Le gouvernement tunisien, dominé par le parti islamiste Ennahda, entretient l’ambiguïté sur sa vision des médias, alternant promesses de respect de la liberté de la presse et discours menaçants.
Confrontées à une grève sans précédent des journalistes le 17 octobre, les autorités ont promis de céder sur une revendication-clé: appliquer deux décrets vieux d’un an, l’un organisant la liberté d’expression et l’autre mettant en place un organe indépendant pour réguler l’audiovisuel.
Mais une semaine après cette annonce, la profession est toujours en attente d’un calendrier, et les ONG ont demandé au gouvernement de faire preuve de clarté.
« Cette annonce est en tant que telle positive, même si elle arrive tardivement (…) Toutefois, il est urgent que le gouvernement précise le calendrier relatif à l’application de ces décrets-lois, ainsi que si leur adoption est définitive ou temporaire », relevait mardi Reporters Sans Frontières.
Par ailleurs, le bras de fer se poursuivait toujours entre les autorités et plusieurs médias publics qui accusent leurs nouvelles directions, nommées par le gouvernement, d’être soumises aux islamistes.
Le conflit le plus âpre concerne le groupe Dar Assabah, qui publie les quotidiens Le Temps (en français) et Assabah (en arabe). Des journalistes y ont mené deux grèves de la faim depuis début octobre.
Les rédactions réclament le limogeage de leur directeur général, nommé en août. Si elles espèrent un accord la semaine prochaine, plusieurs compromis sont déjà tombés à l’eau face au refus du pouvoir de révoquer le patron du groupe.
Dernière polémique en date, le gouvernement a annulé à la dernière minute des négociations le 19 octobre.
« Ce comportement est inacceptable. Mais jamais nous ne renoncerons à notre combat pour la liberté de la presse », a déclaré à l’AFP Sana Farhat, journaliste au Temps et déléguée syndicale.
Ces rédactions, contrôlées jusqu’à la révolution de 2011 par la famille du président déchu Ben Ali, ont reçu le soutien des défenseurs tunisiens des droits de l’Homme qui craignent que le gouvernement actuel ne cherche à en faire les porte-voix de sa politique.
« Je suis fier de ce que font les journalistes de Dar Assabah, mais aussi je suis un peu triste qu’on en arrive après le 14 janvier (2011, date de la fuite de Ben Ali) à ce point-là », a estimé Mokhtar Trifi, président d’honneur de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme.
Les islamistes assurent pour leur part contre vents et marées que leur objectif n’est pas de contrôler la ligne éditoriale des médias publics, mais de les purger des tenants du régime déchu de Zine El Abidine Ben Ali.
Ainsi, une députée du parti Ennahda, Halima Konni, s’est emportée à la tribune de l’Assemblée nationale constituante (ANC), accusant les « journalistes de soutenir la contre-révolution et d’appuyer le retour de Ben Ali et de tous ceux qui ont bafoué les droits du peuple ».
Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), que Mme Konni a aussi vivement critiqué, a dénoncé ces propos « dangereux », y voyant « une campagne tendancieuse qui vise les journalistes ».
Le président de l’ANC, Mustapha Ben Jaafar, a pour sa part reconnu dans un récent entretien à l’AFP que des « erreurs » avaient été commises par les autorités, mais que la liberté de la presse n’en est pas pour autant menacée.
« Objectivement, lisez, ouvrez les télévisions, jamais la Tunisie ne pouvait même imaginer il y a deux ans qu’on pourrait vivre une telle liberté », a souligné cet allié laïque des islamistes.
« On est insulté presque par la presse et ça se passe dans l’impunité totale », a-t-il ajouté.
AFP