. Le Président de la Haute Autorité de Transition (HAT) Andry Rajoelina a pu ainsi sauvegarder quelques ministères régaliens et surtout le portefeuille de la Justice, poste-clé pour empêcher le retour de Marc Ravalomanana. L’Assemblée Nationale (Conseil de la Transition) et le Sénat (Conseil Supérieur de la Transition) ont dû faire de la place à de nouveaux membres nommés ! C’est aux deux chambres que reviennent la mission cruciale de voter la réconciliation nationale et la loi d’amnistie. La recomposition des membres de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) figure également dans la feuille de route.
Lorsque toutes ses étapes seront franchies, conditions sine-qua-non aux yeux des observateurs internationaux, Madagascar pourra alors organiser des élections synonymes d’un retour à l’ordre constitutionnel.
Or le statu quo prévaut à l’heure actuelle. Il résulte d’une position irréconciliable de deux personnes : Le Président de la Haute Autorité de Transition (HAT) Andry Rajoelina et l’ancien Président Marc Ravalomanana. Le premier détient le pouvoir et la communauté internationale a fini par s’y résoudre et l’accepter. Le second estime qu’il est toujours le dernier président malgache « démocratiquement » élu.
Le jeune TGV a pris de l’assurance au fur et à mesure que la transition avance. Il ne fait plus mystère de sa candidature pour la magistrature suprême, malgré une cote de popularité mise à dure épreuve par les vicissitudes de la vie quotidienne des malgaches. Son discours de commémoration du massacre du 7 février 2009 devant la grille du palais présidentiel en dit long sur sa haine envers son prédécesseur. Il reprend les propos de celui-ci qui disait : « je n’ai rien fait de mal dans mon pays… ». Et comme pour marquer l’assistance, il s’adresse à toute la communauté internationale : « nous ferons en sorte que nos pères, mères, frères, sœurs, enfants ne soient pas morts en vain. Nous n’accepterons jamais le règne de l’impunité dans notre pays ». Ceux qui doutent encore une seule seconde qu’il laissera rentrer librement Marc Ravalomanana sont d’une crédulité enfantine. Madagascar est un pays indépendant et a une justice souveraine. Pourtant la SADC et l’Afrique du Sud feront tout leur possible pour que leur poulain puisse se remettre en selle et se présenter aux prochaines élections présidentielles.
Marc Ravalomanana, lui, jouit quand même d’une certaine popularité. Dans le contexte actuel, il pourra être un adversaire redoutable pour Andry Rajoelina pour les élections présidentielles. Hors les murs, l’exilé de Pretoria intrigue auprès de la SADC pour plaider en sa faveur. Il n’hésite pas à se payer les services d’une société de conseils pour faire du lobbying dans les instances internationales (Europe, Etats-Unis). Mais ses conseillers n’ont pas attendu la promulgation d’une hypothétique loi d’amnistie pour mettre les pieds à Madagascar. Depuis le mois de novembre 2011, la Grande Ile vit au rythme de l’annonce du retour de la famille Ravalomanana.
D’abord, en guise d’éclaireur, le fils Tojo et son « ami » d’enfance, un américain. Dès leur arrivée sur le sol malgache, les autorités ont vérifié l’adresse de son ami. Ils étaient obligés de se réfugier successivement à l’ambassade d’Afrique du Sud et enfin à l’ambassade des Etats-Unis, avant que l’américain, qui s’avérait être son garde-du-corps, soit invité à quitter le territoire malgache.
Marc Ravalomanana a déjà tenté deux fois de rentrer au pays : le 19 février 2011 et puis le 21 janvier 2012. Sous le coup d’un NOTAM, un avis lancé par les autorités malgaches à la compagnie aérienne, le passager n’a même pas pu embarquer la première fois ; tandis que le mois dernier, il avait déjà survolé l’espace aérien avant que l’avion ne rebrousse chemin. A chaque fois, ses partisans se mobilisent et affluent vers l’aéroport d’Ivato, à 15km d’Antananarivo. Ce sont de moment de tensions extrêmes qui risquent à chaque fois de dégénérer.
La dernière en date, plus exactement le 4 février, c’est Lalao Ravalomanana, son épouse qui s’est vue refuser un embarquement à Johannesburg par la compagnie aérienne « AirLink » évoquant des raisons de sécurité.
 
