Pierre Coly rêvait d’étudier les lettres et de voyager à travers le monde. Un rêve brisé par le naufrage il y a dix ans du ferry Le Joola (1.900 morts), qui a contraint cet habitant de Ziguinchor (sud du Sénégal) à devenir taximan. « J’arrive juste à vivre au quotidien », dit-il.
Lorsque le naufrage est survenu, Pierre venait d’obtenir le brevet lui ouvrant les portes du lycée, raconte-t-il à l’AFP, assis sur une chaise en plastique dans la ruelle ombragée passant devant sa modeste maison du quartier Santhiaba (périphérie sud de Ziguinchor).
L’adolescent avait pris le bateau avec son frère aîné, un militaire. « Je me rendais à Dakar pour préparer la rentrée scolaire », ajoute le jeune homme, trentenaire aux moustaches et barbe taillées, chemise, short et sandales de marche. « Je voulais poursuivre mes études. Je voulais étudier les lettres, les langues: espagnol, anglais, français, je pensais faire des tas de voyages! »
Et puis le 26 septembre 2002, sa vie bascule avec le naufrage, dont il réchappe mais pas son frère aîné.
« C’est une catastrophe que je ne pourrai jamais oublier mais je ne veux plus parler de l’accident, je ne veux plus dire ce qui s’est passé », lâche-t-il, triturant un téléphone portable.
Pierre, déjà orphelin de père, doit alors s’occuper de sa soeur cadette et de sa mère. « Au moment de l’accident, ma maman vivait. Comme mon grand-frère est resté dans le naufrage, la responsabilité de la famille me revenait. Il fallait m’occuper de certaines choses ».
Il s’inscrit au lycée, mais peine à suivre les cours. Il est pointé du doigt par des camarades, se trouve au centre d’une curiosité malsaine. « Cela me dérangeait, je voulais quitter le lycée, Ziguinchor, le Sénégal.
Pierre Coly suit tant bien que mal les cours, puis abandonne le lycée en terminale, sans le bac. « Avant, je comprenais très vite les cours. Après l’accident, c’était complètement différent. Ca m’a poussé à l’abandon des études. »
Il a été suivi par des psychologues, pour une durée qu’il n’indique pas, et jure ne pas avoir de problème psychique consécutif à sa douloureuse épreuve.
« Depuis que l’accident s’est produit, il y avait des psychologues qui passaient nous voir, discuter avec nous (les rescapés, NDLR). Mais eux-mêmes, ils savent que (…) je ne suis pas tellement traumatisé comme d’autres parmi nos rescapés », assure-t-il.
« Depuis lors, je vis différemment. Il y a pas mal de problèmes auxquels je suis confronté, mais heureusement, ce n’est pas psychologique. Là, présentement, je fais mes propres affaires, je me +débrouille+ », explique-t-il.
Avec l’indemnisation proposée par l’Etat du Sénégal par victime du naufrage, qu’il a acceptée, Pierre Coly s’occupe de sa famille – sa mère est aujourd’hui décédée, sa soeur cadette s’est mariée -, il s’achète un taxi et lance la construction de sa maison, inachevée, où de nombreux gamins du quartier viennent regarder la télévision dans un salon quasiment sans meubles.
Avec le taxi, « j’arrive juste à vivre au quotidien, sans grande économie. Je me suis dit que je ne pourrais compter sur personne », dit-il, restant discret sur le reste de sa vie privée.
Il exhorte l’Etat à « respecter tous ses engagements pris devant les familles, le renflouement du bateau par exemple, le suivi des enfants orphelins ».
AFP