jeudi, novembre 21, 2024
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Invité du mois : Abdramane Kamaté (Directeur général du Masa)

«Nous avons eu le Masa le plus populaire depuis 30 ans »

Abdramane Kamaté est le Directeur général du Marché des arts et du spectacle africain d’Abidjan (Masa). Dans cette interview exclusive accordée à Diasporas-News Magazine au lendemain de la clôture de la 13e édition, il exprime sa satisfaction, livre les clés de la réussite et présente les perspectives pour les artistes africains.

Diasporas-News : Le Masa s’est achevé sur une bonne note. Vos attentes sont-elles comblées ?

Abdramane Kamaté : Oui, nos attentes sont comblées, à plusieurs niveaux. Au niveau de la mobilisation du public, nous avons eu, je pense, le Masa le plus populaire de son existence, depuis 30 ans. Et surtout une mobilisation qui est à mettre au crédit des jeunes qui ont été extrêmement nombreux à se déplacer durant ces 7 jours sur les différentes scènes du Masa. Qu’il s’agisse de Treichville, Koumassi, Yopougon, Abobo, Plateau et de Cocody. On estime à peu près à 65% de jeunes, de public qui s’est déplacé pour cette édition du Masa. C’est-à-dire plus de la moitié des personnes que nous avons reçues.

Nos attentes sont satisfaites aussi au niveau de la mobilisation des professionnels et des acheteurs. Nous avons eu 106 programmateurs officiellement annoncés sur le Masa mais, nous étions à un peu plus de 130 programmateurs acheteurs réellement présents. C’est donc une grosse satisfaction. Satisfaction également au niveau des rencontres professionnelles qui ont permis de toucher des thématiques particulièrement importantes pour notre secteur comme la question de la mobilité des artistes et des créateurs africains, sur le continent. Les enjeux concernant le statut de l’artiste, la question du financement sont autant de questions qui ont été débattues. Les rencontres professionnelles ont été aussi l’occasion de mettre en avant un modèle de politique culturelle inspirant pour l’Afrique, qui était celui du Rwanda qui a été brillamment exposé par ce pays pendant le Masa.

« Une présence qualitative importante »

Nous notons aussi un moment d’échange très fort, le moment de Business, ce qui nous appelons les B to B. 912 rendez-vous ont été réalisés, ce qui représente un chiffre particulièrement important pour nos artistes et pour nos professionnels. Ce sont là, autant d’éléments de satisfaction que nous avons notés. Et bien évidemment, je n’oublie pas la mobilisation de la presse puisque selon nos chiffres, 279 organes de presse étaient présents pour 423 journalistes nationaux et étrangers. C’est près de 120 émissions télévisées, plus de 150 articles en ligne sur les différents réseaux que nous connaissons.

Le dernier point au niveau des satisfactions, c’est surtout la présence des femmes sur nos différentes scènes et pendant les rencontres professionnelles. Plus de la moitié des responsables de groupes qui se sont produits au Masa étaient des femmes. Ce n’était pas seulement une présence numérique forte mais une présence qualitative importante. Cela était un objectif que nous souhaitions atteindre.

D-N : Qu’est-ce qui a fait la particularité de cette 13e édition du Masa ?

A.K : Je pense que la particularité réside dans le fait que nous avons réussi à mettre au cœur de nos objectifs, les professionnels, les artistes et le public. Nous avons réussi à les intéresser. Il ne fallait pas se faire plaisir mais faire plaisir aux cibles qui étaient les nôtres. Dès le départ, et avant même d’arriver aux appels à candidature, nous avons énormément communiqué et sensibilisé les créateurs africains. C’est ce qui explique leur grand nombre. Nous avons aussi mené une série d’action dans les différentes communes d’Abidjan, pour annoncer le Masa et annoncer le public. Notre stratégie était de dire, pour faire venir le public dans les salles, il faut d’abord aller vers lui et lui expliquer ce qu’il va découvrir. Ce travail a été porteur. Pour ce qui concerne les professionnels, on a réussi à nous appuyer sur des relais qui son crédibles dans le secteur. Vous verrez que cette année, jamais un événement africain n’a attiré autant de professionnels et de programmateurs venant de l’Amérique du Sud. Les relais rassuraient les programmateurs qui sont venus en grand nombre. Tout cela a permis d’arriver au résultat que nous connaissons.