 
La position de l’Afrique du Sud
 
A la suite du retour avorté de Marc Ravalomanana du mois de janvier dernier, l’Afrique du Sud convoque les composantes politiques malgaches à Pretoria afin de rendre compte auprès de la troïka de la SADC. Marius Fransman le vice ministre des Affaires Etrangères donne un jugement de Salomon : «&nbs
p;il était irresponsable de la part de Marc Ravalomanana d’avoir voulu revenir dans un contexte aussi tendu, même s’il considère ce retour inéluctable et nécessaire pour dénouer la crise » et de continuer : « Andry Rajoelina n’avait pas à agiter la menace d’une arrestation au moment où l’on parle de réconciliation et d’amnistie, ingrédients indispensables pour que le pays retrouve une situation pacifiée ». Par ailleurs, la troïka exige à ce que la loi d’amnistie soit promulguée avant le 29 février !
Dans sa volonté d’asseoir sa puissance dans la sous-région et sur tout le continent, l’Afrique du Sud ne peut pas encore une fois subir un échec après le fiasco de sa médiation en Côte d’Ivoire et en Libye. Surtout pour des considérations géostratégiques et économiques, Madagascar doit rester dans le giron de la SADC. Ainsi pensent les dirigeants de l’ANC et Jacob Zuma. EN 2005, Le président Marc Ravalomanana a accepté d’adhérer dans la communauté économique composée de pays anglophones hormis la RDC. En 2007, il était question que la Grande Ile devienne membre du Commonwealth ! L’axe « Australie-Afrique du Sud » a toujours eu le grand dessein de créer une zone économique Océanie et Océan indien dont les pièces maîtresses sont respectivement la Mozambique et Madagascar pour leur potentiel minier et agricole. Sans le retour de Marc Ravalomanana au pouvoir, ce vaste projet serait voué à l’échec ! Et les américains abondent aussi dans ce sens. Sinon, comment interpréter la déclaration du Chargé d’Affaires en poste à Antananarivo : « nous sommes disposés à fournir une trentaine de GI’s afin d’assurer la protection de Marc Ravalomanana ». Leur effectif atteindrait aujourd’hui une centaine de boys stationnés à Madagascar ; cela fait un peu trop pour la protection d’une modeste ambassade !
 
La diplomatie française à l’épreuve des faits

La France, elle, est quelque peu timorée de par ses relations passées. Ancienne puissance coloniale, sa position reste inconfortable et oscille entre la non-ingérence et la non-indifférence. Madagascar est l’un des pays d’Afrique où il y a le plus de résidents français : environ 15.000 sans compter les bi-nationaux. Est-elle pour ou contre le retour de Marc Ravalomanana ? Jean-Marc Châtaigner, ambassadeur de France préfère botter en touche en déclarant : « c’est une question de souveraineté malgache… C’est aux autorités de la transition de se prononcer sur ce sujet ». La diplomatie française redoute le retour à Madagascar de Marc Ravalomanana car les français craignent le chaos que cela pourra provoquer. Les souvenirs des multinationales françaises lésées sur les appels d’offre et les prospections pétrolières et minières du temps où ce dernier dirigea le pays sont encore prégnants.
La France, qui au début de la transition a soutenu Andry Rajoelina, semble revoir sa position. Elle préfère adopter une posture de « ni-ni » : ni-TGV, ni Marc Ravalomanana. Mais les turpitudes de la classe politique et la sclérose des hommes politiques limitent le recours à un homme neuf. Comme en contrepoint de cet afflux de GI’s en poste à Antananarivo, la présence de militaires français à Madagascar inquiètent également les observateurs. Un contingent de 40 hommes vient de débarquer dans le cadre d’une coopération franco-malgache : les Forces Armées de la Zone Sud de l’Océan Indien (FAZSOI).
 
Et l’UA ?

Quant à l’Union Africaine, elle est prisonnière de sa doctrine : « condamner une accession au pouvoir par la force ». Une réactivité de l’organisation internationale, dès le début de la crise en 2009, comme au Niger avec Salou Djibo aurait permis d’écourter la transition malgache. Il suffisait à l’époque d’avancer vers des élections pour un retour rapide à l’ordre constitutionnel. Au lieu de cela, l’UA a délégué la médiation à la SADC. Compte tenu du dernier épisode houleux de la nomination du nouveau Secrétaire Général à Addis-Abeba, le cas malgache ne peut pas être mis à l’ordre du jour de l’assemblée générale au risque de froisser l’Afrique du Sud et de mettre encore de l’huile sur le feu.
 
Un problème malgacho-malgache

Les médiateurs internationaux ont une méconnaissance du ressort psychologique malgache. Sous des dehors courtois et très affables, le malgache est profondément nationaliste, fier de son insularité et ne brusquera jamais un interlocuteur, qui plus est étranger. Mais une fois que vous tournerez le dos, il imposera sa volonté fût-elle contraire aux documents officiels signés. En 2002, Marc Ravalomanana a renié ses engagements. Sous l’égide du président Abdoulaye Wade et l’UA, il a promis à Dakar de recompter les voix du premier tour litigieux face à l’Amiral Didier Ratsiraka. Sitôt, rentré il s’est empressé de demander à la Cour Constitutionnelle de valider les résultats en sa faveur. Andry Rajoelina le président de la HAT a accepté de s’en tenir à la feuille de route en septembre dernier. Force est de constater qu’il empêchera par tous les moyens Marc Ravalomanana de se présenter face à lui. Et il n’est pas le seul. Car durant ses sept années passées au pouvoir, ce dernier s’est comporté en despote. Voulant liquider tous ses adversaires politiques et mettre en coupe réglée l’économie du pays en éliminant tout concurrent susceptible de lui faire de l’ombre. Pour toutes ses raisons, les opérateurs spoliés et les militaires n’ont aucun intérêt à un retour prématuré de l’ancien président Marc Ravalomanana. Or l’Afrique du Sud et la SADC tenteront d’imposer, de gré ou de force, cette fameuse feuille de route et la loi d’amnistie avec une date butoir : le 29 février. Madagascar risque ainsi de rentrer dans une phase tragique dont nul ne peut aujourd’hui analyser les conséquences.
 
 
 
Lamine THIAM

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