D-N : Organiser le Masa, deux mois après la Can 2023, est-ce que ce n’était pas un challenge difficile ?

A.K : Le Masa après la Can 2023, oui, c’était un défi mais ce n’était pas qu’un défi. C’était une chance. Nous nous sommes mis la pression pour faire en sorte que la Côte d’Ivoire prouve d’abord à sa population mais aussi au monde entier, qu’elle était un pays fort, capable d’organiser les plus grandes manifestations au monde. Donc la Can n’était pas un coup de poker mais une stratégie, une organisation bien mûrie reposant sur des compétences nationales réellement présentes. Le défi était de continuer sur cette lancée, montrer que cette dynamique pouvait se poursuivre au-delà, de la plus belle Can jamais organisée de l’histoire de cette compétition.

Cela dit, nous avions des acquis que cette Can a laissés, et sur lesquels il fallait donc humblement s’appuyer pour aller beaucoup plus loin à travers le Masa. Il y a un chiffre que j’aime donner. Le Masa, c’est 59 pays donc, c’est même plus que la Can. De ce que j’ai pu entendre, ces pays-là sont repartis contents de la Côte d’Ivoire. Je ne doute pas qu’ils seront aussi des ambassadeurs pour nous. Nous avons réussi la diplomatie sportive. Et là, la diplomatie culturelle, elle est au rendez-vous désormais.

D-N : Cette réussite n’est-elle pas liée à l’engagement fort des autorités ivoiriennes dont le ministère de la Culture et de la Francophonie ?

A.K : Le ministère de la Culture et de la Francophonie a plus que joué son rôle puisque le Masa est une institution qui est sous la tutelle de ce département ministériel. Nous avons eu un appui quotidien de la ministre de la Culture et de la Francophonie. Un appui institutionnel, un appui financier très fort mais aussi une implication personnelle dans la réalisation des activités. Donc cela a contribué à la réussite que nous connaissons. Le Masa, c’est un financement a presque 80% de l’Etat de Côte d’Ivoire. C’est un effort financier très fort qui dénote de l’importance que le gouvernement ivoirien et le président de la République Alassane Ouattara accordent au secteur de la Culture. Je rappelle souvent que la Culture est désormais inscrite au Programme national de développement et surtout au pilier numéro 1 de ce programme qui en fait un élément fort de développement de notre pays et surtout une inscription qui montre que la Culture a son rôle à jouer sur le plan de la cohésion sociale mais aussi sur le plan du développement économique et de l’employabilité des jeunes dans ce secteur.

« Des ambitions beaucoup plus importantes que les chiffres »

D-N : Cette réussite du Masa a un coût au plan financier. À combien peut-on l’évaluer ?

A.K : Je n’aime pas trop parler de chiffres parce que les ambitions d’un pays ne doivent pas se limiter aux chiffres. En tout cas, c’est un budget important que l’Etat de Côte d’Ivoire a bien voulu consentir surtout que cette édition porte sur la jeunesse, vous l’avez vu dans la thématique. C’est des financements importants mais c’est des ambitions beaucoup plus importantes que les chiffres.

D-N : Le Masa a été marqué par des temps forts dont l’hommage au Professeur Henriette Dagri Diabaté, Grande Chancelière honoraire et les prix décernés. Qu’en dites-vous ?

A.K : C’est l’un des temps les plus importants de cette édition du Masa. L’histoire du développement culturel de notre pays est indissociable de cette grande figure, cette grande dame. Nous lui devons de grandes réalisations de notre pays notamment le Palais de la culture, l’Institut national supérieur des arts et de l’action culturelle (Insaac) et bien évidemment le Masa. Nous trouvons utile qu’à un moment donné, le monde culturel lui notifie sa reconnaissance. C’est en cela que ce prix a été créé et porte son nom. Ce prix sera pérennisé. Il récompense la meilleure artiste féminine qui s’est illustrée pendant le Masa par sa créativité artistique, son engagement sur un certain nombre d’enjeux importants qui étaient supportés par la Grande Chancelière. Nous souhaitons aussi qu’elle soit une ambassadrice des valeurs portées par la Grande Chancelière, la générosité, le leadership féminin, l’engagement pour les causes qui touchent la Côte d’Ivoire, la jeunesse et surtout l’universitaire, la politique, la femme, la mère de famille qu’elle a été pour beaucoup d’Ivoiriens.  C’était important que nous trouvions une artiste qui porte ces valeurs. Le prix féminin Henriette Dagri Diabaté a été décerné à l’artiste Lerie Sankofa en présence de la marraine. C’était un moment fort en émotion, de communion avec cette jeunesse qui lui est éternellement reconnaissante.

« Quelques petites améliorations pour se rapprocher de la perfection »

D-N : La 13e édition du Masa a connu un énorme succès. La prochaine, c’est dans deux ans. Comment l’envisagez-vous déjà ?

A.K : Dans tous les cas, il ne faut pas faire moins que cette édition qui vient de s’achever. Si elle a été une réussite, elle nécessite aussi quelques petites améliorations pour se rapprocher de la perfection. Nous y travaillons, nous avons conscience qu’il y a des aspects comme ceux touchant à la formation de nos différents corps de métier, qu’il s’agisse de la technique, de la sonorisation, la régie générale, la photographie ou du travail des costumes, il y a beaucoup de métiers qui gravitent autour du spectacle. Nous allons y travailler de sorte que nous puissions monter la qualité des prochaines représentations. Nous souhaitons aussi que nos artistes soient fortement outillés. Les administrateurs qui travaillent autour d’eux, il est important qu’ils soient mieux formés pour pouvoir les vendre davantage. Parce que vous pouvez avoir une bonne qualité artistique sur scène, si administrativement le travail n’est pas bien fait, cela peut déteindre sur les contrats que vous allez signer. Il y aura donc un accompagnement intégral de tous les corps de métier qui gravitent autour de la scène. Nous aurons aussi un peu plus de temps pour préparer l’accueil de nos invités. Voilà des pistes sur lesquelles nous travaillons aujourd’hui pour que l’édition 2026 soit encore meilleure.

D-N : Dans cette perspective, quel message avez-vous à l’endroit des parties prenantes du Masa ?

A.K : Le message est le suivant : ne dormons pas sur nos lauriers. Si nous sommes satisfaits de cette édition, je pense que la marge d’amélioration est toujours-là. Il faut donc œuvrer dans ce sens. Le deuxième message est à, l’endroit de nos artistes qui vont signer beaucoup de contrats. Je souhaite qu’ils soient des ambassadeurs de la création africaine parce qu’ils iront sur de nouveaux territoires. On a vu des Japonais, des Vénézuéliens, des Colombiens qui sont venus acheter des spectacles, alors qu’ils ne venaient pas sur les créations africaines. C’est maintenant le cas. Donc ces artistes africains qui vont être programmés sur ces territoires sont des pionniers. Il faut qu’ils soient des ambassadeurs dignes du continent africain de sorte qu’il ait moins de déception lorsqu’ils iront sur ces scènes. Et que ces programmateurs reviennent encore plus nombreux pour essayer d’avoir d’autres artistes africains. On est tous en mission, il faut que chacun joue part dans cette mission.

Réalisée par Thomas DE MESSE ZINSOU et JC PAGNI

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